La maladie du secret

L'affaire Soudas-Housakos


Du temps où il était patron de la fonction publique fédérale dans les années 80, on ne peut certainement pas dire que Paul Tellier courait après les journalistes. Derek Burney, qui a été chef de cabinet de Brian Mulroney pendant le débat sur le libre-échange, n'était pas non plus épris des micros et des caméras. Le mois dernier, ces deux membres du groupe piloté par l'ancien ministre libéral John Manley se sont pourtant associés à un réquisitoire unanime contre la culture du secret du régime conservateur de Stephen Harper.
Dans son rapport sur l'avenir de la politique canadienne en Afghanistan, le groupe a réservé ses paroles les plus dures pour la mentalité d'assiégés que les conservateurs ont instaurée depuis leur arrivée au pouvoir. Selon le rapport, les Canadiens sont en droit d'attendre davantage de leurs élus que la vision tronquée qui leur est véhiculée. Le manque de transparence du gouvernement conservateur est d'autant plus injustifiable, avance le groupe, qu'il nuit à ses politiques.
En entrevue par la suite, M. Burney a été encore plus explicite. Parlant de la marge de manoeuvre qui était la sienne du temps où il était ambassadeur à Washington, il a suggéré qu'en muselant son personnel diplomatique, le régime Harper se prive d'atouts indispensables pour contextualiser sa politique étrangère.
On est loin ici des lamentations de journalistes. Derek Burney et Paul Tellier ont passé de grands pans de leur vie professionnelle dans le sérail fédéral. Leurs réseaux sont bien différents de ceux de la presse parlementaire. Leurs paroles font état d'un malaise de plus en plus palpable. Il déborde largement du cadre de la gestion de la mission afghane.
Bon nombre de fonctionnaires avaient pourtant poussé un soupir de soulagement en voyant le régime de Paul Martin remercié de ses services il y a deux ans. La tendance à l'éparpillement de l'équipe libérale, son incapacité à se fixer des objectifs durables, sa propension à faire porter par la fonction publique la responsabilité de scandales politiques comme celui des commandites avaient semé un certain désarroi dans l'appareil fédéral. En janvier 2006, la perspective d'un premier ministre moins brouillon était plutôt bienvenue.
Deux ans plus tard, force est de constater que Stephen Harper croyait ce qu'il disait à la fin de la dernière campagne quand il avait décrit la fonction publique fédérale comme un nid de libéraux. Depuis 24 mois, le premier ministre et son équipe ont souvent agi comme s'ils étaient en présence d'une cinquième colonne de fonctionnaires libéraux.
L'omertà imposée par les conservateurs à la fonction publique est sans précédent. Elle est devenue un sujet de fascination morbide dans les capitales provinciales et un sujet préoccupant pour ceux qui se soucient de l'état des politiques publiques au Canada.
En temps normal, à la mi-parcours d'un second mandat minoritaire successif, la fonction publique fédérale en serait à souhaiter l'avènement d'un gouvernement majoritaire. L'instabilité ambiante qui est la marque de commerce des régimes fragiles n'est pas porteuse de politiques très ambitieuses. Par définition, les gouvernements minoritaires privilégient le pilotage à courte vue. Ils ont généralement la peau plus mince que les régimes majoritaires.
Dans le climat actuel cependant, l'idée que la raison d'État ne passe pas par une majorité conservatrice fait du chemin tous les jours dans la capitale fédérale. Le devoir de réserve de la fonction publique a rarement été mis à aussi rude épreuve.
La méfiance qui caractérise les relations de l'équipe Harper avec ses interlocuteurs fait des ravages jusque dans ses propres rangs. La nouvelle voulant que Dimitri Soudas, un membre du bureau du premier ministre, se soit immiscé dans une dispute entre le ministère des travaux publics et un entrepreneur susceptible d'aider les conservateurs dans Outremont est la première controverse à saveur éthique à toucher directement la garde rapprochée de Stephen Harper.
Cette histoire n'aurait jamais pu voir le jour sans aide de l'intérieur du gouvernement. Les tractations entre les cabinets politiques ne sont ni du domaine public ni de celui de l'accès à l'information. Elles ne sont normalement à la portée ni des partis d'opposition, ni des journalistes. Ceci expliquant cela, l'histoire a déclenché une chasse aux sorcières aux plus hauts niveaux du gouvernement conservateur.
La gestion opaque de l'équipe Harper nuit à son message. On le voit plus que jamais depuis la rentrée parlementaire. Avec les contradictions et les demi-vérités qui s'accumulent dans le dossier du traitement des détenus afghans, les partis d'opposition ont beau jeu d'affirmer que de la culture du secret est en voie de devenir celle du mensonge.
À force de vouloir mettre le couvercle sur la marmite fédérale, le gouvernement Harper est en voie de la transformer en passoire. Les fuites qui ont mené à la publication de l'affaire Soudas sont un symptôme de l'état d'esprit qui règne dans les rangs conservateurs québécois à la veille ou à l'avant-veille d'un scrutin. Le fait qu'elles sont susceptibles de rendre un régime farouchement jaloux de ses secrets encore plus paranoïaque n'est pas de bon augure pour la suite des choses.
Il y a risque d'une spirale qui va finir par avoir raison de la capacité du gouvernement d'atteindre ses objectifs électoraux et politiques. La maladie du secret qui ronge le régime conservateur menace aussi bien ses perspectives d'avenir que la santé du débat public au Canada. Même de bons amis comme les membres du groupe Manley le lui ont dit.
chebert@thestar.ca


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