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Les univers linguistiques parallèles

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Babel à Montréal






En matière linguistique et culturelle, force est de constater qu’il existe encore deux grands univers parallèles au Québec et au Canada en 2015. N’importe quel touriste, témoin extérieur de notre réalité, le confirmera. Par ailleurs, on n’a qu’à lire les pages éditoriales des grands journaux anglophones ou encore les commentaires tristement francophobes des lecteurs pour se faire une idée de la distance cosmique qui sépare les univers francophone et anglophone. Certains y voient une richesse et n’ont de cesse de vanter les vertus de cette stéréophonie linguistique, ou plutôt de cette cacophonie anglicisante, mais c’est là faire oeuvre de mystification, compte tenu de l’impossibilité pratique du bilinguisme institutionnel, largement démontrée par le fiasco du projet trudeauiste d’un Canada bilingue, et des problématiques réelles et profondes que cela nous pose.


 

Des chroniqueurs visiblement irrités par la seule existence de la loi 101 ne se gênent pas pour surnommer les inspecteurs de l’Office québécois de la langue française (OQLF) les « Tongue Troopers », qualifiant du même souffle les défenseurs du français de « Language Hawks », quand on ne les traite pas explicitement de fascistes… Du côté francophone, quoique l’enflure verbale atteigne plus rarement de tels sommets de détestation et de mauvais goût, il arrive à l’occasion, disons-le, que certains commentateurs laissent libre cours à leurs frustrations, sans doute accumulées au fil de décennies de combats « fatigants » pour l’âme québécoise, comme le pensait Hubert Aquin. Même René Lévesque, qui n’a jamais été reconnu comme haïssant les Anglais, bien au contraire, employait une formule sensiblement péjorative pour qualifier cette intransigeante minorité qui sévit au sein de la communauté anglo-montréalaise : les « Rhodésiens de Westmount ». En 2015, à la lumière de la plus récente controverse illustrant le rejet radical du Québec français par certains militants de l’Ouest-de-l’Île, il faut croire en tout cas que ce n’est pas demain la veille qu’on peut s’attendre à une « paix linguistique » en ce pays.


 

Un activisme canadianisateur malsain


 

De toute évidence, le principe du français, langue commune au Québec, contenu dans la loi 101, et pourtant le seul véritable gage de cette paix linguistique quand on y pense, déplaît toujours autant à une portion de la communauté anglophone.


 

Ainsi, l’avocat Harold Staviss, de Hampstead, et la conseillère municipale de Côte-Saint-Luc Ruth Kovac ont déployé une campagne agressive, « d’intimidation » diront certains, auprès des petits et grands commerçants du centre-ville de Montréal afin de bilinguiser leur affichage. Cela, pour mettre fin à ce qu’ils appellent « la discrimination à l’égard de la communauté anglophone », comme pour nous tirer les larmes des yeux. Ces militants font sans cesse pression auprès du ministère québécois des Transports pour que la signalisation routière soit bilingue. Également, ils insistent sans relâche auprès des services municipaux de Montréal pour que leurs comptes Twitter soient bilingues. Rappelons que la vaste majorité des anglophones de langue maternelle comprennent bien le français, langue commune du Québec.


 

Bilinguisme institutionnel = anglicisation


 

Comme on l’a si souvent répété, « au Québec, mettre les deux langues sur le même pied, c’est mettre les deux pieds sur la même langue ». Le linguiste Albert Dauzat considérait que le bilinguisme constituait une situation transitoire d’une langue minoritaire à une langue majoritaire.


 

Tout ouverts qu’ils soient à l’idée d’apprendre et de parler plusieurs langues, les Québécois ont toutefois décidé collectivement de faire du français leur seule langue officielle. À l’image d’une centaine d’autres nations à travers le monde, nous avons adopté en 1977 la Charte de la langue française, une loi juste et équilibrée visant à garantir un avenir au Québec français, notamment par l’intégration des nouveaux arrivants, et à favoriser l’épanouissement du français dans tous les secteurs de la vie publique, jadis dominée par l’anglophonie. Par la même occasion, le législateur québécois a voulu s’assurer qu’en toute équité, la communauté historique anglaise préserve sa langue, sa culture et ses institutions, lesquelles se révèlent d’ailleurs fort vigoureuses.


 

Malgré ces efforts, les tribunaux canadiens ont grandement charcuté et affaibli la loi 101 au fil du temps, de sorte qu’elle n’est plus l’ombre de ce qu’elle fut à l’origine. En conséquence, la langue française régresse « slowly but surely » au Québec, quoiqu’en pensent les mystificateurs.


 

En 1996, la proportion de Québécois ayant le français comme langue d’usage était de 55,6 % sur l’île de Montréal. D’ici 2056, cette proportion chutera à 43 %, selon les projections démographiques du démographe Marc Termote. Au Québec, cette proportion aura diminué d’environ 83 % à 73 % durant la même période, si aucune mesure structurante n’est prise pour contrer la situation. C’est sans parler de la situation historique des francophones de langue maternelle dans l’ensemble du Canada, dont le poids démographique est passé d’environ 45 % depuis l’époque du fameux rapport Durham, à plus ou moins 29 % au début de la Confédération, pour se retrouver à 21 % en 2011…


 

Notre avenir commun


 

Dans ce contexte, et compte tenu de l’importance de préserver la diversité culturelle dans le monde, n’est-ce pas légitime que tous les moyens justes et raisonnables soient pris afin non seulement de pérenniser le fait français au Québec, mais également de travailler à son développement ? Il nous semble que l’ère des « Rhodésiens de Westmount » rejetant systématiquement le Québec français, devrait être révolue depuis longtemps. Il y a de la place pour tous et toutes dans l’univers québécois, dans cette société à la fois singulière et plurielle, fière de sa francité autant que de sa diversité. Cessons donc de vivre dans deux univers linguistiques parallèles. Faisons converger nos univers en embrassant notre avenir commun, en français.







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