Par Eric Mandonnet, Romain Rosso -
Celle qui a de bonnes chances de succéder à son père inquiète de plus en plus le pouvoir. Et si elle était la grande gagnante du climat actuel, marqué par les affaires?
Le secrétaire d'Etat aux PME, Hervé Novelli, était déjà préoccupé avant. Avant que le climat pourri n'envahisse la scène politique, que le gouvernement ne se délite. Dans une note, puis au cours d'un tête-à-tête avec Nicolas Sarkozy, après les régionales, il avait pointé le danger que représente Marine Le Pen : "Elle s'est opposée à son père à chaque outrance, elle a une force de pénétration dans notre électorat impressionnante." Aujourd'hui, ses craintes redoublent.
La droite s'inquiète, la droite s'affole. De la polémique déclenchée, au début d'avril, autour du compagnon de la conductrice verbalisée pour avoir porté un niqab au volant, à Nantes, à l'émotion suscitée par le drame d'un homme battu à mort au bord d'une autoroute dans les Yvelines, le 26 juin, en passant, donc, par les affaires, elle constate à quel point les questions d'identité, d'immigration, de sécurité et de morale rejaillissent dans l'opinion. Avec toutes les conséquences politiques qui peuvent en découler. "Marine Le Pen apparaît comme une mère de famille, pas comme une extrémiste, elle réussit sur des thèmes populaires, donc elle peut faire mal", remarque le secrétaire d'Etat à l'Intérieur, Alain Marleix - argument qu'un député UMP résume d'une formule: "On n'imagine pas une mère mettre les gens dans un train..." "Elle constitue un vrai danger, ajoute le ministre de l'Agriculture, Bruno Le Maire. J'ai reçu des maires d'un canton qui a voté pour le Front national à 20 %, les électeurs recommenceront d'autant plus facilement que Marine Le Pen est une bonne candidate." "Elle est plus adroite que son père, elle ne fera pas les mêmes dérapages que lui", complète la garde des Sceaux, Michèle Alliot-Marie.
Elle dit ce que disait le RPR il y a quinze ans!
Entre le père et la fille, ce n'est certes pas l'idéologie qui fait forcément la différence. Eric Woerth a reçu les deux ensemble, lors de ses consultations sur la réforme des retraites. "Ils sont pareils, sauf qu'elle a les mots de sa génération et la vivacité de son âge", raconte le ministre du Travail. Une nuance qui trouble tout de même la base UMP. Secrétaire national du parti présidentiel chargé des fédérations, Edouard Courtial a été frappé par le nombre de militants sarkozystes qui lui parlaient d'elle : "Quand allez-vous travailler avec Marine?" Convaincu que le vrai danger, lors de l'élection présidentielle de 2012, se situe plus à l'extrême droite qu'au centre, Thierry Mariani, député du Vaucluse, confirme l'ampleur du problème : "De plus en plus de sympathisants me font remarquer qu'elle n'est ni raciste ni antisémite, qu'elle n'a jamais été condamnée, qu'elle exprime tout haut ce que les deux tiers de nos adhérents pensent tout bas et, surtout, qu'elle dit ce que disait le RPR il y a quinze ans!" Du coup, il vient d'annoncer la création d'un club, "Droite populaire".
Le doute gagne aussi certains petits élus. Un maire divers droite d'un village rural de Normandie, dans lequel le FN a atteint les 30 % aux régionales de mars, l'avance sans détour : une fois Jean-Marie Le Pen parti, il faudra "réconcilier les droites" : "Les socialistes l'ont bien fait avec le PC, pourquoi pas nous?"
Les états-majors parisiens de la majorité présidentielle se montrent certains de résister demain à toute tentation d'alliance avec un FN sous présidence Marine - ce qui ne fut pas toujours le cas dans le passé. Pour Patrick Devedjian, ministre de la Relance, "Marine Le Pen ne pourra pas s'associer à la droite : celle-ci n'en voudra jamais car elle s'appelle Le Pen. Son nom est son avantage et sa limite." Le sénateur maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin, se montre plus prudent : "Personne n'osera toucher à la règle de non-alliance tant que Jacques Chirac sera vivant."
