Pardon my french

Je sais seulement que ce film fait ressortir une insouciance linguistique que je ne partage pas.

Cinéma québécois et anglobalisation


Funkytown est le titre d'un tube disco et d'un film qui semble déjà promis à une belle carrière. Les critiques l'ont salué à l'unanimité. Le film est sorti hier partout au Québec dans un nombre très élevé de salles avant de partir à la conquête du Canada, ce qui est un bon indicateur du niveau de confiance de ses distributeurs.
Ceux-ci ont sans doute raison de croire au potentiel commercial du film, mais là n'est pas mon propos. Mon propos porte sur un aspect inusité du film: sa langue. Funkytown est en effet annoncé comme un film bilingue. Je ne sais pas pour vous, mais dans mon livre à moi, bilingue ça veut dire 50-50. Bon cop, Bad cop était un film bilingue, avec un nombre égal de répliques en anglais et en français. Funkytown est un film avec 60% de répliques en anglais contre 40% de répliques en français, même si par moments l'écart paraît beaucoup plus grand. Tout le monde dans ce film parle anglais. Patrick Huard, qui incarne le personnage de l'animateur vedette, Alain Montpetit, parle anglais, sauf quand il anime une émission de télé, ce qu'il fait à quelques courtes reprises et pendant quelques courtes secondes. Paul Doucet, qui joue avec brio le défunt Douglas «Coco» Leopold, parle lui aussi anglais mur-à-mur, même si dans la vraie vie, il parlait un charmant franglais. Et ainsi de suite jusqu'au personnage de Raymond Bouchard, un homme d'affaires qui hait les «séparatisses» comme seul un Québécois de souche unilingue peut les haïr.
Ce film est tellement anglofun qu'il a reçu son financement du programme anglais de Téléfilm Canada. C'est tout dire.
Où est le problème, demanderez-vous? N'avons-nous pas dépassé le stade infantile des vaines chicanes linguistiques «maintenant que les deux solitudes mangent ensemble et vivent ensemble», comme l'a déclaré Patrick Huard à un journaliste de La Presse canadienne.
Je ne sais pas si nous avons dépassé ce stade. Je sais seulement que quand je vais voir The Trotsky de Jacob Tierney, je sais exactement ce que je vais voir: un film anglophone métissé de français signé par un cinéaste anglo-montréalais. Le problème de Funkytown, c'est son marketing opportuniste qui joue sur les deux tableaux et tente de faire croire au public québécois qu'il va voir la version disco des Boys alors qu'il s'en va voir un film sous-titré où l'anglais l'emporte largement sur le français.
Mais ce qui me dérange le plus dans cette affaire et qui n'a rien à voir avec les qualités intrinsèques de Funkytown, c'est que son marketing opportuniste marche à pleine vapeur auprès des médias francophones qui ont acheté l'idée d'un film bilingue et l'ont vendu comme tel.
Mieux encore: tous mes camarades critiques, tous sans exception, m'ont avoué qu'ils n'avaient même pas remarqué la disproportion entre l'anglais et le français. Que pour eux, tout cela était normal et naturel et que prétendre le contraire, c'est être un dinosaure parano, pas cool et débranché des réalités actuelles.
Je ne sais pas si je suis ce dinosaure-là. Je sais seulement que ce film fait ressortir une insouciance linguistique que je ne partage pas. Surtout quand je me promène dans le centre-ville de Montréal et que je suis obligée de dire «pardon my french» aux jeunes vendeuses des boutiques.
Comprenez-moi bien. Funkytown est un film percutant dont le grand mérite est de vouloir montrer que la scène disco de Montréal était farouchement antinationaliste et portait en son sein inconscient l'échec du premier référendum. Fallait-il mettre autant d'anglais pour en faire la démonstration, je n'en suis pas sûre. Chose certaine, 30 ans plus tard, le Montréal de 2011 ressemble par moments un peu trop au Montréal du Limelight. Il y a toutefois une grande différence: le disco est mort et l'anglais, plus fort que jamais.


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