«Revenir d'exil comporte des risques / Comme rentrer une aiguille dans un vieux disque», dit le poète.
Il suffit de quitter le Québec pendant quelques mois pour qu'au retour, certains détails vous sautent aux yeux. Ce qui n'était que broutilles apparaît soudain grossi à la loupe. Il s'agit souvent de petits riens, d'insignifiances, parfois de simples atmosphères. Comme ces maisons de Montréal qui exhalent l'enfermement de l'hiver même en été.
Prenez cette chaleur accablante. Je ne connais pas de pays où l'on en fait un tel plat. J'avais à peine mis le pied dans l'avion que j'ai entendu des Québécois se lamenter. Mais eux ne s'entendent pas. Je suis à Montréal depuis moins d'une semaine et j'ai l'impression que le tremblement de terre en Haïti n'est rien à côté des grosses gouttes de sueur qui perlent sur le front des banlieusards qui font la queue sur le pont Champlain. Je ne me souviens pourtant pas d'un été à Montréal sans quelques jours de chaleur tropicale.
Remarquez, cela n'a rien d'extraordinaire. Nous sommes l'image inversée de ces Français qui invoquent tous les malheurs du ciel à la moindre chute de neige. Il neige en France presque chaque année. Pourtant, chaque fois, c'est le même atermoiement, la même panique. Ne le leur dites surtout pas, car les Français sont convaincus du contraire. Comme si chaque peuple avait besoin de ces petits frissons pour briser la langueur des saisons. Eux en hiver, nous en été.
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Il y avait longtemps aussi que je ne m'étais pas fait traiter de raciste. Oui, de raciste! À force de vivre à l'étranger, on en perd l'habitude.
Partout dans le monde, les Québécois sont perçus comme un des peuples les plus accueillants de la planète. Il arrive même aux étrangers de penser que nous le sommes trop. Parfois jusqu'à la bêtise. À Paris, Berlin et Londres, j'ai entendu vanter notre ouverture à l'égard des immigrants. De ces pays, on envoie même des missions pour étudier le soin que nous mettons «à préparer le feu, la place pour les humains de l'horizon», comme le dit un autre poète.
Il fallait vraiment revenir au pays pour entendre le contraire. Sitôt débarqué, il fallait acheter le journal pour apprendre qu'un jeune réalisateur anglophone de Montréal trouvait notre cinéma trop blanc, trop francophone et trop québécois. Un peu comme ces néophytes qui trouvent que le fromage au lait cru goûte trop... le fromage. Façon polie de nous traiter de xénophobes.
Je le répète, à force de vivre à l'étranger, on perd vraiment l'habitude de vivre avec ce soupçon de racisme qui plane en permanence sur les gens d'ici. Il me semblait pourtant avoir vu des Français et des Africains dans Dédé à travers les brumes, de Jean-Philippe Duval, des Italiens dans 1981, de Ricardo Trogi, des Belges et des Congolais dans Congorama, de Philippe Falardeau, des Rwandais dans Un dimanche à Kigali, de Robert Favreau, des Tziganes dans Clandestins, de Denis Chouinard, des Italiens dans Deux secondes, de Manon Briand et des Polonais dans Nuages sur la ville, de Simon Galiero. J'ai dû rêver en découvrant que près du quart de ce dernier film avait même été tourné en polonais. Mais il semble que, comme nos lamentations sur la chaleur, monsieur Tierney, lui, n'ait rien vu de tout cela.
Il est encore plus étrange d'entendre ce genre de réflexions dans la bouche d'un artiste. Gustave Flaubert disait que Madame Bovary, c'était lui. Pourtant, aux dernières nouvelles, Flaubert n'était pas une femme. Il semble malheureusement que Jacob Tierney, lui, n'ait pas cette capacité de se reconnaître dans le discours pourtant universel d'un Claude Jutra, d'un Gilles Carle ou d'un Denis Arcand. Il lui faut, semble-t-il, de l'ethnique, de la race et de la couleur pour se sentir concerné. Qu'un Québécois francophone blanc se reconnaisse dans le dernier roman de Dany Laferrière ou qu'un Juif fasse de même dans une pièce de Tremblay traduite en yiddish lui semblera étrange. La Déclaration universelle des droits de l'homme n'est pas son affaire. Au fait, quelle était donc la couleur de son auteur?
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On aurait le goût d'expliquer à Jacob Tierney que la culture nationale est justement ce lieu patiemment élaboré au fil des siècles où chacun peut communier à l'identité partagée sans avoir à s'identifier à une couleur et à une ethnie. En 400 ans, les Québécois ont fabriqué une culture nationale qui leur est propre. Cette culture, ils l'ont forgée avec tous ceux, Autochtones, Irlandais, Écossais, Anglais, Italiens, qui ont bien voulu y contribuer. Cette culture, ils l'offrent aujourd'hui à tous ceux qui souhaitent partager leur aventure.
Mais Tierney n'a rien à faire de cette richesse culturelle. Il lui préfère un multiethnisme de pacotille au goût du jour. Ce multiethnisme que l'on cultive tout particulièrement dans les pays anglo-saxons (tiens donc!) et qui a déjà envahi la publicité. Un multiethnisme qui n'a d'autre rôle que d'ouvrir toute grande la porte à la culture mondialisée et de donner bonne conscience à ses intellectuels de service. Une culture inodore et sans saveur qui est aussi identique d'un pays à l'autre que le sont les MacDo à Paris ou à Ouagadougou.
Excusez cette poussée de fièvre, c'est probablement la chaleur!
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crioux@ledevoir.com
Maudite chaleur
On aurait le goût d’expliquer à Jacob Tierney que la culture nationale est justement ce lieu patiemment élaboré au fil des siècles où chacun peut communier à l’identité partagée sans avoir à s’identifier à une couleur et à une ethnie.
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