Les coulisses du pouvoir bleu

Avortement (C-484; Q-34)

À moins d'un revirement inattendu, la majorité libérale au Sénat va finir par mettre la hache dans les dispositions du projet de loi C-10 qui permettraient à un futur gouvernement fédéral de refuser des crédits d'impôt aux productions cinématographiques jugées «offensantes». Dans les faits, cela n'arrivera jamais assez vite pour bien des conservateurs. Les ténors du gouvernement Harper ne le diront jamais publiquement, mais, dans ce dossier, ils se sont fait piéger par leurs amis de la droite religieuse.
La semaine dernière, le président d'un des organismes les plus actifs en la matière, la Canadian Family Action Coalition, a témoigné au Sénat qu'il en avait appris l'existence dans les médias. À l'époque, cela n'avait pourtant pas empêché Charles McVety de crier victoire sur tous les toits. Il attribuait alors le nouveau filtre que le gouvernement entendait imposer au financement de l'industrie cinématographique canadienne à ses pressions sur le cabinet Harper.
En donnant son imprimatur à un tel projet, M. McVety a rendu deux mauvais services au gouvernement. D'abord, il a braqué les projecteurs sur des jeux de coulisses dont le gouvernement Harper aurait préféré nier l'existence. La disposition en question était passée inaperçue aux Communes parce qu'elle était enfouie dans une série de changements techniques à la loi de l'impôt.
Ensuite, en battant le rappel de la droite religieuse autour du projet, il a coincé le gouvernement entre son passé social conservateur et son avenir espéré de parti naturel de gouvernement. La ministre du Patrimoine, Josée Verner, a fait les frais de cette opération de relations publiques inversée. La controverse a réduit à néant des mois d'efforts pour établir une relation de confiance entre son gouvernement et les milieux culturels, en particulier au Québec.
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Depuis qu'ils sont arrivés au pouvoir, les conservateurs ont pris l'habitude de passer par la petite porte pour satisfaire leurs alliés de la droite religieuse. Pensons à l'abolition du programme de contestation judiciaire qui avait permis aux minorités linguistiques, mais également aux défenseurs des droits des homosexuels et des lesbiennes, de faire avancer leur cause. Et l'annulation des subventions aux organismes voués aux droits des femmes était inscrite en petits caractères dans un budget à plus large portée.
Aux yeux de la coalition de Charles McVety, le projet de loi C-484 «sur les enfants non encore nés victimes d'actes criminels» est une autre victoire. De nombreux critiques de ce projet de loi d'initiative privée le voient comme un cheval de Troie, susceptible de relancer le débat sur l'avortement, en conférant des droits juridiques au foetus dès le moment de sa conception.
Le mois dernier, deux douzaines de libéraux et un néo-démocrate (Peter Stoffer) ont permis l'adoption du projet en deuxième lecture. À trois exceptions près (dont la ministre Verner, responsable de la condition féminine), tous les conservateurs y compris le premier ministre, ont voté pour le projet de loi de leur collègue Ken Epp.
Interpellé la semaine dernière par la Fédération des médecins spécialistes du Québec et, par la suite, par un vote unanime de l'Assemblée nationale, le chef libéral a prédit qu'un nombre suffisant de ses députés changeraient de camp en troisième lecture pour mettre fin aux jours du projet.
Il est possible que M. Dion prenne ses désirs pour des réalités. Plusieurs des libéraux qui ont appuyé le projet C-484 font partie du groupe qui avait fait la guerre au mariage gai dans des parlements précédents. En matière d'avortement comme de droits homosexuels, le PLC a toujours préféré avoir des votes libres que d'affronter ce noyau dur.
Les divisions libérales sur l'avortement sont gênantes pour un parti qui se plaît à se décrire comme le champion en titre des droits des femmes, mais le débat est encore plus risqué pour les conservateurs. Stephen Harper a toujours mis deux bémols à son engagement de ne pas rouvrir le dossier de l'avortement, à savoir qu'il ne le ferait pas dans un premier mandat conservateur et qu'il ne pouvait pas exclure que la question ressuscite par la voie d'un projet de loi privé. L'épisode C-484 vient mettre ces bémols en évidence.
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La dernière fois qu'il a été question de recriminaliser l'avortement au Canada, le projet était mort au Sénat aux mains d'une coalition de sénateurs pro-vie et pro-choix qui avaient fait front commun le temps de rejeter une loi qui n'allait pas assez pour loin les uns et trop loin pour les autres.
Une quinzaine d'années plus tard, la composition du Sénat a beaucoup changé, et bon nombre de membres actuels sont plus libéraux que leurs prédécesseurs de l'époque, au sens propre comme au sens figuré. Entre le blocage en cours des comités parlementaires aux Communes et la tendance lourde libérale en faveur du droit à l'avortement, le projet du député Epp a finalement peu de chances de devenir loi dans le Parlement actuel.
Mais l'idée que, dans un éventuel gouvernement majoritaire conservateur, un sénat à géométrie variable soit de nouveau seul susceptible de bloquer une tentative en règle pour recriminaliser l'avortement au Canada n'a rien pour aider le Parti conservateur à élargir sa clientèle. À force de laisser son jupon dépasser, le gouvernement Harper va finir par ne plus convaincre personne que ce n'est pas son véritable costume.
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chebert@thestar.ca
Chantal Hébert est columnist politique au Toronto Star.


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