Lorsque la Démocratie vacille

Lettre d'un modeste Citoyen au Président de la République française...

Élection présidentielle française

Par Yves Besançon - Objet : lorsque la Démocratie vacille.....

Monsieur le Président de la République,


Que ce soit par vos réformes institutionnelles déjà mises en œuvre ou à venir, ou par l'orientation de votre politique économique et sociale, vous cumulez, Monsieur le Président de la République, depuis votre élection en mai 2007, tous les travers les plus dangereux d‘une droite populiste et démagogique qui n'a de cesse de servir les intérêts d‘une poignée de nantis.

Commençons par les réformes institutionnelles. En qualité de citoyen-démocrate, je ne peux qu'être consterné et inquiet du retour d'un contrôle explicite du pouvoir exécutif des médias audiovisuels par la nomination directe de leurs directeurs par vos soins. Vous avez apparemment bien compris, en tant que monarque inavoué, que le contrôle de l'information est stratégique du point de vue de la conquête et de la préservation du pouvoir ! En ayant une mainmise indirecte sur le journal télévisé de TF1, votre ombre est maintenant aussi, comme au « mauvais mieux temps » d'un Ministère de l'information, présente dans les salles de rédaction de l'information diffusée par le service public, et cela au moyen le plus subtil et insidieux possible, l'autocensure des journalistes... lorsque ce n'est pas leur complaisance par rapport au pouvoir !! J'entends néanmoins encore, fort heureusement, sur certaines ondes, des journalistes qui résistent à cette intimidation du pouvoir du Prince....... , mais pour combien de temps ?
Ma consternation est à son comble concernant les réformes envisagées pour la justice. La mainmise sur la diffusion de l'information ne saurait vous suffire. Pour aller un peu plus loin dans vos aspirations profondes de monarque absolu, vous envisagez de remettre en question la sacro-sainte séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire par la suppression du juge d'instruction, dissociation pourtant fondamentale pour l'indépendance de la justice comme l'énonçait déjà Montesquieu dans « L'esprit des lois » et sur la nécessité de laquelle s‘accorde l'immense majorité du corps des magistrats et des avocats.
On dérive toujours un peu plus par rapport au cap de la Démocratie, lorsqu'il n'est pas improbable que bientôt vous organisiez la mort des jurys populaires pour les cours d'assises, en confiant l'exercice du verdict à des jurés professionnels. Je rappelle l'étymologie de démocratie : «démos» le peuple, à ne pas confondre avec «sarkos», et «kratos» le pouvoir.....le pouvoir pour et par le peuple......
Avec la politique sécuritaire du gouvernement, on passe de la dérive au naufrage démocratique, que l'on fasse référence aux expulsions de réfugiés politiques inacceptables la part d'une nation se proclamant respectueuse des droits de l'homme, ou de la progression spectaculaire des mises en garde à vue......sans parler d'un discours de répression sécuritaire de bas étage peu glorieux de la part d'un Président de la République !
Enfin, et pour conclure sur les inquiétudes d'un modeste citoyen attaché à sa démocratie vacillante sous vos cieux, mon indignation est un doux euphémisme face aux dérapages verbaux racistes de votre Ministre de l'intérieur, Ministre qui n'a même pas eu la décence de démissionner après sa condamnation ! Si à cela on ajoute le débat sur l'identité nationale lancé par un pauvre homme en quête de responsabilités, votre Ministre de l'immigration, ou encore le tsunami dans un verre d'eau autour de la burqua mis en scène par le gouvernement, voilà trois illustrations d'une droite chassant encore sur les terres de la xénophobie, décalée sociologiquement et tristement encore «dérangée » par ce qui fait aujourd'hui aussi une richesse de la France : une France plurielle façonnée par le multiculturalisme. Et, à ce propos, il serait souhaitable que vous rappeliez à Monsieur Hortetefeux un savoir anthropologique de base : avant d'être de telle ou telle nationalité par l'heureux ou malheureux hasard de la naissance, nous sommes tous africains......

