Lettre ouverte à Stéphane Dion

Le tournant vert des libéraux

il vous faudra vous attaquer à ce qui est resté le grand impensé dans les discussions relatives au désastre environnemental, et je nomme la rapacité des pays du Nord, le Canada compris

PLC - le Plan vert

Lettre ouverte à Stéphane Dion,

Honorable député de Saint-Laurent Cartierville

Chef du Parti Libéral du Canada
Depuis que votre organisation politique a procédé le 19 juin dernier, à la
publication de son Plan Vert, on a assisté, sur la scène politique, à une
surenchère d’épithètes, allant du panégyrique le plus superlatif aux
critiques les plus tranchantes. Certains parlent du tournant vert du Parti
Libéral. D’autres s’empressent d’ajouter que vous tournez au vert pour
mieux nous faire tourner au rouge, réduisant par là toute cette clameur
médiatique à des velléités bassement électorales. D’autres encore n’y
voient que des paroles, car, prétendent-ils, vos objectifs sont tellement
dérisoires, vous avez mis la barre tellement bas, qu’il est impossible que
vous ignoriez que votre plan soit ridiculement misérable devant l’ampleur
de la crise des gaz à effet de serre. Finalement il y a ceux qui croient
que seul un cancre en finances puisse raisonnablement croire en la
plausibilité économique d’un tel montage qui, croient-ils, n’autorise
qu’une seule certitude, soit celle d’enfoncer le pays, qui est déjà en
récession, dans un gouffre financier amer et d’œuvrer à enlever au
Canada tout avantage comparatif dans ses échanges internationaux. Les
partis politiques de l’opposition, le parti conservateur, les militants
écolos, Greenpeace, David Suzuki, tous se croient obligés, à raison ou à
tort, d’honorer votre proposition verte de leur petit commentaire et
analyse. Qu’il nous soit permis, en marge de ces envolées de mauvaise
rhétorique et cette cacophonie de syllogismes affolants, de soumettre les
prétentions de votre plan à un examen autant de ses présupposés
philosophiques, de sa pertinence écologique que de sa plausibilité
financière.
Tout d’abord, nous savons que la vision d’un monde étroitement
anthropocentrique qui place l’homme et le monde dans un rapport de
hiérarchie factice a déjà épuisé toutes ses possibilités. L’image, d’un
homme, maître et seigneur de la nature, régnant en monarque absolu sur le
monde et investi d’une mission émancipatrice au destin lié à un progrès
inévitable et garanti, est depuis longtemps obsolète. Depuis, au moins, les
deux guerres mondiales du siècle dernier, nous avons fait l’amère
expérience des dérives possibles de la science, la maxime riche de sagesse
philosophique qu’une ‘’science sans conscience n’est que ruine de l’âme’’
s’est inscrite avec une actualité douloureuse au cœur de notre expérience
collective. Désormais l’idée même d’une raison omnipotente et
nécessairement émancipatrice est difficile à supporter. La phase
d’exploitation frénétique du monde par l’occident, inaugurée à l’aube de la
Renaissance, se sera définitivement achevée. Qu’un gouvernement, comme
l’administration Harper, se refuse à prendre acte de ce fait, voilà qui
condamne cette dernière à demeurer dans les oubliettes de l’histoire, voilà
qui démasque sa vision écologique préhistorique en immobilisme assassin.
Évidemment, prendre acte de l’inscription de l’homme dans la nature ne
saurait servir de prétexte à une liquidation rétrograde des acquis
fondateurs de la modernité occidentale et à un retour à une conception
holiste et hétéronome de l’homme. Il ne saurait s’agir de remplacer le
totalitarisme du sujet par le totalitarisme, non moins répréhensible, du
monde. Aussi me permettrais-je de vous inviter à la vigilance et à la plus
grande prudence philosophique lorsque dans votre plan vert vous dites: ‘’
Nous devons faire notre part afin de contrer la crise provoquée par les
changements climatiques, pour préserver non seulement notre grand pays et
notre mode de vie mais aussi la planète tout entière et les millions de
personnes dont la vie est en péril.’’ Il ne saurait être question
d’immerger le citoyen canadien dans un tout cosmique ou il serait vidé de
toute substance propre, noyé dans une transcendance bon marché à la sauce
écolo. Sans un penser global, l’agir local risque de s’effondrer dans un
activisme aveuglément délirant.
Mais, monsieur le député, vous me permettrez d’être sceptique quant à la
pertinence des politiques néolibérales à bâtir une réelle vision
écologique. C’est une nouvelle pédagogie des besoins que requiert la
nouvelle éthique de l’environnement. Et il n’y a rien de tel dans
l’économie de votre plan.
Puis-je attirer votre attention sur un fait capital qui a pourtant été
oblitéré dans les discussions suscitées par votre plan. . En effet, votre
plan vert est silencieux sur la réalité maintes fois rappelée dans le débat
environnementaliste que si l’on généralisait à l’ensemble de la population
mondiale la consommation moyenne d’énergie des États-Unis, les réserves
connues de pétrole seraient épuisées en dix-neuf jours. Vous comprendrez
alors, monsieur le chef du parti libéral, que l’inégalité entre les riches
et les pauvres n’est pas un accident de parcours du néolibéralisme, au
