Les idées en l'ère - Cette nuit-là

«Nuit des longs couteaux»? D'accord, c'est excessif. Mais qu'il se soit passé là quelque chose de grave est indéniable.

30 ans - "la nuit des longs couteaux" - 4 novembre 1981



La «nuit des longs couteaux»: empruntée étrangement — par on ne sait qui — à l'histoire du nazisme, l'expression a quelque chose d'excessif, comme le dit bien l'historien Frédéric Bastien. Les petites nations en périphérie de l'Histoire ont un don pour l'emphase abusive: pensons chez nous à «Grande Noirceur», «déluge du Saguenay», «paix des Braves», etc.
N'empêche, il s'est passé quelque chose de grave en cette nuit du 4 au 5 novembre 1981, il y a 30 ans. Aujourd'hui, les Québécois semblent vouloir l'oublier, «se tourner vers l'avenir», selon le cliché. Nous observons l'épuisement — du moins apparent — de cette «grille Meech», une manière particulière de voir la dynamique Québec-ROC (rest of Canada) de l'après-1982.
Aujourd'hui, l'obsession constitutionnelle serait dépassée. À ceux qui y songent parfois, on répond que «le fruit n'est pas mûr». Tellement qu'il semble irradié. Évidemment, au début des années 1980, lorsque Pierre Elliott Trudeau et le ROC voulaient refonder la fédération selon leurs volontés, l'«obsession» était autorisée.
Cette nuit-là, donc, que s'est-il passé? L'éviction du Québec, ni plus ni moins, du contrat de base de la fédération. Bien sûr, les acteurs de l'histoire, les journalistes et les historiens débattent encore des événements particuliers. L'ancien ministre Marc Lalonde, bras droit de Trudeau, cette semaine, sur le plateau de l'excellente émission Autour de l'histoire à Vox, a laissé tomber que cette nuit «n'a jamais existé». Dans le même studio, Louis Bernard, qui conseillait René Lévesque en 1981 lors de cette cruciale ronde de négociations, a protesté. Lorsque le groupe des huit provinces récalcitrantes s'est quitté le 4 au soir, il y avait une position commune. Or, le matin, Lévesque a été mis devant le fait accompli de l'isolement du Québec. Il a bien dû se passer quelque chose dans ces heures-là...
Rassurons-nous, insistait l'historien Max Nemni sur le même plateau: les Québécois ont fini par a-do-rer la charte de 1982. Ils la plébisciteraient même à 85-90 % dans certains sondages. Le Québec a été exclu? Voyons, 74 députés sur 75 libéraux ont voté en faveur du rapatriement à Ottawa. L'opposition quasi unanime de l'Assemblée nationale? Ça ne compte pas. Et les crises à répétition, depuis? Une nouvelle Constitution ne devrait pas produire de l'unité?
n Cette nuit-là de 1981, on a décidé de limiter les pouvoirs de cette Assemblée. La seule en Amérique du Nord, comme l'a déjà dit Robert Bourassa, à être contrôlée par une majorité francophone.
n Cette nuit-là de 1981, on a décidé d'insérer dans la Constitution une formule d'amendement ultra rigide. Pensez donc, elle aurait même interdit cette réforme Trudeau par laquelle on l'a insérée dans la Constitution!
Bien sûr, cette nuit-là, la délégation québécoise aurait pu négocier, ne pas faire la fête (selon ce que Jacques Parizeau a raconté). Cela justifiait-il qu'on écarte un des peuples fondateurs de cette fédération? La réforme aurait-elle paru acceptable si l'Ontario avait été évincé de la sorte? a demandé l'historien Éric Bédard à Marc Lalonde, à Vox: «Certainement!», a répondu l'ancien ministre. Peut-on en douter?
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Une injustice, que cette réforme avalisée par des juges de la Cour suprême reconnus pour leur grande proximité avec le pouvoir libéral. Dans l'ouvrage d'enquête qu'il prépare sur l'histoire du rapatriement, l'historien Frédéric Bastien aura des révélations à faire entre autres à ce sujet, a-t-il confié.
Ces mêmes juges nommés unilatéralement par le fédéral, qui ont coulé dans le béton des premières jurisprudences des interprétations trudeauistes (centralisatrices et multiculturalistes) de la charte. Des juges fédéraux qui tranchent les différends entre le fédéral et les provinces sur le partage des pouvoirs. (Comme si le Canadien de Montréal désignait les arbitres des matchs qu'il dispute!)
Et dire que dans le reste du Canada le Québec passe pour une province «gâtée». Or, «lors des nombreuses rondes de négociations constitutionnelles au cours des 30 dernières années, aucune des demandes constitutionnelles du Québec n'a été satisfaite, constatait le philosophe canadien-anglais Will Kymlicka en 1998. La seule réforme constitutionnelle qui eut lieu — le rapatriement de 1982 — était empreinte de la haine idéologique de Trudeau pour le nationalisme québécois et a reçu l'appui de toutes les provinces sauf le Québec. Bref, en 30 ans de débat et de réformes constitutionnels, le Québec a sans cesse été le perdant et n'a rien gagné.»
Une des seules concessions de Trudeau, la clause nonobstant, suggérée par Londres et les provinces de l'Ouest pour préserver dans certains cas la suprématie du Parlement, est honnie dans le ROC. Bien qu'elle fasse partie de la charte, en user est présenté comme un geste immoral. Même que la plupart des politiciens québécois ont lentement intériorisé cette stigmatisation: «Je ne peux pas envisager l'hypothèse où le Parti québécois invoquerait une clause dérogatoire et mettrait de côté les droits fondamentaux de notre charte pour quelque solution que ce soit en matière linguistique», a déjà déclaré Lucien Bouchard lorsqu'il était chef du PQ.
«Nuit des longs couteaux»? D'accord, c'est excessif. Mais qu'il se soit passé là quelque chose de grave est indéniable.


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