Je m'exprimais précédemment en simple citoyen-démocrate ; je laisse place maintenant au social-démocrate.......un vrai, l'un de ceux qui reste stupéfait par votre démagogie qui atteint ses sommets lorsque vous n'hésitez pas dans vos discours à vous réclamer étrangement d'une figure emblématique de la social-démocratie, un certain Jean Jaurès !
La droite a cette extraordinaire «habileté» de conquérir le pouvoir à l'aide de thèmes de campagne électorale profondément fallacieux. On se souvient de la «fracture sociale» de votre prédécesseur, Jacques Chirac, qui ne proposait absolument rien dans son programme pour vraiment réduire les inégalités économiques et sociales accentuées par la crise économique de la fin du XX siècle.....et qui en final n'a strictement rien fait pour les résorber,......et pour cause, en particulier, ses revenus mensuels conséquents liés à une «carrière» politique bien chargée en matière de cumul des mandats !....Encore loin le temps où on ne pourra plus s'enrichir en faisant de la politique......!
En ce qui vous concerne, ce fut le grand chantier du «travailler plus pour gagner plus», une politique au service seulement des intérêts des plus favorisés, mais bien camouflée, et surtout remarquablement vendue auprès de l'immense majorité du peuple n'ayant aucun intérêt à ce qu'elle soit mise en œuvre,...... et cela grâce, en particulier, à l'une de vos qualités premières de monarque, l'art de la communication sophiste et/ou populiste. En quoi ce thème central de votre campagne reste l'une des plus grandes escroqueries électorales dans le cadre des élections présidentielles au suffrage universel direct en France ?
Tout d'abord, en revendiquant ce slogan haut et fort, vous n'avez eu de cesse d'être dans la contre-vérité et le contresens historique en dénonçant les 35 heures. Je vous rappelle que le sens de l'histoire, tout du moins tel qu'il s'exprime dans nos pays riches depuis la fin du XVIII siècle, c'est au contraire de travailler de moins en moins tout en accédant à un pouvoir d'achat croissant, et cela via l'élévation de l'efficacité productive des hommes, la hausse de la productivité globale des facteurs de production pour être un peu plus technique. Par ailleurs, dans un contexte de chômage élevé, les 35 heures s'inscrivaient aussi dans un objectif de partage du travail, objectif partiellement atteint si l'on se réfère aux études empiriques d'un institut qui vous dérange souvent par ses conclusions, l'Insee, qui a montré que cette mesure de réduction du temps de travail a été à l'origine d'une création nette de l'ordre de 350000 emplois !
Manipulateur dans le discours, vous avez été en revanche d'une honnêteté irréprochable quant à la mise en œuvre effective du «travailler plus pour gagner plus».
Dans un contexte de 2 millions de chômeurs officiels lorsque vous prenez vos fonctions, vous n'hésitez pas, en effet, à défiscaliser les heures supplémentaires, au plus grand mépris des sans-emplois qui ont ainsi encore un peu moins d'opportunités de recouvrer un emploi, ou des travailleurs aux métiers pénibles qui n'ont nullement les ressources physiologiques pour faire des heures supplémentaires ! Les résultats des premières études, vous les connaissez tout comme moi : la défiscalisation des heures supplémentaires, tout en nuisant à la création d'emplois, a contribué à renforcer un peu plus les inégalités de revenus en ne profitant essentiellement qu'aux cadres !!
Mais votre mépris pour l'ensemble du monde du travail et de ses exclus, vous l'exprimez pleinement par vos premières mesures de politique économique et sociale de l'été 2007, lois servant directement et uniquement la caste des «ultra-privilégiés», qu'il vous fallait bien évidemment remercier pour leur soutien financier électoral : abaissement du bouclier fiscal à 50 % et réduction des droits succession pour les gros patrimoines..... ce qui a amené l'État à faire des chèques conséquents de plusieurs millions d'euros à ces pauvres malheureux qu'il ne faut surtout pas démotiver, ni au travail, ni à l'épargne, par une fiscalité incitative à la fuite des capitaux. Petit fait anecdotique, mais tout autant symbolique de cette belle escroquerie légale (!) orchestrée par la majorité actuelle : le chèque remis à la famille Bettencourt a été de l'ordre de 30 millions d'euros (l'équivalent du financement de la construction de 2000 logements sociaux !!!!!!!!!!!!!!!!!!!) pour un patrimoine estimé à près de 17 milliards d'euros.......Et, le montant de la fraude fiscale n'est pas encore connu....!....Le sera-t'il d'ailleurs vraiment un jour ??????....avant la fin de l'indépendance de la justice, faut-il l'espérer !
En analysant un peu plus la méthode de «la redistribution inversée» pour laquelle vous semblez avoir un certain talent , je parlerai même de grand mépris pour la social-démocratie en général, car même avant les retombées de la crise financière à partir de 2009, vous étiez déjà dans l'héritage thatchérien à la française du «moins d'impôts pour moins d'État....et réciproquement ! ». Pour le «moins d'impôt» , je ne reviendrai pas sur les grands bénéficiaires.....! Quant au «moins d'État», avec notamment la suppression massive d'emplois dans la fonction publique, je vous rappellerai simplement un enseignement de base de notre histoire économique et sociale, que vous méconnaissez ou feignez de méconnaître (?!) : le développement de l'État-providence a été le ressort fondamental du développement économique et sociale de la France au XX siècle. En le déshabillant aujourd'hui, vous hypothéquez gravement la croissance et plus généralement le développement économique et social des décennies à venir, ne serait ce qu'en tournant le dos sciemment à ses nobles ambitions, à savoir, garantir une cohésion sociale et introduire toujours un peu plus d'équité dans la répartition des richesses produites.