contraire, c’est une condition nécessaire et essentielle de son être et de
son devenir. Quand vous proposez, comme vous le faites dans votre plan
vert, des crédits d’impôt pour les familles les plus démunies ainsi que des
protections pour les retraités, vous ne contribuez, monsieur le député,
qu’à reconduire le système actuel dans toutes ses contradictions et ses
apories. Vous pourrez jouer au redresseur d’inégalités ponctuelles aussi
longtemps que vous le voulez, un véritable plan vert ne saurait faire
l’économie d’une lutte générale à la structure de consommation actuelle
fondée sur le gaspillage, l’ostentation, l’aliénation marchande et
l’obsession accumulatrice. Sinon, votre plan ne fera qu’avaliser un
changement de consommation, tout en autorisant encore autant de
consommation, sinon davantage de consommation.
N’est-il pas paradoxal, par ailleurs, qu’une proposition verte ayant la
prétention de lutter contre les GES n’ait rien prévu comme correctif quant
au comportement du consommateur à la pompe d’essence ? Ne craignez-vous que
cela soit traduit comme une subvention du pétrole à la pompe en refilant
les profits au consommateur sous la forme de pétrole moins cher ?
Qu’avez-vous à répondre à ceux qui vous taxeront d’encourager la
consommation d’énergies polluantes en utilisant les ressources du
gouvernement ? Comment pouvez-vous vous assurer que cette économie à la
pompe ne servira pas à acheter de plus gros utilitaires, plus polluants et
plus énergivores ?
En réalité votre plan se contente d’une pratique minimaliste du
développement durable : cette écologie faible risque de conduire un
éventuel gouvernement libéral à de bien curieux compromis sur les
organismes génétiquement modifiés, sur les sites d’enfouissement de
déchets, sur la destination actuelle de 67 % de notre pétrole et de 57 % de
notre gaz naturel vers le marché américain. Rien de cela n’est entamé par
votre nouvelle proposition verte.
A lire votre plan vert, la défense de l’environnement est devenu non
seulement un concept publicitaire, mais aussi un véritable marché
lucratif. C’est faire injure à ma foi indéfectible et inaliénable au credo
écologique. C’est également la meilleure façon de vous discréditer auprès
des Canadiens. Car nous savons tous que la rationalité économique et les
valeurs écologistes authentiques s’inscrivent dans un rapport
d’incompatibilité sans appel. Non, Monsieur le député, mon rêve d’un monde
plus vert n’est pas à vendre et il est hors de question que vous
travestissiez mon plus doux espoir en une marchandise échangeable de
l’économie libérale. Votre plan vert n’est qu’un plaidoyer faisant
l’injonction aux corporations et aux multinationales pétrolières de
domestiquer la force de subversion écologiste.
En lisant ce plan vert qui compile cinquante ans de morale économique
écologiste on est frappé par l’absence totale de toute considération de
justice et d’équité dans l’élaboration de ses mécanismes de fonctionnement.
Il ne peut exister de plan véritablement vert sans une réflexion corollaire
sur la structure inégale de l’accessibilité à l’énergie. On sait en effet
que 67% de la production pétrolière canadienne et 57% de notre gaz naturel
sont destinés au marché américain ou 5 % de la population mondiale
consomment 25 % du pétrole. Ce qu’il nous faut c’est une nouvelle éthique
de la suffisance, une pédagogie de l’utile et du nécessaire, la
réhabilitation de la décroissance.
On assiste donc là à une idolâtrie du dollar vert et à une absence quasi
totale de toute considération humaine et citoyenne face à cette nouvelle
économie toute puissante qui se considère comme sa propre finalité et ne
vise que soi pour valeur ultime. Une écologie molle ne contribuerait qu’à
donner au corporatisme financier de nouvelles bases d’exploitation et de
domination.
Je voudrais vous partager ma crainte que la taxe sur le carbone, si elle
n’est accompagnée de mesures pénales et d’une véritable éthique du
suffisant, de l’utile et du nécessaire, ne contribue à faire croire aux
corporations et aux multinationales pétrolières que la réduction des
émissions soit une autorisation à normativer la liberté des citoyens, ou
encore à faire asseoir une équivalence entre ‘’plus vert’’ et ‘’plus
juste’’ ou ‘’plus équitable’’.Que même dans une économie plus verte se
pose encore le problème de l’inégalité abusive de la richesse dans notre
société et dans le monde.
C’est pourtant là une réalité qui dépasse les lignes partisanes. Il
n’appartient ni aux Conservateurs, ni au Bloc, ni au NPD, ni aux Libéraux
de noyer les injustices et les inégalités dans un océan de principes
respectables et à la mode, de travestir la justice sociale en écologisme
bon marché.
Il ne s’agit pas d’une peccadille qu’on peut mettre au compte des détails
à résorber progressivement. C’est là que se trouvent les raisons du
désastre écologique. Elles s’appellent la rapacité, l’avarice, l’appât du
lucre. Et ça ce n’est pas une taxe qui peut y remédier, quelle que soit son
bien-fondé, par ailleurs. La décence la plus élémentaire interdit ici et
maintenant toute négociation d’une valeur aussi cardinale de notre vivre
ensemble. Elle n’est pas à négocier.

