«Ma vision de l’identité nationale»

Brice Hortefeux contribue au débat organisé par «Libération» toute la semaine dernière.

FRANCE - débat sur l'identité nationale

Brice Hortefeux / Reuters

L ibération a consacré son premier dossier d’été à la question «Comment peut-on être français ?» J’ai lu avec intérêt les articles, tribunes et interviews parus la semaine dernière à ce sujet dans vos colonnes. Certains m’ont convaincu, d’autres moins. Permettez-moi d’exposer à mon tour ma vision de l’identité nationale.
Définir l’appartenance d’un individu à autre chose que lui-même est un exercice délicat. C’est délicat parce c’est l’inscrire dans un cadre, lui imposer une condition. C’est presque lui ôter une partie de sa liberté.
Pourtant, quels que soient notre parcours, nos habitudes et nos aspirations, nous appartenons à une communauté de destin. La définir, c’est lui donner un sens. Savoir qui l’on est, c’est aussi comprendre où l’on va.
Ma première remarque relève du constat : jusqu’à aujourd’hui, il était assez simple de se sentir Français. Qu’on le veuille ou non, plusieurs vecteurs contribuaient au sentiment d’identité nationale. Par exemple, le service national donnait à de nombreux concitoyens une occasion de vivre physiquement le patriotisme, ce qui passait, d’ailleurs, par le brassage d’origines différentes. L’appareil d’Etat a, lui aussi, longtemps structuré notre identité nationale. Les systèmes de communication relevaient souvent de l’Etat avec, par exemple, jusqu’en 1975, le monopole des chaînes publiques de télévision dans le cadre de l’ORTF.
Les temps ont changé : le service national a été suspendu et la communication, en grande majorité, privatisée au profit d’une multitude de chaînes thématiques. Qu’on le veuille ou non, une bonne partie de ce qui forgeait la Nation française s’est disloquée.
Beaucoup de facteurs extérieurs ont aussi fait évoluer les habitudes et les mentalités.
Avec l’entrée en vigueur du traité de Rome, le principe de libre circulation des personnes a fait exploser les frontières. Parallèlement, les échanges se sont mondialisés et Internet a éliminé de nombreuses barrières. Les offres d’identités se sont élargies ; les sentiments d’appartenance se définissent désormais selon les orientations, les centres d’intérêt et autres passions.
Les communautarismes se développent, avec leurs revendications au point, par exemple, que la mémoire des morts «pour» la France passe aujourd’hui après la promotion de ceux qu’on présente comme morts «à cause» d’elle. Puisque désormais l’on peut être Français, entre autres ou par exemple, au nom de quoi l’identité nationale serait la seule dont on ne pourrait plus parler ? Cette identité-là a même le double mérite de constituer un rempart contre le communautarisme et d’incarner des valeurs qui nous dépassent.
La fin de l’évidence du sentiment d’identité nationale a au moins pour vertu qu’être Français se vit désormais comme un choix plus que comme une condition. La France suscite l’adhésion plus que la soumission. L’identité se base avant tout sur ce que chacun souhaite apporter à son pays plus que ce dont il peut hériter. Mieux que le vivre ensemble, il s’agit de bâtir ensemble. C’est cela, désormais, être Français.
Nicolas Sarkozy avait inscrit au cœur de sa campagne le thème de la crise du travail. La politique des flux migratoires que je conduis, dans le cadre des engagements du président de la République et du Premier ministre, incarne cette vision. Avec 94 500 premiers titres de séjour délivrés en 2005, l’immigration familiale reste le principal vecteur de l’immigration en France, loin devant les flux d’étudiants (49 000) et de travailleurs (13 600). Aujourd’hui, en France, seulement 7 % des titres de séjour accordés le sont pour des raisons professionnelles. Nous allons rééquilibrer la part d’immigration économique par rapport à celle de l’immigration familiale puisqu’en, agissant ainsi, nous adresserons un message à ceux qui, parmi eux, veulent devenir Français comme à ceux qui le sont déjà : celui du projet, plus que celui de l’héritage.
Le devoir de mémoire ne suffit plus, il faut aussi le devoir de servir. Né d’un père italien et d’une mère polonaise, Guillaume Apollinaire avait choisi le français pour langue et la France pour patrie. Il fut engagé volontaire en 1914 pour défendre un pays qui était le sien par l’amour qu’il lui portait.
La France a aussi été servie par l’intermédiaire de sa langue. De grands écrivains et poètes d’origines étrangères, tels Léopold Sedar Senghor, Samuel Beckett ou, aujourd’hui, Tahar Ben Jelloun, ont employé avec talent la langue française. Plusieurs personnalités d’origines étrangères, Hector Bianciotti, François Cheng et Assia Djebar, sont aujourd’hui membres de l’Académie française. En créant un ministère qui lie immigration et identité nationale, nous avons voulu reconnaître le fait que les deux notions sont intimement liées. L’écrivain Gaston Kelman soulignait très justement, dans vos colonnes, qu’en créant ce ministère, nous reconnaissons, officiellement, pour la première fois, que l’immigration est constitutive de notre identité. Ce ministère permet de retisser le lien qui s’est distendu entre nation et immigration.
L’identité nationale n’est pas figée, bien au contraire, et la promotion de notre identité ne révèle strictement aucune hostilité à l’égard des immigrés. Loin de considérer l’immigration comme un problème en soi, nous pensons même que c’est la référence à l’identité qui donne du sens à l’immigration et qui permet l’intégration.
La conjonction des termes, qui alimente les tribunes plus qu’elle ne dérange le peuple électeur, ne révèle ainsi aucune intention malheureuse. Ne nous y trompons pas : si le modèle social français, dont l’ambition est l’équité, est aujourd’hui en panne, ce n’est pas à cause des mots, mais bien en raison d’un manque de politique qui porte un nom. Le racisme et la xénophobie proviennent de l’absence d’idées, et non de l’addition de mots.
Pour contribuer à une réflexion que je souhaite mûrir, j’ai reçu plusieurs historiens et intellectuels, et je continuerai à le faire. Quelques-uns d’entre eux ont souhaité créer un observatoire du ministère pour «surveiller» son action. Non seulement je les approuve, mais je les y encourage, tant je demande à être jugé sur mes actes plus que condamné sur des mots.
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Brice HORTEFEUX, ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Codéveloppement.

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Brice HORTEFEUX, ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Codéveloppement. (France)





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