Le tournant rouge

PLC - le Plan vert



Il y a deux façons de réagir à l'ambitieux «Tournant vert» que proposait hier le chef du Parti libéral du Canada, Stéphane Dion: regarder le fond ou regarder la forme. Le fond, c'est soupeser les mérites d'une taxe sur le carbone. La forme, c'est s'interroger sur la capacité politique des libéraux de vendre cette idée et de faire d'une taxe un enjeu électoral gagnant.

Sur le fond: bravo. Quant à la forme, tout n'est pas gagné, mais il ne faudrait pas sous-estimer la capacité du chef libéral de s'imposer avec ce thème, qu'il maîtrise parfaitement.
Le principe d'une taxe sur les combustibles fossiles est fort probablement l'outil le plus puissant et le plus efficace pour modifier les comportements, pour pénaliser les mauvais usages et pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. La politique proposée par M. Dion met un prix sur le carbone: 10$ par tonne la première année, un montant qui augmentera graduellement pour atteindre 40$ dans quatre ans. Cela envoie un signal clair qui, si on se fie aux spécialistes et aux expériences d'autres pays, donnera des résultats.
Le complément fiscal que lui assortit le chef libéral est également essentiel, pour que cette taxe soit neutre, qu'elle serve à combattre le réchauffement climatique et non pas à garnir les coffres de l'État. On prend donc d'une main pour remettre de l'autre, parce qu'il ne s'agit pas de taxer plus, mais de taxer autrement.
C'est donc une bonne politique, même si elle est incomplète. Par exemple, les baisses d'impôt promises par M. Dion ne sont pas liées aux bons comportements environnementaux. Par ailleurs, on ne réserve pas une partie des sommes recueillies pour financer des politiques vertes. Enfin, il manque à cette politique le prolongement naturel que serait un système de plafond et d'échanges. Mais il est clair qu'avec ce projet, Stéphane Dion met bien la table.
Voilà pour le fond. Pour la forme, le document libéral laisse mal à l'aise. Le «Tournant vert» ressemble à un discours du budget, ou plus précisément à une nouvelle version du livre rouge libéral. Il y a là un saupoudrage de cadeaux aux arômes électoraux. Et l'expression d'un travers bien libéral: l'incapacité congénitale à avoir de l'argent entre les mains sans tout de suite l'engager dans des projets, des programmes ou des politiques.
Mais surtout, parce qu'il consacre une grande énergie à décrire dans le menu détail les baisses d'impôt, les crédits, les allocations et les cadeaux fiscaux financés par la taxe sur le carbone, le document est touffu, compliqué et incompréhensible. Et cela dilue l'élément central de la politique, l'engagement environnemental.
On comprend pourquoi M. Dion a consacré tant d'énergie à ces considérations fiscales. Il voulait démontrer de façon convaincante qu'il retournerait aux contribuables les revenus de la taxe sur le carbone, pour contrer la campagne négative lancée par les conservateurs. Ceux-ci ont profité de la volte-face de M. Dion qui, il y a moins d'un an, était encore opposé à une taxe sur le carbone et qui, par la suite, a trop tardé à en dévoiler les détails. Les troupes de Stephen Harper s'en sont donné à coeur joie en accusant à tort M. Dion de vouloir augmenter les taxes sur l'essence, au moment même où les prix à la pompe explosaient.
Mais M. Dion aurait certainement pu trouver une façon plus simple de rassurer les contribuables. Et s'il veut gagner des points dans la campagne estivale qu'il semble préparer, le chef libéral a tout intérêt à concentrer son discours sur son tournant vert, à parler de carbone et de GES, et à éviter de s'empêtrer dans les considérations fiscales.
Le plan libéral est assez clair pour que la campagne conservatrice fasse boomerang et qu'elle revienne frapper ses auteurs. Hier encore, M. Harper, en réaction, jouait la carte de la hausse de taxes, affirmant qu'il n'y a aucun exemple de nouvelle taxe qui est fiscalement neutre. Ces attaques envoient surtout l'image d'un gouvernement qui masque son inaction dans l'humour primaire. Le projet libéral, quand on le compare à la feuille de route des conservateurs, avec sa succession de refus, de reculs, d'hésitations et de petits pas, peut permettre à M. Dion d'imposer cet enjeu où il exerce un leadership certain.
Bien sûr, on peut dire que l'idée de promettre une taxe est la pire façon de préparer des élections. Mais il faut faire confiance à l'intelligence des gens, qui verront bien qu'il ne s'agit pas d'une augmentation de leur fardeau fiscal. Et ne pas oublier leurs préoccupations: ils s'inquiètent du réchauffement climatique et veulent que l'on fasse quelque chose.


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