Pouvez-vous nous dire qui sont ces instances que vous dites avoir consulté
dans l’élaboration de votre plan. Vous parlez d’une certaine ‘’coalition
pour un budget vert’’. Se pourrait-il que vous ayez confié l’écriture de
votre plan vert à des institutions et des personnes qui sont à la fois
juges et parties, et qui sont donc partiales ? Si oui, que leur avez-vous
promis en retour advenant l’élection d’un gouvernement libéral ?
Il ne suffit pas de répondre ‘’nous stimulerons l’innovation au Canada à
travers toute l’économie canadienne en encourageant l’investissement dans
les technologies qui permettront de réduire considérablement les émissions
de gaz à effet de serre…’’Les Canadiens ont le droit de savoir la teneur
des négociations et des pourparlers que vous avez eus avec les
représentants de l’industrie dans l’élaboration de ce plan. Vous pouvez
être assuré dès aujourd’hui, monsieur le chef du parti libéral, que nous ne
choisirons jamais entre notre attachement aux valeurs démocratiques et
notre volonté d’un Canada plus propre et plus vert.
La belle idée d’un Canada plus vert, plus propre, passe nécessairement par
les institutions démocratiques. Ceci n’est pas négociable. Je ne veux pas
d’une écologie imposée d’en haut. Je ne suis pas prêt à tout pour sauver la
planète.
Et peu m’importe que ce plan respecte mieux que celui des Conservateurs
les exigences de Kyoto. La base de référence de 1990, le niveau de
réduction fixé à 20 %, l’échéancier de 2020, tout cela ne constitue que des
réaménagements du corporatisme financier pour mieux neutraliser l’écologie
et pervertir de l’intérieur la portée de ses promesses. L’argument sublime
que l’on passe de la peste au choléra ne m’accommode guère d’être malade.
Finalement, si vous voulez que votre taxe sur le carbone ne se limite à un
ingénieux bricolage d’intervention étatique, il vous faudra vous attaquer à
ce qui est resté le grand impensé dans les discussions relatives au
désastre environnemental, et je nomme la rapacité des pays du Nord, le
Canada compris.


