Le théâtre médico-libéral

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« Comediante ! Tragédiante ! »

«Vous allez vous habituer au personnage. Nous, on le connaît depuis longtemps », a déclaré en entrevue au Soleil la nouvelle présidente de la Fédération des médecins spécialistes du Québec, Diane Francoeur.
Il est vrai que son prédécesseur, Gaétan Barrette, est tout un personnage, et la situation dans laquelle il s’est retrouvé aurait très bien pu inspirer un auteur de théâtre. Tragique ou comique, selon le point de vue. Sur cette scène que constitue l’Assemblée nationale, le ministre de la Santé offre le meilleur spectacle de la nouvelle saison. Cette semaine, il était franchement désopilant de l’entendre expliquer qu’il avait sans doute été « mal informé » par ses anciens confrères à l’époque où il dénonçait l’inutilité et le coût excessif des agences de santé avec lesquelles il devra maintenant composer.
Il aurait été franchement loufoque d’étendre sur une période de 15 ans une augmentation que M. Barrette lui-même avait réussi à arracher. On n’ose imaginer le nombre de chemises qu’il aurait déchirées si on lui avait soumis une proposition comme celle-là, mais il est impératif de préparer le terrain en vue des négociations avec l’ensemble des employés du secteur public, dont la rémunération représente 60 % des dépenses de l’État.
La présidente de la FMSQ savait parfaitement à quoi s’en tenir : « Si on traite les médecins comme ça, préparez-vous en mars 2015 avec la fin des conventions collectives dans le secteur public. Le secteur public va y goûter. » Il est évident que les offres gouvernementales seront aux antipodes de l’augmentation annuelle de 4,5 % réclamée par le front commun. Il faut donc que les médecins aient l’air d’y goûter eux aussi.
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« C’est sa première offre. On est parti des cavernes. On arrive à la civilisation tranquillement […] On peut décoder son jeu très rapidement. Ça fait cinq ans que je suis à la Fédération et que je travaille avec lui », a expliqué Mme Francoeur. Sans doute, mais l’inverse est aussi vrai.
Ce face-à-face entre médecins, qui occupent les postes clés au gouvernement, a amené la porte-parole péquiste en matière de santé, Agnès Maltais, à dénoncer le « huis clos médico-libéral » dans lequel se déroulent les négociations. À bien des égards, M. Barrette semble en effet dans une situation de conflit d’intérêts, mais il est certainement en mesure d’évaluer mieux que quiconque le rapport de force dont il dispose face à ses anciens collègues et il est permis de croire que son tempérament de bagarreur le poussera à en profiter au maximum.
L’ancien président de la FMSQ n’aimait pas se faire traiter de maître chanteur quand il brandissait la menace d’un exode des médecins si ceux-ci n’obtenaient pas satisfaction. Il est douteux que le nouveau ministre de la Santé soit sensible à cet argument. À l’époque, M. Barrette disait que l’indigence des médecins québécois était « la risée du Canada ». Curieusement, il y a nettement plus de médecins par 100 000 habitants au Québec que dans le reste du pays. Il pourra aussi faire valoir à ses ex-confrères qu’un salaire de ministre est franchement minable en comparaison de ce qu’ils gagnent.
Il y avait bien assez d’argent au Québec, soutenait-il. Le problème était que le gouvernement Charest gérait mal les fonds publics, comme en témoignait selon lui le dossier du CHUM. C’est exactement ce que Mme Francoeur disait vendredi : les médecins n’ont aucune envie de faire les frais des dépassements de coûts au CUSM. « On ne va pas donner notre argent pour financer le système », a-t-elle déclaré. « Notre » argent ? Ne serait-ce pas plutôt celui des contribuables ? Toute la question est là.
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Tous ceux qui ont tenté de freiner l’appétit apparemment insatiable des médecins se sont heurtés au mur de l’opinion publique, qui les a toujours en haute estime. Les ratés du système de santé sont généralement attribués à l’incurie des gouvernements ou des administrateurs. Une perception que les médecins ne se privent pas d’alimenter.
Personne ne conteste la grande qualité de nos médecins, mais le récent « commentaire » de l’ancien ministre libéral Claude Forget publié par l’Institut C. D. Howe, qui s’est penché sur « le mystère des médecins québécois “évanouis” », permet de se demander si leurs réclamations sont bien justifiées.
S’il y a proportionnellement plus de médecins de famille au Québec qu’ailleurs au Canada, ils travaillent nettement moins d’heures — 34,9 en moyenne au Québec, 43 en Ontario — et traitent beaucoup moins de patients — 1081 au Québec, 1539 en Ontario. Les chiffres sont encore plus bas dans le cas des jeunes médecins et des femmes médecins. Certes, il s’agit d’un choix de vie tout à fait légitime. La médecine est indéniablement un métier stressant et exigeant, mais il y a des limites à exiger le beurre et l’argent du beurre.


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