Les «ognons» donnent «l'exéma»

Le français — la dynamique du déclin


«Pourquoi vouloir alourdir les mémoires avec des futilités et souvent des anomalies historiques?», se demande Chantal Contant, linguiste patentée qui aime faire simple. Elle a même publié un ouvrage de référence, «Grand vadémécum de l'orthographe moderne recommandée».
Il y a toutes sortes de linguistes, et Mme Contant appartient à la tendance «nouvelle orthographe». C'est son droit, son choix et sa coquetterie. Sauf que la spécialiste a réussi (en sommes-nous étonnés?) à convaincre le ministère de l'Éducation d'officialiser ces «ognons», ces «iglous», ces «cacahouètes», ces «acuponctures» pour faciliter la tâche des écoliers et des étudiants devenus des dysfonctionnels de l'orthographe au fil des décennies.
La langue parlée, déjà malmenée par ceux-là mêmes qui en font métier, enseignants, journalistes, politiciens, gens du show-business, subira-t-elle bientôt les assauts des tenants de la nouvelle langue inspirée par la nouvelle orthographe? Car cette dernière se veut un effort (sic) pour permettre de mieux (sic) écrire, comme si la meilleure technique pour écrire sans faute n'était pas de ne pas écrire du tout, car l'écriture au son, si chère aux pédagogues de pointe du magistère de l'Éducation durant des années, demeure difficile compte tenu du fait que l'orthographe est alors soumise à la langue de chaque personne. On écrit «moman», ou maman, ou «m'man» selon notre manière de parler.
Quelle misère d'avoir à consacrer une autre chronique à une décision fantaisiste du ministère de l'Éducation, qui ne recule devant rien lorsqu'il s'agit de trouver des solutions aux catastrophiques résultats de ses politiques depuis quarante ans et quel que soit le gouvernement au pouvoir! Les fonctionnaires rattachés à l'éducation ont pour la plupart l'air normal quand on les rencontre individuellement. Ils ont, certes, tendance à parler par sigles, à user d'un vocabulaire hermétique à l'oreille d'un non-initié (abscons, pourrait-on dire, si l'on péchait par impolitesse), mais enfin, ils ont en général l'air raisonnable. Quelques-uns allient la pédanterie intellectuelle à la frilosité devant les médias, mais leur allure n'indique en rien les technocrates qu'ils redeviennent au sein des murs de leur ministère, alors qu'ils se transforment en intouchables.
Jacques Parizeau a abordé cette semaine, lors du lancement de son essai, cette question affligeante de la dégradation progressive du système d'éducation et l'on sentait l'homme ébranlé profondément par ces statistiques plus déprimantes les unes que les autres sur le décrochage scolaire, les carences insondables en histoire, en français, et qui s'enchaînent et s'accentuent au fil de la scolarité.
Pendant ce temps, alors qu'au quotidien les enseignants subissent des textes d'élèves du genre «Sa l'aide beaucoup [...] quand les choses vont moins bien (vie, travaille)» ou «Le monde usager peux sa tâcher (NDLR: s'attacher) à vous parce que nous connaissons plus comment un ordi fonction», les technocrates croient qu'en enlevant le «i» à oignon, les jeunes feront moins de fautes.
Nous ne répéterons jamais assez que les jeunes de chacune des générations depuis des décennies ont subi les mauvais traitements des politiques du ministère. Ils sont tous orphelins d'un contenu d'enseignement dont on les a privés. Et en ce sens, ils sont des victimes, d'abord innocentes puis consentantes (car a-t-on déjà vu les étudiants descendre dans la rue pour dénoncer la douteuse pédagogie du français?) d'expérimentations, de méthodes pédagogiques jetables l'une après l'autre.
En ce sens, nos jeunes n'ont cessé d'être les cobayes d'un laboratoire dirigé par des gens sans prudence, aveuglés par l'idéologie, habités par une frénésie d'être à l'avant-garde sans s'interroger sur les conséquences de leurs décisions. Et sans en assumer la responsabilité. On n'a jamais entendu parler de la mise à l'écart du fonctionnaire qui a convaincu son ministre des vertus d'abolir les dictées et du ministre qui s'est laissé entraîner dans ces sentiers qui ont mené à la dégradation de l'écriture.
Si les mots «inconcevable» et «incompréhensible» trouvent leur sens, c'est bien dans la vision qui a présidé à l'enseignement du français au Québec, des libéraux aux péquistes et d'un ministre de l'Éducation à l'autre. L'abaissement, pour ne pas dire l'affaissement, des exigences afin d'obtenir les notes de passage, lesquelles ont aussi subi la décote, s'est fait en dépit du bon sens. Contre la volonté des professeurs de français, à vrai dire, ces mal-aimés du système, qui s'usent à subir les assauts des pédagogues-technocrates sur la matière dont ils sont les amoureux pour bon nombre d'entre eux.
Les «ognons», qu'on écrivait «oingnum» en 1265, «ognon» en 1275 et «oignon» depuis 1332, sont la douloureuse métaphore de l'incapacité du ministère de l'Éducation à s'amender et de la ministre Michelle Courchesne, aujourd'hui, à contrôler ou contourner la machine infernale qui continue de produire des handicapés de l'écriture.


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