Le grand schisme entre la droite et la gauche est précisément la réponse apportée à la question de l'équité dans la distribution des richesses et la rémunération du travail, au niveau national bien sûr, mais aussi au niveau mondial entre pays riches et pays pauvres. Alors qu'il est plus qu'urgent et évident, à la lumière de la crise actuelle, d'entrer dans une nouvelle phase du capitalisme, celle d'un capitalisme régulé au niveau notamment de la rémunération du travail et du capital, vous restez fidèle à cette droite traditionnelle qui soigneusement évite la question, tant il est vrai que ses réponses desserviraient vos intérêts personnels et ceux de votre caste que vous défendez : si l'on prend comme base d'appréciation les rémunérations des uns et des autres, votre travail rémunéré à près de 20000 euros nets par mois serait-il vingt fois plus méritant et/ou plus utile pour la société et/ou plus pénible, que celui d'une caissière, d'un ouvrier agricole, d'un travailleur du bâtiment, d'un marin pêcheur, d'un éboueur ? Comment justifier qu'un PDG puisse en une année gagner trois siècles de Smic, que des rémunérations annuelles de grandes stars du monde sportif puissent atteindre dix siècles de Smic ? Comment légitimer un âge identique de départ à la retraite pour des travailleurs ayant des différentiels importants d‘espérance de vie liés à la variabilité de la pénibilité des métiers ?....................Une seule réponse : l'imposture !....et la complicité encore bienveillante d'un État qui, certes, corrige à dose homéopathique par la redistribution ces scandaleuses inégalités, mais reste passif sur l'essentiel, notamment l'instauration d'une réglementation plafond sur les rémunérations et la mise en œuvre d‘une réforme des retraites juste socialement donnant une réponse en profondeur au problème de la pénibilité des métiers.
Lorsque vous parlez de moralisation du capitalisme, plus personne n'est dupe. Tout le monde a bien saisi qu'un tel discours fait partie de votre registre privilégié : la manipulation ! Que l'on parle de la spéculation sur les marchés financiers, des obligations du système bancaire en matière de financement de l'économie après son renflouement par nos impôts, des rémunérations vertigineuses de certaines catégories d'actifs, de la réduction du train de vie de l'État, vous êtes toujours dans la même logique : un discours superficiel populiste et démagogique purement électoraliste, suivi ensuite du néant en termes de réformes concrètes !.........ou de contre-feux, comme dans le cadre de l'affaire Woerth-Bettencourt, affaire d'état éveillant gravement un doute sur l'impartialité de l'État......je pense notamment à la «démission-spectacle» des secrétaires d'État, Alain Joyandet et Christian Blanc, et la charge calomnieuse par la majorité actuelle contre les journalistes ne faisant pourtant qu'honorer pleinement la liberté de l'information et leurs responsabilités en matière d'investigation pour le plus grand bien de la Démocratie !!
Même apparemment les classes populaires, si l'on en juge par les résultats des enquêtes d'opinion récentes ou le sentiment de nos élus sur le terrain, commencent à comprendre la stratégie sarkoziste de communication, ces classes populaires que vous êtes obligé de manipuler pour obtenir une majorité..... Celles que vous voulez endormir par une information bienveillante par rapport au pouvoir pour préparer le terrain des élections présidentielles de 2012....Celles auxquelles vous mentez lorsque vous vous aventurez sur le terrain de l'égalité des chances face à la réussite scolaire, sachant pertinemment que la politique suivie depuis plusieurs décennies est une politique de massification et non de démocratisation scolaire.....une politique qui, de fait, ne remet absolument pas en cause la reproduction sociale.....Et une politique que vous consacrez pleinement par une suppression historique du nombre de postes d'enseignants (45000 en trois ans !).....Celles que vous trompez doublement, d'une part, en présentant le choix de la réduction des dépenses publiques comme la seule alternative possible à la crise des dettes souveraines, d'autre part, en osant parler d'équité dans la répartition des sacrifices, lorsque dans un même temps vous vous obstinez à maintenir le bouclier fiscal et vous envisagez le gel des salaires des fonctionnaires en 2011, déjà victimes d'une réduction de leur pouvoir d‘achat au cours de ces dix dernières années....ou que vous défendez un projet de réforme des retraites qui prévoit de faire supporter l'essentiel des efforts financiers sur le monde du travail (85 % !)

Voilà, Monsieur le Président de la République, un tableau certainement pas exhaustif de la réalité, mais déjà bien amère pour tous les citoyens-sociaux-démocrates. Il ne me reste plus à espérer que votre mandat touche définitivement à sa fin en 2012 et que l'on puisse rapidement rattraper le temps perdu du point de vue de l'épanouissement de la Démocratie et de l'avancée vers un capitalisme régulé respectueux enfin (!) d'une répartition équitable des richesses.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé