Les mots, les mots

Québec 2007 - démagogie et populisme



Les mots sont comme les médicaments. Même ceux qui ont l'air inoffensifs comportent des contre-indications et des effets indésirables. Hélas!, il n'existe pas de notice universelle pour s'en prémunir. C'est une question de contexte, de jugement personnel, de culture nationale.
André Boisclair vient d'en faire l'expérience, pour avoir parlé des étudiants aux «yeux bridés» qu'il a côtoyés lors de son année d'études à Boston. La presse anglophone lui fait tout un procès parce qu'elle est plus pointilleuse en la matière, non pas parce que la version anglaise serait plus insultante que l'expression française («slanted eyes» veut dire exactement la même chose).
C'est l'habitude culturelle qui diffère, dans la mesure où les francophones sont moins portés à s'autocensurer quand il s'agit de parler des minorités visibles.
Sur le fond, M. Boisclair n'a certainement rien à se reprocher. Il ne tarissait pas d'éloges sur les étudiants asiatiques quand l'expression lui a échappé. Mais il y a la forme. Techniquement, qualifier un Asiatique d'«yeux bridés» équivaut à désigner un Noir par le terme «grosses lèvres» ou un Occidental comme «un visage pâle».
De nos jours, on essaie de s'abstenir de qualifier les individus en fonction de stéréotypes physiques. C'est pourquoi l'on ne fabrique plus des petits nègres de jardin costumés en serviteurs, et c'est pourquoi la compagnie Banania a changé ses étiquettes, qui montraient naguère une caricature de bouille africaine surmontée des mots: «Y'a'bon Banania».
Il serait stupide de chercher noise à M. Boisclair pour ce léger écart de langage. Tout est question de contexte: autour d'une table, avec des copains, vous diriez, en racontant une soirée dans le quartier chinois: «Il y avait des yeux bridés partout», et ça passerait, il pourrait même s'ensuivre une conversation légère où certains soutiendraient qu'en fait, les yeux bridés, c'est bien plus joli que les gros yeux ronds des Occidentaux. C'est quand même une remarque que vous vous abstiendriez instinctivement de faire s'il y avait des Asiatiques parmi les convives.
Autrement dit, il faut être plus prudent quand on parle en public. C'est un réflexe qui vient avec l'habitude de vivre en milieu hétérogène, ce qui est le cas des Anglo-Montréalais qui vivent depuis très longtemps dans un microcosme cosmopolite, mais pas celui des francophones, pour qui la découverte de l'«autre» est un phénomène beaucoup plus récent, et encore seulement dans la région montréalaise.
MINORITÉS VISIBLES - Les mots, les mots Il y a quand même des fois où l'on exagère sérieusement. Ainsi, le Comité de l'ONU contre la discrimination raciale vient de reprocher au Canada d'utiliser le terme «minorités visibles» dans ses documents officiels. D'après les 18 «experts» signataires du rapport, l'emploi de cette expression frôlerait le racisme, parce que cela laisserait supposer que «le standard» c'est d'être Blanc.
N'en jetez plus, la cour est pleine! Mais oui, au Canada, il se trouve que la majorité est blanche, on n'y peut rien, ce qui fait qu'en toute logique, les non-Blancs sont des minorités et que ceux dont l'apparence, l'origine ou le patronyme définissent d'emblée comme «minorités» sont des «minorités visibles» (sans parler du sexe, la différence la plus visible!).
Le plus ridicule, dans cette histoire, c'est que la notion de minorité visible est justement utilisée au Canada, comme du reste aux États-Unis (les pays les plus inclusifs au monde) pour tenter de mettre fin à la discrimination!
C'est sur cette notion que sont fondés les programmes d'action positive et c'est ce qui fait le fond de commerce de tous les tribunaux des droits de la personne. Comment savoir, en effet, si un Mohamed a été victime de discrimination quand on lui a refusé un logement ou un emploi qu'on aurait octroyé à un Jean-Marc, si l'on ferme les yeux sur le fait qu'il s'agit d'un Mohamed? Comment réserver un certain nombre de postes aux minorités dans la fonction publique, si l'on refuse le concept de «minorités visibles»?
Détail piquant, parmi les membres du comité de l'ONU qui prétendent faire la leçon au Canada, près de la moitié viennent de pays qui se moquent allègrement des libertés fondamentales (Égypte, Algérie, Russie, Guatemala, Togo, Pakistan, Chine...).


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