La hantise d'une décote n'était pas la seule raison qui avait poussé Lucien Bouchard à se lancer à la poursuite du déficit zéro au printemps 1996. Dans son esprit, la défaite du oui s'expliquait en bonne partie par l'insécurité financière des Québécois et il avait probablement raison.
«La rupture au Québec, ça ne marche pas», disait-il mardi soir dernier. En réalité, les résultats du référendum auraient sans doute été différents si le Québec avait été aussi riche que l'Alberta.
M. Bouchard croyait d'autant plus au facteur de l'insécurité qu'il la ressentait personnellement. Il était renversant de voir à quel point cet homme, dont l'élévation au poste de premier ministre avant sanctionné la réussite, était impressionné par l'argent et par ceux qui en avaient.
Jamais Jacques Parizeau n'aurait sué à grosses gouttes devant les jeunes analystes de Standard and Poors qui ont tellement effrayé son successeur. Le récit de son voyage humiliant à New York en mars 1996 rappelait l'époque où les gouvernements d'avant la Révolution tranquille s'agenouillaient devant la «haute finance» anglo-montréalaise.
Cette espèce de misérabilisme, qu'affectait déjà M. Bouchard quand il couchait dans son bureau du «bunker» à Québec, est franchement détestable. Le «né pour un petit pain» a fait son temps.
Contrairement à M. Parizeau, à Bernard Landry ou encore à Robert Bourassa, M. Bouchard n'est pas économiste et ce qu'on connaît mal fait toujours un peu peur. On n'attend cependant pas d'un leader qu'il transmette ses propres peurs à la population. Son rôle est plutôt de dissiper celles que d'autres cherchent à alimenter.
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Certes, «il faut accepter de voir en face les obstacles sur notre route». L'impasse budgétaire actuelle est bien réelle et un redressement s'impose d'urgence avant que la situation ne devienne carrément catastrophique.
Durant la campagne référendaire de 1995 et les années subséquentes, M. Bouchard n'a pas cessé de répéter que le Québec avait besoin de tous ses outils pour surmonter les défis auxquels il était confronté. Mardi soir dernier, il a plutôt soutenu que la quête de la souveraineté nuisait au règlement des problèmes et qu'il fallait conséquemment y renoncer.
Lors de la publication du manifeste Pour un Québec lucide à l'automne 2005, il avait pourtant refusé d'établir tout lien avec la question constitutionnelle. On pouvait lire dans le manifeste que les défis seraient les mêmes «quel que soit le choix des Québécois».
À quel moment la solution que préconisait M. Bouchard est-elle devenue partie du problème? Cela fait des années que la souveraineté a été mise en veilleuse et que le Québec s'est donné le gouvernement le plus inconditionnellement fédéraliste depuis un demi-siècle. Cela a-t-il fait une différence?
À entendre M. Bouchard, la tâche s'annonce herculéenne et exigera des années, voire des décennies de sacrifices. Il est vrai qu'à première vue les chiffres donnent le vertige. En supposant que le gouvernement réussisse à diminuer le rythme d'augmentation des dépenses à 3,2 % au cours des prochaines années, ce qui sera déjà très difficile, il faudra encore trouver 21,7 milliards d'ici 2013-14 pour rétablir l'équilibre, indique le rapport du vérificateur général publié cette semaine.
Sur papier, la solution est relativement simple. Les économistes «lucides» n'en finissent plus de multiplier les rapports tous plus imaginatifs les uns que les autres. À lui seul, le relèvement progressif des tarifs d'Hydro-Québec au niveau de ceux de l'Ontario réglerait une grande partie du problème.
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Sur le plan politique, c'est évidemment une autre affaire. Au lendemain du référendum, «saint Lucien» jouissait d'une popularité sans précédent. Il a pourtant été incapable d'empêcher l'éclatement de la coalition qui avait presque permis au camp souverainiste de l'emporter.
Malgré la campagne atroce menée par Jean Charest, le PQ a remporté les élections du 30 novembre 1998 avec moins de voix que le PLQ, éliminant du coup toute possibilité d'un nouveau référendum à brève échéance.
Comme il y a 15 ans, les souverainistes ont tout intérêt à ce que l'État québécois retrouve une marge de manoeuvre financière qui permettrait de conjurer les craintes qu'inspire toujours l'indépendance.
Mieux encore, ce sont les libéraux qui sont chargés de ce sale travail. Augmenter les revenus est encore plus risqué que diminuer les dépenses, et le gouvernement Charest se retrouve dans l'obligation de faire les deux. Après trois ans de cette médecine, la population ne devrait normalement avoir qu'une seule envie: renvoyer le PLQ dans l'opposition.
Pauline Marois doit prier le ciel que Raymond Bachand n'accouche pas d'une souris dans son budget de mars. Bien entendu, dans le cas contraire, il n'aura droit qu'à des récriminations. Les éventuelles compressions seront nécessairement mal ciblées et la moindre hausse de tarif sera jugée excessive ou prématurée. Si la sortie de M. Bouchard peut contribuer à stimuler l'ardeur «lucide» de M. Bachand, Mme Marois lui en sera discrètement reconnaissante.
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