Trente-cinq jours. C’est le temps qu’il a fallu à François Blais pour se mettre les pieds dans le plat dans ses nouvelles fonctions de ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur. Il a été beaucoup plus rapide que son prédécesseur Yves Bolduc, qui occupait son poste depuis 81 jours quand l’affaire de sa prime de 215 000 $ a éclaté. Mais alors que cette controverse trahissait la cupidité de l’élu libéral, l’enjeu qui a fait trébucher le nouveau ministre soulève une question de fond qui fait partie de ses responsabilités : la démocratie étudiante.
François Blais et l’animateur de CHOI Radio X, Dominic Maurais, étaient sur la même longueur d’onde ce matin-là, mardi dernier. Le ministre, qui ne se départ jamais de son calme olympien, a qualifié d’« inacceptable » ce qui s’était passé à l’UQAM après que l’animateur eut dénoncé « les crottés qui bloquent les portes ». Et François Blais d’y aller d’un conseil pratique à l’intention des recteurs : « expulser deux ou trois personnes par jour refroidirait les ardeurs de certains » et « ferait réfléchir les autres ». Le ministre connaît bien la situation : professeur pendant une vingtaine d’années, il était doyen de la Faculté des sciences sociales de l’Université Laval pendant le printemps érable.
La menace de sanctions a un effet dissuasif. « On fait ça avec les enfants », a dit le ministre, un point de vue salué par le ricanement approbateur de l’animateur. Et quand Dominic Maurais a décrié le « discours de pleurnichards » des étudiants, qui bénéficient de prêts et bourses, François Blais avait une réponse toute prête, rappelant que le coût de ce programme avait augmenté de 8 % cette année, alors que « la société québécoise est la plus généreuse en Amérique du Nord pour l’accessibilité de ses étudiants ». De quoi se plaignent-ils ?
À Québec, les deux stations radiophoniques les plus écoutées font de la « radio trash », avait dénoncé le maire de Québec Jean-Paul L’Allier au début des années 2000. Ces radios sont animées par des forts en gueule résolument fédéralistes et anti-péquistes, inspirés par la droite libertaire antiétatique. Ils sont généralement conservateurs à Ottawa et libéraux à Québec, après un flirt avec les caquistes. Ils défendent les libertés individuelles et dénigrent la défense des droits collectifs. Ils sont pour la loi et l’ordre. Ils sont anti-fonfons, anti-syndicats, anti-féministes, anti-écologistes, anti-BS, anti-modèle québécois. Et anti-mouvement étudiant.
Connaître son auditoire
Ces radios polémistes s’adressent à un auditoire composé notamment de « white angry young men », comme disent les Américains, et exploitent le clivage bien ville de Québec entre l’élite de la haute-ville et la plèbe de la basse-ville. Après plusieurs tentatives, ce type de radio, solidement représentée aux États-Unis où elle est républicaine, tendance Tea Party, n’a jamais pu s’implanter dans la région de Montréal.
Dans la capitale, où l’activité économique dépend largement de l’État, ils sont nombreux à détester les fonctionnaires et à écouter Radio X, qui leur propose de scier la branche sur laquelle ils sont assis. Un phénomène semblable s’observe aux États-Unis, où les électeurs les moins bien nantis, s’ils sont blancs, élisent des représentants républicains millionnaires qui s’attaquent aux programmes sociaux et défendent leurs intérêts de classe.
À Québec, s’il y a des gens qui incarnent cette élite de la haute-ville méprisée par les radios poubelles, c’est bien les professeurs, doyens et recteurs de l’Université Laval qui, généralement, ne résident jamais bien loin du campus, dans le quartier Montcalm ou la banlieue huppée de Sillery ou celle de Sainte-Foy. À Radio X, le style nuancé de François Blais détonnait.
Mais dans l’entourage du premier ministre, on estimait que les idées de François Blais sur les grèves étudiantes allaient plaire au plus grand nombre. Certes, il a un peu forcé la note avec cette histoire d’expulsion, mais dans l’ensemble on croit qu’il a marqué des points. Le Parti libéral du Québec est un parti de pouvoir qui n’hésitera pas à courtiser ceux qui méprisent l’État pour gagner de précieux votes dans des circonscriptions disputées.
Le droit de grève en question
Le droit de grève des étudiants n’existe pas, a déclaré François Blais. En ce sens, le ministre s’inscrit parfaitement dans le virage amorcé sous le gouvernement Charest, qui a remis en question 50 ans de pratique de la démocratie étudiante au Québec. L’usage voulait qu’après un vote de grève, les directions des cégeps et des universités suspendent les cours.
La position du ministre a le mérite d’être claire. Mais elle demeure problématique. « Ce n’est vraiment pas facile pour eux [les recteurs] d’intervenir, reconnaissait mercredi François Blais. La priorité pour eux, c’est la sécurité des lieux. » Des raisons pratiques militent pour l’arrêt des cours : si la répression met de l’huile sur le feu, les universités ne sont pas plus avancées.
À la Commission d’examen des événements du printemps 2012, présidée par l’ancien ministre péquiste Serge Ménard, qui a recommandé de reconnaître et d’encadrer la démocratie étudiante, comme le préconisait en 1983 le chef libéral Claude Ryan, le président de la Fédération des cégeps, Jean Beauchesne, mettait en garde le gouvernement contre la tentation d’émasculer cette démocratie et de nier le droit de grève des étudiants. « […] à partir du moment où il y a une ébullition sociale, peu importent les raisons, droits de scolarité ou autres, de facto, les associations étudiantes, les leaders étudiants prennent ce droit-là. Alors, on pourrait le nier, regarder, mettre ça en dessous de la table, en dessous du tapis, mais la réalité nous rattrape, et le passé est garant de l’avenir à cet égard-là », avait-il déclaré.
François Blais est d’un autre avis. Il parle de la dynamique des grèves étudiantes comme d’une « mélasse » dont il faut s’extirper. Mais à moins que la jeunesse québécoise choisisse de tourner le dos à toute contestation et de se poser en défenseur de l’ordre établi, ce qui n’est pas impossible, le problème reste entier.
Devant les auditeurs de Radio X, François Blais se félicitait du fait qu’en 20 ans d’enseignement de philosophie politique, jamais ses étudiants n’ont su quelles étaient ses opinions politiques, s’il était fédéraliste, sympathisant du Parti québécois ou de Québec solidaire. Une telle posture chez un universitaire peut certes soulever des questions d’honnêteté intellectuelle : pourquoi un philosophe, un homme d’idées, dissimulerait-il les siennes ? Mais comme homme politique, François Blais sera forcé de préciser à quelle enseigne il loge. À droite ou à gauche. Et c’est ce qu’il a commencé à faire.
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