Les indifférents

La nation québécoise représentative du peuple du Québec est à classer aux objets non pas perdus, mais oubliés sur les tablettes de l'histoire ancienne.

Élections fédérales - 2011 - le BQ et le Québec



À ce jour, le Parti québécois n'a pas réussi à extraire le Québec du Canada. Le Bloc québécois, ce village gaulois installé le plus légitimement du monde à Ottawa, a au contraire permis au Canada d'exclure le Québec, cet empêcheur de tourner en rond d'un océan à l'autre. En effet, les partis politiques nationaux peuvent désormais souffler. Les Québécois, ces enfants terribles du temps du Canada-Québec, ne sont plus dans l'imaginaire canadien qu'à titre individuel. La nation québécoise représentative du peuple du Québec est à classer aux objets non pas perdus, mais oubliés sur les tablettes de l'histoire ancienne.
Désormais, aucun parti fédéral ne se sent obligé de définir une vision canadienne où le Québec serait essentiel. Le Bloc québécois, qui récolte d'élection en élection 40 % du vote, est devenu un mur impossible à escalader tant pour les conservateurs que pour les libéraux et le NPD. En ce sens, le BQ est instrumentalisé par le reste du Canada à titre d'irritant institutionnalisé. «Le Bloc est au Parlement, que voulez-vous de plus?», se demandent nombre de Canadiens anglais. Les conservateurs, eux, sont élus sans le Québec. Bien sûr, ce dernier leur ravit la majorité, ce qui est tout de même embêtant. Mais si les élections de mai réussissent à les porter au pouvoir avec la majorité au Parlement (ce qui n'est pas impossible), ils auront fait la preuve de l'inutilité du Québec.
Il est loin le temps du gouvernement Mulroney où les Québécois, le premier ministre en tête, avaient une définition du Canada indissociable de la présence du Québec en son sein. L'Accord du lac Meech fut à cet égard le projet le plus avancé pour la reconnaissance des droits de la nation québécoise à l'intérieur de la Constitution canadienne. Sans cet accord et sans indépendance, le Québec depuis s'est mis à dériver sans but.
Le gouvernement Charest n'use guère de pugnacité de nos jours face à Ottawa, capitale de la fin de non-recevoir. Cette absence d'exigences lui est facilitée par les décapitations successives à la tête du Parti québécois, ce qui a affaibli sa combativité légendaire et mis à mal sa capacité de chantage. Lorsqu'il n'y a plus de référendum en vue, la pression décompresse, si on nous permet cette redondance. Durant des décennies, ne l'oublions pas, les gouvernements, qu'ils aient été fédéralistes ou souverainistes, n'ont eu de cesse, chacun à sa manière, de donner au Canada anglais le sentiment qu'il y avait péril en la demeure canadienne.
Cette perception était accentuée par les députés québécois élus à Ottawa. Contrairement à la docilité des conservateurs qui se retrouvent aujourd'hui à la Chambre des communes et au gouvernement, plusieurs élus d'hier, tout fédéralistes furent-ils, défendaient, face au Canada anglais, une certaine exception québécoise. On n'avait qu'à les entendre off the record exprimer à leur façon un nationalisme à fleur de peau et laisser poindre le vieux ressentiment historique vis-à-vis des «maudits Anglais».
L'actuel Parti libéral du Canada (PLC), délesté des grands ténors francophones qui en menaient large et jouaient aussi parfois aux matadors en brandissant la menace de la séparation du Québec pour parvenir à leurs fins, c'est-à-dire à des concessions favorables au Québec, ce PLC n'a plus de politique québécoise distincte de celles qu'il appliquerait aux autres provinces. Malgré les références obligées à propos du Québec, on a l'impression que le parti a jeté l'éponge. Il faut être assuré que, lors du changement de leadership, les militants libéraux éliront cette fois un chef plus représentatif du Canada actuel que l'intellectuel cosmopolite Michael Ignatieff, qui a vite compris que le Québec de Trudeau, de Chrétien et de Dion était devenu pour lui une terra incognita plutôt qu'un tremplin vers le pouvoir.
Le sénateur Jean-Claude Rivest, oeil de lynx de la politique, a déclaré cette semaine que le Québec n'intéresse plus les partis politiques canadiens. À vrai dire, le Québec n'intéresse pas davantage le nouveau Canada du multiculturalisme, pour qui le concept de deux nations est une vision quasi discriminatoire en un sens. Il n'est pas loin le temps où l'on remettra en question le texte de Basile Routhier, «Ô Canada, terre de nos aïeux». Et combien de temps encore conservera-t-on le bilinguisme officiel découlant de ce principe des deux nations?
La donne politique actuelle, où nous nous croyons astucieux de voter pour le Bloc québécois élections après élections sans souhaiter de référendum sur l'indépendance au Québec, rend impuissants tous ceux qui doivent parler et agir au nom du Québec. En ce sens, nous nous sommes condamnés à être perçus comme une province comme les autres et peut-être moins que d'autres (l'Alberta, par exemple) aux yeux des Canadiens. Les deux solitudes d'hier se sont transformées ainsi en deux indifférences sans qu'une larme soit versée de part et d'autre.
denbombardier@videotron.ca


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