Les dindons de la farce

L'Occident doit exiger de la Chine, première puissance industrielle mondiale, qu'elle respecte les règles du jeu du commerce international

Le Québec économique



Selon la dernière étude du Conference Board, mondialisation et offshoring ont causé des pertes d'emplois non qualifiés, mais nous ne devrions pas nous en inquiéter, car "ces pertes devraient être remplacées par la création d'emplois dans d'autres secteurs". Le Canada doit "profiter de la fabrication et des services à bas coût qu'offrent des pays comme la Chine et l'Inde" et "monter dans la chaîne de valeur en devenant plus spécialisé dans les biens et services à forte intensité de connaissance et à haute valeur ajoutée".
Malheureusement, l'ensemble des pays développés ont exactement la même stratégie et les pays émergents ont les mêmes aspirations, Chine et Inde en tête! Qu'à cela ne tienne, nos penseurs continuent de nous présenter la mondialisation comme souhaitable et bienfaitrice, génératrice de croissance et de productivité, et de toute façon irréversible...
Cette attitude dogmatique est très en retard sur ce qu'on observe aujourd'hui aux États-Unis, où le débat fait rage en cette période préélectorale, mais aussi en Europe de l'Ouest.
Qu'en est-il vraiment? Les faits parlent et il s'agit de statistiques publiées par l'OCDE, la Banque mondiale ou le FMI:
Il est erroné, pour l'ensemble des pays développés, d'associer croissance et mondialisation. Nos économies ont connu une croissance économique supérieure dans la période précédant la mondialisation, qui était caractérisée par un bas degré de libre échange.
La mondialisation n'engendre pas dans nos économies les gains de productivité prétendus. Les vieux outils statistiques sont incapables de rendre compte de l'offshoring et ils représentent de manière erronée les importations à bas coût qui en résultent comme des gains de productivité.
La mondialisation correspond dans les pays développés, mais aussi dans la plupart des pays du Tiers-Monde, à la baisse en termes réels des revenus du travail par habitant, à la baisse de la part du facteur travail dans le produit national brut et à l'augmentation des inégalités de revenu.
Prétendre que la mondialisation est supportée par la théorie de l'avantage comparatif décrite par Ricardo, en 1817, relève de l'infantilisme; prétendre qu'elle est irréversible et durable est ignorer complètement son effet négatif sur l'environnement et l'épuisement des ressources énergétiques non-renouvelables.
Dans les pays développés, la mondialisation est le fait de grosses entreprises qui baissent leurs coûts de main-d'oeuvre par l'offshoring, dans une perspective de profit à très court terme, car les sous-traitants d'aujourd'hui sont les concurrents de demain. Les autres entreprises ne s'y adaptent que contraintes et forcées. Dans les pays émergents, elle profite à l'élite dirigeante politico-économique, mais très peu aux travailleurs, dont les salaires ne suivent pas la croissance économique et qui généralement ne disposent d'aucune protection sociale, et elle se fait au prix du massacre de l'environnement.
Au niveau des nations, la mondialisation est un jeu où les dés ont jusqu'à maintenant été pipés en faveur des pays émergents, ceux-ci répondant au libre-échangisme offert par les pays développés par une attitude de pur mercantilisme. Il s'agit d'un jeu à somme nulle, voire à somme négative si l'on tient compte de son impact sur l'environnement, et nous avons passé le point où ceci pouvait être toléré.
Dans le cas de la Chine, l'heure n'est plus à la traiter avec condescendance comme un pays sous-développé et ayant besoin de notre aide bienveillante. Il est temps de traiter la Chine comme ce qu'elle est vraiment sur l'échiquier mondial, c'est-à-dire d'ores et déjà la première puissance industrielle mondiale, en voie de devenir la première puissance économique mondiale d'ici seulement quelques années. Le moins qu'on puisse faire, c'est s'attendre à ce que l'acteur numéro un respecte les règles du jeu.
En termes d'action, cela implique d'exiger la réévaluation accélérée du yuan et de pénaliser sans plus attendre les exportations des entreprises chinoises lorsque leur compétitivité ne repose que sur l'exploitation sans vergogne et sans contrainte de leurs employés et de l'environnement. Cela implique également d'exiger que nos entreprises aient le même accès au marché chinois que celui que nous offrons aux entreprises chinoises. Les mêmes exigences de "fair trade" s'appliquent à l'Inde et aux autres pays émergents.
Beaucoup d'Américains et d'Européens parlent déjà ce langage. Qu'attendons-nous?
Il ne s'agit pas de protectionnisme, mais de cesser d'être les dindons de la farce. Il ne s'agit pas non plus d'un combat perdu d'avance, car la Chine ou l'Inde ont beaucoup plus besoin de nous que nous n'avons besoin d'elles. ()
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Thiéblot, Jean-Paul
L'auteur est directeur, Chine et pays émergents, chez Zins Beauchesne et associés, une firme d'experts-conseils spécialisée en marketing, développement et innovation.
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L'auteur est directeur, Chine et pays émergents, chez Zins Beauchesne et associés, une firme d'experts-conseils spécialisée en marketing, développement et innovation.





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