ÉLECTIONS PRINTANIÈRES

Les partis prennent leurs marques

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Couillard dans les patates

Québec — Mine de rien, cela fait maintenant 16 mois que le Parti québécois est au pouvoir, une durée somme toute honorable pour un gouvernement minoritaire dont l’espérance de vie est d’au plus deux ans. S’il faut en croire ce que libéraux et caquistes en disent, ses jours sont maintenant comptés.

Les libéraux étaient fin prêts pour des élections déclenchées au début de novembre. Programme, candidats, messages, slogan, tout y était. Tout sauf peut-être la préparation de Philippe Couillard, dont on doutait qu’elle fût au point, lui qui n’a jamais été soumis à l’épreuve d’une campagne électorale en tant que chef.

Persuadés que Pauline Marois déclencherait les hostilités à l’automne pour profiter de l’inexpérience de leur chef, certains de ses stratèges libéraux n’ont pas compris pourquoi la première ministre n’a pas sauté sur l’occasion. Tant mieux, croient-ils, Philippe Couillard aura ainsi quelques mois de plus pour se faire les dents. Et ce ne sera pas de trop.

Au Parti québécois, on explique que l’embellie dont le gouvernement Marois semblait bénéficier à l’automne était encore trop récente pour qu’on sache s’il s’agissait d’un soubresaut ou d’une tendance. Qui plus est, la mise à jour économique et financière du ministre des Finances et de l’Économie, Nicolas Marceau, n’était pas encore déposée. Il n’était pas question de déclencher des élections sans qu’elle soit présentée ; les adversaires n’auraient pas manqué d’exploiter un tel silence sur l’état des finances publiques. Et, comme les résultats n’étaient guère reluisants, les péquistes auraient connu un début de campagne pénible, craignait-on.

Depuis, les péquistes se sentent bien en selle : la montée du parti dans les sondages et surtout de la première ministre n’est pas un phénomène éphémère, se réjouit-on dans son entourage. Depuis juin, la cote de Pauline Marois en tant que meilleure première ministre a grimpé de 15 points, pour atteindre 27 %, coiffant légèrement celle de Philippe Couillard.

Charte et polémique

La charte des valeurs et, surtout, l’interdiction faite aux employés de l’État de porter des signes religieux ostensibles divisent les Québécois mais recueillent l’appui nettement majoritaire de l’électorat francophone. Cet appui ne se dément pas.

Électoralisme, cynisme, « wedge politics » qui s’apparentent aux tactiques de Stephen Harper, gains à court terme quitte à risquer une fracture sociale, tant Philippe Couillard que François Legault n’ont pas manqué de dénoncer le gouvernement Marois. Or la polémique, aussi vive soit-elle, ne le fera pas reculer. Comparant ce débat à celui qu’a suscité en 1977 la Charte de la langue française, Pauline Marois voit dans la laïcité de l’État une question de principe. Cette laïcité ne peut se faire à moitié : elle doit s’appliquer à tous les employés des secteurs public et parapublic.

Aussi, le gouvernement ne bougera pas d’un iota, assure-t-on dans l’entourage de la première ministre, même si un compromis avec la Coalition avenir Québec est à portée de la main. Le ministre des Institutions démocratiques et de la Participation citoyenne, Bernard Drainville, l’a clairement fait savoir aux caquistes.

Victimes du débat

Même si la CAQ a présenté une position mitoyenne où seuls les employés de l’État en autorité — les agents dits coercitifs, comme les juges et les policiers, mais aussi les enseignants — ne pourraient porter de signes religieux, une position qui peut faire consensus, selon les caquistes, le parti de François Legault continue de faire les frais du débat. La charte des valeurs a plombé la CAQ. C’était d’ailleurs un des buts plus ou moins avoués que poursuivaient les péquistes ; ils se frottent aujourd’hui les mains.

Du côté libéral, Philippe Couillard, qui a déjà parlé d’« extrémisme laïque », a adopté le consensus canadien et se porte à la défense sans compromis des libertés individuelles. « Inapplicable, illégale et inconstitutionnelle », a-t-il réitéré pour qualifier cette charte honnie lors de son discours d’assermentation comme député d’Outremont.

Mais le chef libéral a tout de même dû mettre un peu d’eau dans son vin, ouvrant la porte à une interdiction limitée aux agents coercitifs de l’État, sous la pression de la députée dissidente Fatima Houda-Pepin. Cette interdiction devra toutefois s’avérer conforme aux chartes des droits, a statué le chef. Or la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) croit dur comme fer que même cette interdiction limitée viole les chartes. Le chef libéral ne contrariera pas l’organisme.

Philippe Couillard n’a pourtant rien réglé ; obstinée, Fatima Houda-Pepin n’entend pas s’en tenir là. « Le voile n’est pas un symbole religieux », a affirmé la députée au Journal de Québec dans une rare entrevue à la mi-décembre. Les intégristes ont instrumentalisé le foulard pour en faire un signe religieux, clame-t-elle, encore outrée que les députés libéraux, enferrés dans une logique du « visage découvert », acceptent que des employés de l’État puissent porter le tchador, une tenue « dégradante pour les femmes ».

Discrets ceux-là, certains députés libéraux en région sont d’avis que l’entêtement de leur chef leur fera perdre de précieux points. « Du côté des libéraux, ce n’est pas réglé comme du papier à musique, cette affaire-là, souligne un député caquiste. Dans le Québec profond, il y a des gens qui sont prêts à voter péquiste pour la première fois de leur vie ! »

Le chef libéral n’est pas sorti de l’auberge. Alors que les stratèges libéraux souhaitent que l’enjeu central de la prochaine élection — le « ballot question » — porte sur l’économie, Philippe Couillard, qui s’est dit sur « les blocs de départ », entend prendre de front le PQ sur la question des libertés individuelles.

Pour l’heure, libéraux et caquistes n’envisagent pas de retirer leur confiance au gouvernement avant le dépôt du prochain budget. En revanche, Philippe Couillard a déjà déclaré que son parti votera contre le budget en raison de la piètre gestion économique du gouvernement.

Ce sera donc aux députés caquistes de décider de la survie du gouvernement Marois au-delà du printemps. La décision est déjà prise : François Legault insiste pour un retour à l’équilibre budgétaire dès 2014-2015, soit un an avant l’échéance promise par Nicolas Marceau, une exigence impossible à remplir.

Au sein du caucus de la CAQ, on s’est fait une raison. Il n’est pas question de perdre la face devant les électeurs caquistes qui ne comprendraient pas qu’ils permettent au gouvernement péquiste de survivre. « Il n’y a personne qui a la chienne d’aller en élections quitte à perdre », confie-t-on. François Legault, qui déteste se retrouver dans l’opposition, jouera son va-tout.

Pauline Marois, elle, n’est pas pressée. Le dépôt du budget attendra à l’ultime limite, à la toute fin du mois de mars, indique-t-on. Le vote fatidique sur le budget n’aura lieu que deux ou trois semaines plus tard.

Entre-temps, à compter de la mi-janvier, se déroulera la commission parlementaire sur le projet de loi instaurant la « Charte des valeurs de laïcité », sans doute jusqu’en mars. L’enjeu restera bien en vie. D’ici la fin de mars, l’économie québécoise pourrait montrer des signes encourageants, espère-t-on. Le versement de la péréquation par Ottawa pourrait aussi s’avérer plus important que prévu. Bref, d’ici avril, le portrait des finances publiques pourrait un tant soit peu s’embellir. Et c’est à ce moment que Pauline Marois cherchera à prendre l’initiative des hostilités.


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