Fin d’une imposture

Les « lucides » démasqués

Une tentative éhontée de manipuler l’opinion publique québécoise

Chronique de Richard Le Hir

Le 8 avril 2010 passera à l’histoire. La parution quasi simultanée d’une statistique ahurissante sur la participation des américains à l’effort fiscal (Voir http://www.cnbc.com/id/36241249 et mon analyse « Jamais la conjoncture ne sera meilleure » et le lancement d’une pétition en France (http://action-republicaine.over-blog.com) demandant la suppression des niches fiscales pour redonner à l’État les moyens de financer ses politiques sociales sont venus asséner un coup fatal à la thèse des « lucides », telle qu’exposée dans leur manifeste « Pour un Québec lucide », lancé le 19 octobre 2005. (Voir http://www.pourunquebeclucide.org/documents/manifeste.pdf).
En effet, ce manifeste proposait une lecture exagérément pessimiste de la situation économique du Québec en invoquant un contexte nouveau issu de l’évolution de la démographie et de la mondialisation, d’une prétendue perte de vitesse de notre économie et d’un refus du changement, pour lancer ce qu’ils souhaitaient être un appel à la lucidité, la responsabilité, et la liberté, afin de favoriser l’adoption d’une série de solutions fortement teintées de l’idéologie néo-libérale dont l’adoption aurait signifié à toutes fins pratiques la fin du « modèle » québécois. Le tout sur un ton qui évoquait étrangement celui des évêques d’autrefois appelant leurs ouailles à la repentance pour mieux les manipuler. Dans ce registre, Lucien Bouchard n’a pas son pareil, comme je le signalais déjà dans un article publié par Le Devoir en juillet 1999, et intitulé justement « À propos d’un certain modèle ».
Pour avoir moi-même porté des jugements assez durs dans le passé sur ledit « modèle », je ne rejette pas d’emblée tous les éléments d’analyse et de solution mis de l’avant par les lucides.
Ce qui était cependant inacceptable sur le plan méthodologique, c’était de ne pas suffisamment tenir compte du contexte externe et des défis auxquels les économies de nos voisins, y compris le pays le plus puissant du monde, les États-Unis, étaient eux-mêmes confrontés. Cette erreur de base faussait toute leur analyse et discréditait leurs solutions.
Comme avait coutume de le dire le regretté Daniel Johnson père, « Quand je me regarde, je me désole, et quand je me compare, je me console ». En effet, on aurait tort de croire que la crise financière de 2008 nous est tombée dessus sans crier gare. Cela faisait plusieurs années qu’elle bouillonnait dans les marmites des institutions financières internationales, et les signes de surchauffe étaient déjà apparents en 2005. Pour les lucides, de continuer à tenir le même discours après l’effondrement de 2008 et même jusqu’aux semaines qui précédèrent le dépôt du budget Bachand-Charest constituait soit le comble de l’aveuglement soit celui de la mauvaise foi.
À cet égard, il faut revenir sur la manipulation à laquelle s’est livrée le ministère des Finances au cours des derniers mois (dette brute/dette nette), avec la caution intellectuelle des lucides, pour brosser un portrait délibérément sombre de la situation des finances publiques québécoises afin de conditionner l’opinion aux rigueurs du budget que le gouvernement préparait. Conscient de la manoeuvre qui se tramait, j’ai pour ma part dénoncé ce stratagème plus d’un mois avant le dépôt du budget dans un article intitulé [« Ces chiffres qui vous mentent en pleine face : L’autre grosse arnaque »->26041].
Le ministère des Finances est l’un des leviers les plus importants du Gouvernement du Québec, et sa crédibilité doit en tout temps demeurer inattaquable. Pour se couvrir en vue du budget, le gouvernement Charest n’a pourtant pas hésité un seul instant à le compromettre en lui faisant faire une basse besogne de propagande, ce qui nous fournit encore un indice de plus, s’il en était besoin, sur son sens de l’éthique.
Mais revenons-en aux lucides. Si l’erreur d’analyse pourrait à la rigueur être pardonnée, il est beaucoup plus difficile d’en faire autant pour la façon dont ils ont entretenu aussi longtemps chez les Québécois un sentiment d’incapacité, d’être des « losers » chroniques, en somme de renforcer chez eux le complexe déjà bien ancré d’être « nés pour un p’tit pain ».
La vérité, c’est que les Québécois ne sont ni meilleurs ni pires que les autres, et que leurs chances de se tirer du mauvais pas dans laquelle cette crise nous a mis sont peut être même meilleures que celles de nos voisins américains et ontariens, pour ne s’en tenir qu’à ceux-là, en raison même du modèle que les lucides et le gouvernement Charest s’acharnent à vouloir détruire. Le moment est donc venu de remettre les pendules à l’heure.
Sans doute à cause de ma formation juridique, j’hésite toujours à mettre en doute la bonne foi des gens. J’ai la même réserve face aux lucides. Il s’en trouve toutefois parmi eux un certain nombre à qui leur formation et leur expérience devraient pourtant avoir enseigné la prudence.
On ne balance pas un pavé tel que le manifeste pour un Québec lucide dans l’opinion publique en mettant en arrière tout le poids de sa réputation et de son influence sans savoir qu’il risque de produire certains effets. Si on le fait, c’est qu’on recherche justement ces effets. On peut aussi comprendre que certaines personnes agissent par idéologie. Mais si la motivation n’est pas idéologique, les pires soupçons deviennent permis. Au profit de quoi ou de qui ces personnes ont-elles agi ?