-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --


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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    6 septembre 2008

    Le meilleur moyen politique qu'ont les Québécois d'œuvrer efficacement pour la planète (à leur échelle, comme il se doit), c'est de faire sécession du Canada afin de se doter (démocratiquement) de normes constitutionnalisées visant la protection de l'environnement, ce que ni le marketing vert du PLC, ni les idées de grandeur de Dion (qui se voit déjà en grand sauveur des terriens), ni le fédéralisme* et le cadre constitutionnel canadiens ne sont en mesure de réaliser. Ce ne sont pas les "engagements" électoralistes, pas plus que la diplomatie internationale canadienne, - on l'a vu avec Kyoto -, qui sont vraiment susceptibles de "freiner" (comme si c'était possible, de toute façon...) le réchauffement climatique. Il faut dire que la plupart des états plient devant le néo-libéralisme et les exigences de ces grandes compagnies qui produisent et produisent, et polluent et polluent. Même les gouvernements de gauche finissent par céder au chantage des lobbys d'entreprises et de multinationales : d'Evo Morales en Bolivie à Tony Blair au UK en passant pas... Bob Rae (!) en Ontario. Les exemples sont nombreux en Occident...
    Bon, on pourrait se faire encore plus sceptique, voire pessimiste, en affirmant par exemple que la lutte environnementale verse parfois dans le sectarisme ou encore qu'il se fait déjà tard pour espérer renverser la vapeur... Mais, le politique, quand il se veut progressiste, ne peut vraiment se permettre d'adopter ce mode de pensée, eu égard aux constats du monde scientifique sur les effets dévastateurs de la pollution ainsi qu'aux pressions et revendications qui les accompagnent. Il faut donc continuer d'agir et il m'apparaît clair que le meilleur instrument à cette fin demeure l'état, à condition de le renforcer. Un pays du Québec pourrait s'instituer* en vue de relever les défis que pose le réchauffement climatique et ainsi faire preuve de leadership international. Le Canada, quant à lui, avec un taux moyen de tonnes de gaz à effet de serre produit par personne en 2005 de 22,9 (contrairement à celui du Québec, qui est de l'ordre de 11,7), et aucune ambition réelle* de changer grand-chose à la situation, - s'étant retiré de l'accord de Kyoto, étant un acteur de la guerre du pétrole au Proche-Orient, finançant allègrement les pétrolières albertaines, etc. -, traîne de la patte. En fait, le fédéralisme ralentit les Québécois, qui visent plus haut encore : le développement vert et durable de l'ensemble de leur économie. Il faut réaffirmer notre engagement envers la planète avant que Stéphane Dion et les Canadians ne fasse de l'environnementalisme un nouveau vecteur de nation building et de pensée unitaire, l'opposant aux Québécois (comme le sont le multiculturalisme et le bilinguisme).
    La constitution et les pratiques gouvernementales canadiennes ont pour effets de faire obstacle au Québec et à son action environnementale au moins dans les domaines législatifs du commerce international, du commerce inter-provincial, des douanes, des aéroports et du transport aérien et ferroviaire, des communications, des nouvelles technologies, des pêches et océans (le Canada sous gouverne libérale a d'ailleurs refusé les propositions soutenues de Green Peace en ce qui a trait à imposer un moratoire au chalutage de fond en haute mer), des cours d'eau, de même que dans le fédéralisme lui-même, le fonctionnariat, la diplomatie, etc. C'est donc l'impasse à tous les niveaux : constitutionnel, politique, économique.
    Enfin, j'ai la conviction que la souveraineté du Québec doit être assortie de projets de société et que l'environnement en est un pour bien des Québécois. Ceci étant, je ne suis pas là pour garantir que ça fonctionnerait (tout comme on ne saurait garantir que l'humanité réussira à stopper ou amortir le réchauffement climatique). Je suis cependant certain que ça fonctionnerait mieux que dans le cadre canadien, en ce qui nous a trait.
    Maxime Laporte, étudiant en droit.

  • Michel Guay Répondre

    28 août 2008

    Dion est un menteur fédéraliste car jamais les libéraux ne feront ce qu'ils promettent et nous les Québecois nous nous souvenons des 74 traîtres libéraux de 1982 et de la loi anti démocratique C20 de cet anti Québecois royaliste totalitaire.
    Mieux vaut laisser élire le canadian d'extrème droite Harper qui apportera ce qui manque comme argument de décolonisation pour notre pays le Québec et notre nation francophone
    Votons Bloc Québecois