Les Desmarais, La Presse et l’Assemblée nationale : un débat sain et nécessaire

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Québec solidaire : allié objectif d'un oligarque fédéraliste

Auteur de Derrière l’État Desmarais : Power (nouvelle édition, Baraka 2013)


Sommes-nous « passés proche d’une catastrophe démocratique » dans l’histoire du projet de loi sur La Presse comme le prétend Stéphane Giroux, président de la Fédération professionnelle des journalistes? S’agit-il, comme l’a tonné le jeune député de Gouin, Gabriel Nadeau-Dubois, d’une simple abrogation d’une loi « vétuste », qui ne s’applique à aucune autre entreprise de presse au pays? Comme quoi l’unicité du cas de La Presse rendrait tout l’exercice moins important?


Étonnamment, ni l’un ni l’autre ne se demandent pourquoi l’Assemblée législative du Québec – son nom à l’époque – a  osé adopter une loi sur le contrôle du « plus grand quotidien français d’Amérique ». Et les deux semblent exiger que l’État se tienne loin des médias (sauf en ce qui concerne d’éventuelles subventions).



Propriété québécoise


Un petit rappel historique permettra de voir que les parlementaires avaient bien raison en 1967 de se pencher sur le cas de La Presse. Par ailleurs, on aurait des médias plus libres et plus diversifiés si nos parlementaires, à la suite des très nombreuses commissions d’enquête sur les médias au Québec et au Canada, avaient eu le courage de légiférer contre la concentration.


Paul Desmarais a acquis de la famille Berthiaume-Du Tremblay La Presse le 6 juillet 1967 en se servant de son principal outil financier, la Société Gelco (anciennement Gatineau Electric). La Presse devenait son joyau médiatique après l’acquisition, l’année précédente, de trois autres quotidiens régionaux québécois. Les parlementaires, à l’époque, craignaient notamment que le « plus grand quotidien français d’Amérique » tombe entre les mains d’intérêts étrangers, ce qui explique l’adoption de la fameuse loi, en août 1967. Car Paul Desmarais n’était pas actionnaire majoritaire de Power Corp à ce moment-là. Pour se conformer à la loi et garantir que la propriété de ce journal demeure québécoise, il a dû créer à partir de Gelco, dont il était actionnaire majoritaire, la filiale GESCA.



L’autre jeune député de Gouin


Mais l’histoire ne s’arrête pas là. En 1968, Paul Desmarais souhaitait acquérir aussi Le Soleil de Québec et Le Droit d’Ottawa. Voilà ce qui amène un autre jeune député libéral de Gouin, un certain Yves Michaud, à monter au créneau et à demander aux parlementaires d’agir d’urgence pour empêcher que la plus vaste opération monopolistique jamais entreprise sur le territoire québécois ne se réalise dans le domaine névralgique de l’information.


Le premier ministre Jean-Jacques Bertrand de l’Union nationale a répondu du tac au tac en établissant une commission de l’Assemblée nationale pour enquêter sur cette concentration. Ottawa emboîtera le pas deux ans plus tard avec le Comité spécial du Sénat sur les moyens de communication de masse présidé par le sénateur Keith Davey.


Ces deux enquêtes, comme d’autres qui les ont suivies – dont deux « royales » – , ont accouché parfois de bonnes recommandations, sans pour autant aboutir à autre chose que des projets de loi morts au feuilleton, à Québec et à Ottawa. Semble-t-il que la liberté des grands groupes médiatiques concentrationnaires de contrôler les médias d’information l’emporte toujours sur une vraie liberté et diversité d’opinion.


Mais tout n’était pas perdu. L’opinion publique québécoise était très sensible à ce problème, à tel point que, pendant 30 ans, les dirigeants politiques du Québec, de Robert Bourassa à Jacques Parizeau, n’ont pas permis à la famille Desmarais de mettre la main sur Le Soleil et Le Droit. C’est seulement Lucien Bouchard qui rompra avec cette tradition en 2000 en disant qu’il fallait faire confiance au capitalisme.


Étonnamment, le nouveau jeune député de Gouin, Gabriel Nadeau-Dubois, s’étonne que les débats à l’Assemblée nationale aient porté sur la politique éditoriale de La Presse. Pourtant, son prédécesseur de Gouin, Yves Michaud, était très troublé par cette question, tout comme d’autres parlementaires. L’histoire montre qu’ils avaient bien raison, car six courts mois après l’achat de La Presse  par Paul Desmarais,  son adjoint, Claude Frenette, a expliqué à un agent de l’Ambassade des États-Unis que la raison pour laquelle Paul Desmarais avait acheté La Presse :


« Power Corporation a l’intention d’utiliser le réseau de télévision et de presse qu’elle contrôle au Québec pour aider à battre le séparatisme à l’aide d’opérations de propagande subtiles. »


Le portrait médiatique mondial a bien changé, nous dira-t-on. Mais les questions posées à l’Assemblée nationale du Québec en 1967, tout comme celles posées en 2018, ont le grand mérite de montrer que nos élus ont le pouvoir – et le devoir – de veiller à une presse vraiment libre et diversifiée.


Prochaine cible : les Facebook, Twitter, Google de ce monde !