Les affres de Trudeau

Trudeau Justaclown



KBon lundi! Justin Trudeau est venu faire un tas au Harbour Station de Saint-Jean devant quelque 2000 enseignants du primaire qui l'ont ovationné à tout rompre. Puis, tel un être bien élevé, il a sorti sa petite pelle et son petit sac et a ramassé tant bien que mal son tas. Sa rétractation a nettoyé l'excrément du terrain. Mais l'odeur persiste.
Les réactions de toutes parts, tant de la communauté acadienne que de la classe politique, tous partis confondus, ont été fermes et unanimes. La dualité est là pour rester. N'en déplaise à M. Trudeau, c'est une vache sacrée qui, elle, laisse ses tas ici et là dans tous les coins de la province. Et on en est "ben aise"!
Erreur de parcours, erreur de jeunesse, on ne saurait dire. Je crois plutôt qu'il a révélé le fond de sa pensée et qu'il a péché, en cela, par pure ignorance. Dans une envolée contre les méchants séparatistes, il n'y avait qu'un pas pour étendre sa réflexion au contexte "ségrégationniste" de la dualité scolaire au Nouveau-Brunswick. Un pas qu'il a franchi allégrement et qui a converti son envolée en diatribe.
En ce qui concerne M. Trudeau, on va espérer que le dossier est clos. Mais il faudra bien l'encadrer, bien lui expliquer, instruire cet éducateur sur notre contexte. Car dans le firmament politique, qu'on le veuille ou non, il est une étoile montante.
Ce qui inquiète davantage, c'est que le parterre lui a accordé une ovation debout. Pire encore, c'est que le principal quotidien anglophone de la province, le Telegraph Journal, a sauté sur l'occasion pour encenser les propos de M. Trudeau en page éditoriale dès le lundi matin. On aurait cru que le dossier de la dualité scolaire était fermé. Mais il faut bien se rendre à l'évidence qu'on ne peut rien prendre pour acquis. Même qu'après les mièvres excuses de M. Trudeau, le TJ en a remis en éditorial. Comme quoi les relents du CoR se cachent encore sous les fleurs du tapis.
La scène se passait à l'Hôtel Beauséjour, à l'hiver 1993, lors d'un cocktail précédant une quelconque soirée mondaine. Fernand Landry, le bras droit de Frank McKenna et un de ses conseillers constitutionnels, m'accoste. Il savait que je grenouillais en marge de ce dossier au sein des organisations acadiennes à la suite des affaires Meech et Charlottetown. Le tandem McKenna - Mulroney, avec les alliés Landry et Valcourt, cherchait à faire inscrire dans la constitution du Canada un amendement qui élèverait au rang de droits constitutionnels des éléments de la loi 88 sur l'égalité des communautés linguistiques de la province. M. Landry tentait de me convaincre de ne pas trop en demander et de lui faire confiance. J'étais resté stoïque, tant par tactique que par conviction. Tout gain, aussi petit eusse-t-il pu être, serait positif. En mon for intérieur - je connaissais suffisamment le personnage pour savoir qu'il ferait tout en son possible pour aller le plus loin possible -, je me disais qu'on allait dans la bonne direction. Peut-être qu'on n'obtiendrait pas tout ce qui aurait été souhaité, mais tout de même un gain pour la communauté acadienne de la province s'annonçait.
Ces démarches aboutiront au printemps 1993 à un amendement constitutionnel, le premier depuis 1982 et le seul résultat tangible des croisades de l'après Meech. L'article 16.1 est enchâssé dans la Charte canadienne des droits et libertés. Pour le bénéfice des lecteurs - et de Justin Trudeau -, il n'est pas inutile de le reproduire ici:
16.1: La communauté linguistique française et la communauté linguistique anglaise du Nouveau-Brunswick ont un statut et des droits et privilèges égaux, notamment le droit à des institutions d'enseignement distinctes et aux institutions culturelles distinctes nécessaires à leur protection et à leur promotion.
Le rôle de la législature et du gouvernement du Nouveau-Brunswick de protéger et de promouvoir le statut, les droits et les privilèges visés au paragraphe (1) est confirmé.
Cet amendement enchâsse essentiellement les deux premiers articles de la loi 88. Non seulement il déclare l'égalité des deux communautés linguistiques et garantit nos droits respectifs à des institutions éducatives et culturelles distinctes, mais il confirme le rôle de la législature et du gouvernement de la province d'en assurer le rayonnement. Pas étonnant que les élus de tous les partis se soient vexés, avec raison, des propos égarés de Justin Trudeau.
Ces garanties constitutionnelles ne sont pas que symboliques. C'est d'ailleurs dans un contexte comme aujourd'hui qu'on le constate. Et qu'on peut remercier tous les Landry, McKenna, Valcourt et Mulroney de ce bas monde. Ils ont coulé dans le ciment une protection essentielle à notre développement comme société acadienne. Encore davantage, ils ont inscrit dans le socle de la politique provinciale une réalité bicommunautaire saine, pour peu qu'on la reconnaisse, la respecte et veuille s'en servir pour édifier l'armature de notre développement. Qu'on se le tienne pour dit, tant chez les Trudeau que dans les pages éditoriales des journaux anglophones de la province! Et bonne semaine!


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