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Elle déteste Copé mais respecte "MAM"
Son premier jugement se veut sans appel. Quand elle observe la droite, Marine Le Pen évoque d'abord "un robinet d'eau tiède" et dit préférer le porte-parole du PS, Benoît Hamon, ou le président du Parti de gauche, Jean-Luc Mélenchon, au verbe plus tonitruant. De fait, dans la majorité présidentielle, elle a ses têtes de Turc : le président du groupe UMP à l'Assemblée nationale, Jean-François Copé, qu'elle a affronté lors des élections régionales de 2004 et qu'elle déteste cordialement ; le ministre de l'Immigration, Eric Besson, qu'elle trouve "pitoyable".
Mais son propos se nuance lorsqu'elle aborde le cas d'autres personnalités. Elle ne dissimule pas qu'elle éprouve "beaucoup de respect" pour la garde des Sceaux, Michèle Alliot-Marie, et qu'elle aime bien le ministre de l'Ecologie, Jean-Louis Borloo, "hors norme, brillantissime, intelligent". Elle se montre aimable vis-à-vis de Christine Lagarde, qui, à Bercy, "défend bien l'indéfendable", et elle a aussi remarqué le talent de la secrétaire d'Etat à la Prospective, Nathalie Kosciusko-Morizet. De Nicolas Sarkozy, elle relève simplement qu'il a "une forte personnalité".
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La vice-présidente du Front se délecte de gêner ainsi la majorité. "Aux régionales, c'est dans les cantons où l'on avait perdu le plus de voix au profit de Nicolas Sarkozy en 2007 que l'on a le plus fortement remonté", se réjouit-elle, en relevant aussi la percée du FN auprès des personnes âgées, "colonisées jusque-là par l'UMP", et au sein d'un certain électorat "bourgeois" (professions libérales, artisans, commerçants), qui avait assuré son succès dans les années 1980. Pour la première fois depuis cette époque, son meilleur score à Paris s'est situé dans le XVIe arrondissement. Au Touquet, station chic du Pas-de-Calais, la liste de Marine Le Pen égale le score de son père au premier tour de la fameuse présidentielle de 2002. "L'électorat du FN reste dans l'attente, nuance Pascal Perrineau, directeur du Centre de recherches politiques de Sciences po (Cevipof). Quand Nicolas Sarkozy lancera sa campagne, beaucoup vont se repositionner."
Pour l'heure, Marine Le Pen, qui espère, à terme, couper le cordon sanitaire autour du FN, travaille sa respectabilité: "Depuis huit ans, je donne de nous auprès des sympathisants UMP l'image d'un parti normal." Elle est persuadée d'avoir marqué des points durables dans cet électorat de droite - "en proie au doute" - en lançant la polémique sur le livre de Frédéric Mitterrand à l'automne dernier et souligne qu'en "nommant des bobos de gauche partout, Sarkozy a violé sa promesse de rompre avec l'esprit de Mai 68, qui était un axe fort de la présidentielle - pour les gens de droite, ces personnalités sont des antivaleurs". Une analyse qu'elle a transformée en argument électoral durant les régionales.
Dans la perspective de 2012, la prétendante à la succession de Jean-Marie Le Pen (elle sera opposée à Bruno Gollnisch ; les candidatures sont officielles depuis le 1er juillet) a déjà commencé à roder des thèmes de campagne auxquels une partie de la majorité est naturellement sensible : régulation de l'immigration, lutte contre le "mondialisme", attachement à la tradition, fermeté contre l'insécurité, moralisation de la vie politique. Elle veut donc séduire, mais sans se laisser embrasser. "Je ne rentrerai pas dans un gouvernement UMP, car il réalise tout ce que je combats", affirme-t-elle, sûre de peser plus avec un FN à 15 ou 18 % qu'avec deux portefeuilles ministériels. Et de souligner une vraie différence, à ses yeux, avec les responsables de droite : "Moi, je n'éprouve pas de fascination pour le pouvoir."
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