Méfiez-vous

Chronique d'André Savard

On sait qu’il faut souvent se méfier d’un système de valeurs affiché avec obsession et déclamé sur tous les tons. Celui qui proteste peut bien être complice de ce qu’il dénonce.
Il y a de ces complaisances dans la dénonciation qui sont suspectes. Méfiez-vous par exemple d’une personne qui dénonce le repli sur soi sans arrêt. Il y a fort à parier que cette personne adhère et défend les bornes d’un régime. Méfiez-vous des gens qui se disent fatigués des vieux débats. Il y a fort à parier qu’ils veulent remplacer les vieux débats par un consentement et qu’ils déplacent leurs choix de manière à ce que ceux-ci ne s’exercent pas contre les conditions de la répétition.
Méfiez-vous de celui qui dit vouloir mettre fin à la redondance. Il y croit peut-être autant qu’à un proverbe. Méfiez-vous de celui ou de celle qui dénonce l’ethnocentrisme. Il vous dira peut-être que l’anglais est le latin de notre époque ou que le Canada est un pays particulier qui universalise l’esprit. Il aime des déterminations particulières et il croit que les bornes imposées par une nation majoritaire expriment mieux la totalité.
Méfiez-vous d’un peuple qui se mobilise et qui fait la vague autour d’une nouvelle liste de candidats inconnus. Ce peuple se rallie peut-être derrière la puissance de son désaveu pour mieux laisser un autre peuple décider pour lui. Méfiez-vous du goût du changement. C’est l’heure de nouveaux acteurs qui ont hâte de mieux apprendre comment cuisiner des paragraphes. Et, aussi surpris qu’ils soient de leur victoire, ils auront quand même mis leur nom sur un poteau parce qu’ils croyaient en leur talent naturel de tête d’affiche.
Méfiez-vous des gens qui proclament leur courage de penser le contraire et qui se disent grimpés sur une brèche, prêts pour la prochaine “rupture de dépassement”. Ils ont été assermentés par la pensée contraire et ils défendent avec ferveur le droit de briser les rangs? Ils vous disent qu’ils ne sont les obligés de personne, que leur modèle est basé sur le pur domaine de l’invention tout en étant pragmatique. Trop beau pour être vrai.
Ils veulent viser loin pour qui? Qui se retrouvent dans leurs réunions d’individus impénitents? Quels sont les intérêts spécifiques défendus par tous ces désobéissants désaffiliés qui disent s’animer d’une parole directement dictée par l’esprit d’ouverture?
Il y a fort à parier qu’ils croient représenter le dépassement parce qu’ils ne cherchent pas d’excuses. Ils ne s’embarrassent pas des “clivages” disent-ils. Il y a fort à parier qu’ils défendent une famille d’esprit impénitente qui ne veut reconnaître que les démarcations qui lui sont avantageuses.
Prenez l’ADQ, le Réseau Liberté, le Remue-Méninges François Legault, ils croient tous loger sous ce chapiteau, une excroissance de libertés réelles. Or on aboutit dans un planisphère qui a oublié la troisième dimension. “Payons plus en fonction du rendement” devient un principe moteur, antidote de la sclérose de la société québécoise. C’est plutôt mince comme “remise en cause fondamentale” et “entreprise de courage”.
Méfiez-vous de ceux qui en ont assez de l’indépendantisme et de sa ferveur religieuse. Ils montrent une ferveur religieuse à convaincre que les seuls vrais combats rallient des opposants qui croient ne pouvoir exister que selon les lois générales de la nation canadienne. Ce n’est pas parce que quelqu’un dénonce la ferveur religieuse qu’il y a nécessairement un lien entre ses agissements et ses dénonciations.
Ils alimentent un procès perpétuel en se fondant sur un tableau. D’un côté vous avez les zélotes religieux. De l’autre, vous avez les groupes qui se conforment au style et au fonctionnement des institutions canadiennes. Ces accusations contre la “ferveur religieuse” et “l’idéologie” procèdent d’une opposition virtuelle à quelque chose qui serait la vérité. Vous auriez l’idéologie d’un bord et les “réalités fondamentales” de l’autre.
Vous auriez les zélotes d’un bord et de l’autre les partisans de l’équilibre de ce qui existe déjà. Vous auriez les adorateurs de la partie d’un bord et de l’autre les adeptes du “tout naturel” et de ses politiques foncièrement tempérées. Il y a là un partage fervent entre la vérité de ce qui existe déjà à l’intérieur des bornes d’un régime et ce qui relèverait d’autre chose, la contre-vérité, l’idéologie, l’aveuglement religieux.
Et on re-redénonce la ferveur religieuse; exemple même d’un état où on est complice de ce que l’on dénonce, exemple même de ce que c’est que de loger dans le camp auquel on croit s’opposer par notre système de valeurs. Méfiez-vous...
André Savard


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1 commentaire

  • Jean-François-le-Québécois Répondre

    26 mai 2011

    @ A. André Savard:
    «Il vous dira peut-être que l’anglais est le latin de notre époque...».
    Je vais vous avouer que je l'ai déjà dit, mais dans certain contexte.
    C'est que j'écrivais, sur Vigile, qu'il est important d'apprendre cette langue, car elle peut servir de moyen de communication entre par exemple, deux individus qui parlent respectivement des langues maternelles que leur interlocuteur ne connaît pas. Mais attention: pas question d'apprendre l'anglais ou toute autre langue étrangère, avant d'avoir acquis de façon solide, notre propre langue, le français.
    Notez ce que j'ai écrit: j'ai décrit l'anglais comme une langue étrangère!
    Dans les universités, pendant longtemps, les thèses de doctorat étaient rédigées en latin; en Europe, les écrits concernant les affaires de l'état étaient en latin... jusqu'à ce qu'en France, François 1er décrète que dorénavant, ils seraient en français.
    Rien à voir avec l'attitude servile des incultes anglicisateurs d'un genre Elvisgrattonien, qui disent que nous devrions adopter l'anglais en milieu de travail, par exemple. Ces imbéciles utiles, au service du ROC sans le savoir, ne comprennent pas les enjeux de notre situation. Et leur «anglais», est souvent, aussi, rudimentaire, de toute façon... Ces gens sont des poids plume de la pensée!
    Je crois aussi que c'est dans sa propre langue, que l'individu est à son meilleur, de la même façon que c'est en étant soi-même qu'on est le plus fort. Les nuances de la pensée, sont difficiles à exprimer dans une langue seconde... ou troisième! Et vlan! Voilà pour les Marie Grégoire de ce monde (et en particulier de Radio-Cadenas), qui quand elles ne savent trop comment exprimer une chose en français, prononcent un mot anglais dans l'espoir d'être comprises; ou utilisent un terme anglais, pour «préciser» le sens d'un terme français qu'elles croient rare ou inusité.