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5 commentaires

  • Jean-François-le-Québécois Répondre

    12 avril 2010

    @ M. Richard le Hir:
    Merci beaucoup pour votre texte, très éclairant. Et rassurant, en un sens.
    Quant aux lucides , bonne foi ou pas, s'ils sont dans l'erreur, ou sur certaines choses en tout cas, nous nous devons d'agir en conséquence. Et tant pis pour l'égo d'un Lucien Bouchard.

  • Archives de Vigile Répondre

    10 avril 2010

    Bonjour, M. Richard Le Hir.
    Merci encore d'écrire ces textes, lesquels sont de la plus grande importance pour notre compréhension à tous.
    Nous savons que les "lucides" s'abreuvent à l'Institut économique de Montréal. Les vertus qu'on y enseignent sont la cupidité et la vénalité.
    L'ordre du jour est élaboré à Sagard, l'antre du grand prédateur du peuple québécois,
    M.Paul Desmarais : l'état Power. Qui plus est, contrôle plus de 70% de la "presse de l'argent" dont la moitié des pages sont remplies d'annonces publicitaires et le reste,
    de sports et de banalités.
    L'État national représente le socle vital pour un peuple. Partout sur la planète, l'idéologie néo-libérale s'attaque sournoisement aux Nations pour les détruire et instaurer le chaos: atomiser, diviser pour régner. Affamer, écraser les populations. Celà se nomme le Nouvel Ordre mondial.
    Nous devons tous nous unir pour contrecarrer ce projet génocidaire et pour nous, québécois, c'est doublement grave, car l'entité canadian veut rayer de la carte notre culture, notre langue, notre peuple, dont nous devrions être si fiers. Pour les anglo-saxons, l'Amérique du Nord doit être anglaise et protestante. Ils y travaillent depuis 1760.
    Lawrence Tremblay.
    P.s. À propos de nos évêques, je vous suggère (à tous les amis de Vigile) un livre passionnant:
    "Un siècle de collusion entre le clergé et le gouvernement britannique"

    Auteur" Adrien Thério, aux éditions XYZ (paru en 1998.)

  • Archives de Vigile Répondre

    9 avril 2010

    Monsieur Le Hir
    Très intéressant votre texte qui m'a fait réfléchir sur la manipulation dont a été victime le peuple québécois par ces manipulations de toutes sortes afin que l'establishment parvienne à ses fins. J'en suis sidéré! Vous êtes un plus à Vigile pour la compréhension des choses.
    André Gignac le 9 avril 2010

  • Archives de Vigile Répondre

    9 avril 2010

    Manipuler l'opinion publique ? Ah non ! Ont-ils osé ?
    Bientôt ils lui payeront des frais de voyages et le recevront à de somptueux repas, lui laissant le choix du vin, puis un cigare en le gavant de flatteries sur sa personne.
    Naïf comme nous le savons, il tombra pour sûr dans leurs piège, ce pauvre opinion publique.
    Il faut mettre leur perfidie au grand jour ! Bravo , M. Le Hir !

  • Archives de Vigile Répondre

    9 avril 2010

    Bravo. J'avais déjà dénoncé la crise démographique, une IMMENSE escroquerie intellectuelle qu'on continue à nous balancer tous les jours. Vous avez complété avec le mensonge des finances publiques.

    Le modèle québécois est loin d'être parfait. Que la droite le questionne et le critique est tout à fait légitime. Un pays normal c'est un pays avec une gauche et une droite. Mais comme vous, dès le début, j'ai senti que la critique du modèle québécois avait aussi un tout autre but: «ils ont entretenu aussi longtemps chez les Québécois un sentiment d’incapacité, d’être des « losers » chroniques, en somme de renforcer chez eux le complexe déjà bien ancré d’être « nés pour un p’tit pain ».

    A Québec, radio-poubelle nous rappelle tous les jours que le pauvre Québec reçoit 8 milliards de péréquation de la riche Alberta parce qu'on est pauvre. Mario Dumont fait pareil à 360.
    On prend un fait réel (les 8 milliards), on rappelle le but de la politique(transfert de provinces riches à provinces pauvres), pis on nous assomme avec notre pauvreté en nous disant qu'on est donc chanceux que les riches Albertains nous paient nos programmes sociaux, sans jamais dire qu'on n'avait que 15% du budget de 19 milliards de la Défense, 11% du budget de 6 milliards en agriculture, 11% des 4 milliards des pêcheries et 9% des 7 milliards pour les Indiens. En bout de ligne on se fait pomper 2 à 6 milliards par année depuis 10 ans, lorsqu'on ne compte pas la facture de 7 milliards qu'on nous colle pour la dette.

    Bref, tout ça est fortement politique et idéologique. Reste maintenant à répandre la nouvelle en gardant ça simple. Remplacer le 40% de Québécois trop pauvres pour payer des impots, par le 50% d'Américains.....