30 ans après la nuit des longs couteaux

Le début de l'isolement du Québec

30 ans - "la nuit des longs couteaux" - 4 novembre 1981



René Lévesque et, assis, Pierre Elliott Trudeau lors de la conférence fédérale-provinciale de novembre 1981

Photo : La Presse canadienne (photo)


Il y a trente ans jour pour jour, le Québec se retrouvait isolé au terme de négociations ayant mené au rapatriement de la Constitution. Après 18 mois d'affrontement et d'ultimes discussions, les neuf provinces anglophones et le gouvernement fédéral s'entendaient dans la nuit du 4 au 5 novembre 1981 sur la façon de changer au Canada la Constitution du pays et tombaient d'accord pour y enchâsser une charte des droits.
Dans notre mémoire collective, cette «nuit des longs couteaux» renvoie à l'image d'un complot ourdi contre le Québec non seulement par Ottawa, mais aussi par les autres provinces.
La vraie nature de la bande des huit
Pierre Elliott Trudeau se proposait à l'époque de demander unilatéralement aux Britanniques de modifier la loi suprême du Canada sans avoir obtenu l'accord préalable des provinces. Il voulait y insérer une charte des droits qui allait donner aux tribunaux le pouvoir d'invalider des lois votées par les provinces en vertu de leurs compétences exclusives. [...] Inacceptable pour René Lévesque, la charte l'était tout autant pour le premier ministre Sterling Lyon du Manitoba. Il y voyait un transfert antidémocratique de pouvoir vers une espèce de gouvernement de juges qui en viendraient nécessairement à rendre des décisions politiques plutôt que juridiques.
Rouleau compresseur fédéral
Outre cette pomme de discorde, la formule d'amendement proposée ne prévoyait pas de droit de retrait en cas d'empiétement du fédéral dans une compétence provinciale. Cette omission faisait craindre le pire au premier ministre albertain Peter Lougheed: Ottawa pourrait faire main basse sur les ressources pétrolières de sa province grâce à une modification constitutionnelle.
L'Alberta, le Québec et le Manitoba constituaient donc le noyau dur des opposants à Trudeau. Mais trois provinces seules ne pouvaient stopper le rouleau compresseur fédéral. Il leur fallait absolument élargir leur alliance. C'est ainsi que les autres provinces de l'Ouest se sont jointes aux rebelles, imitées par les provinces maritimes, sauf le Nouveau-Brunswick qui, à l'instar de l'Ontario, appuyait Ottawa.
À part cette alliance circonstancielle et fragile, René Lévesque avait peu de cartes à jouer; la Cour suprême est venue lui enlever son joker le 28 septembre 1981. Invitée à se prononcer sur la validité de la démarche unilatérale des fédéraux, elle a déclaré que cette approche était conforme à la loi. Le tribunal fédéral décrétait du même souffle que l'unanimité des provinces n'était pas nécessaire pour amender la loi suprême.
Deux scorpions dans la même bouteille
Privée de cet ultime moyen pour bloquer le processus, la province francophone devait s'accrocher plus que jamais à l'alliance avec ses sept consoeurs anglophones. Or il apparaissait de plus en plus à celles-ci que la position des Québécois et celle des fédéraux étaient inconciliables tant le fossé était grand, notamment sur l'enjeu crucial de la charte. Tels deux scorpions dans la même bouteille, Trudeau et Lévesque étaient engagés dans une lutte sans merci. L'un pour imposer au Québec sa vision d'un Canada bilingue et multiculturel, l'autre pour assurer la pérennité du fait français au Québec et lui assurer le statut de peuple fondateur du pays.
Malgré son désir d'en découdre, Trudeau avait été affaibli par le jugement de la Cour suprême. [...] Le chef fédéral a donc décidé d'abattre une carte. Il ne ferait pas de concession au Québec mais jetterait plutôt du lest du côté des provinces anglophones.
Telle est la dynamique qui a marqué les négociations du début de novembre 1981, de même que l'accord intervenu pendant la nuit du 4 au 5. [...] Ce qui devait être une nouvelle proposition dont on discuterait durant la journée du 5 novembre est rapidement devenu la forme presque définitive de la réforme constitutionnelle. Obtenant tour à tour ce qu'elles voulaient, les provinces anglophones se retrouvaient devant le choix de soutenir René Lévesque contre Ottawa ou d'accepter les concessions qui leur étaient offertes. [...]
Placés devant un dilemme difficile, agissant à la fois de manière condamnable et compréhensible, les premiers ministres provinciaux qui avaient été les alliés de René Lévesque se sont donc lavé les mains de la question de l'isolement du Québec, espérant que Trudeau et son parti en porteraient seuls l'odieux. Erreur! Si les libéraux fédéraux ne se sont jamais vraiment remis de cet événement aux yeux des Québécois, la colère de ceux-ci s'est reportée sur l'ensemble du Canada anglais, semant les graines d'une discorde qui perdure encore aujourd'hui.
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Frédéric Bastien - Professeur d'histoire au collège Dawson, l'auteur prépare un livre sur le rapatriement de la Constitution 5 novembre 2011 Québec
L'auteur participe aujourd'hui au colloque «Le rapatriement de la Constitution: 30 ans plus tard» organisé à Montréal par l'Institut de recherche sur le Québec.
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Frédéric Bastien - Professeur d'histoire au collège Dawson, l'auteur prépare un livre sur le rapatriement de la Constitution

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Frédérick Bastien4 articles

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L’auteur est chercheur postdoctoral au département d’information et de communication de l’Université Laval et membre du comité rédactionnel de l’observatoire sur le journalisme « ProjetJ.ca »





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