Le test des États

Crise mondiale — crise financière


D'un bout à l'autre du monde développé, c'est la grande question, en cet automne de crise financière: le retour de l'État, des États, dans l'économie mondiale.
Aux États-Unis, pays où une fraction appréciable de la population boit dans le lait maternel la haine du gouvernement fédéral, on injecte des doses massives de fonds publics pour secourir un système financier à la dérive. En Europe, les faillites bancaires provoquent des interventions sans précédent des États. Au Canada, la brutale irruption dans la campagne de la crise financière a peut-être coûté sa majorité à Stephen Harper.
Le retour de l'instance politique dans l'économie et les finances prend maintenant un caractère supranational, avec de grands «sommets mondiaux» annoncés ce week-end par le Français Nicolas Sarkozy, l'Européen José Manuel Barroso et l'Américain George Bush. Initiative appuyée par les francophones du monde, réunis ces derniers jours à Québec dans un sommet malheureusement à contretemps de la situation mondiale.
Mais les États, vers qui l'on se tourne aujourd'hui, sont-ils à même de réparer les dégâts? Ont-ils la confiance des populations? Les moyens financiers? L'autorité morale et la marge de manoeuvre?
La défiance naturelle des citoyens contre l'État - énorme aux États-Unis, moindre mais tout de même réelle en Europe - et la désaffection envers le politique, sont des valeurs en hausse. Les récentes élections fédérales - qui, moins d'une semaine après leur tenue, semblent déjà si loin - ont montré qu'ici même, l'indifférence et le cynisme antipolitique se portent bien: 40 % des Canadiens - et davantage encore de Québécois - se sont abstenus d'aller voter.
On saura dans les prochaines semaines si les renflouements en cascade, annoncés depuis bientôt un mois, sauront enrayer la débâcle boursière et atténuer l'acuité de la récession annoncée. Mais jusqu'à maintenant, ce que nous ont fait voir les événements, c'est plutôt l'impuissance des États: l'«effet d'annonce» du plan de 700 milliards de dollars du secrétaire américain au Trésor, Henry Paulson, a été nul, voire négatif. Pendant ce temps, les deux candidats à la présidence - l'un, tout de même, avec plus de style que l'autre - se sont contentés de jouer les gérants d'estrade.
Cet appel au secours en direction d'un État hier vilipendé dans la pensée dominante, et aujourd'hui réhabilité, survient dans un contexte où, pour reprendre le mot de Nicolas Sarkozy peu après son élection à la présidence française, «les coffres sont vides». Bien sûr, on a beau répéter - à Paris comme à Washington - que l'argent aujourd'hui versé par les États à la rescousse du système financier est un «actif» et un «investissement», et que cet argent reviendra finalement à son point d'origine... tous ne sont pas convaincus par ce beau raisonnement lénifiant.
Aux États-Unis, les candidats à la présidence - on l'a encore vu la semaine dernière lors du dernier débat télévisé entre Barack Obama et John McCain - n'ont à la bouche que les mots «tax cuts», qu'ils essaient tous deux de placer dans un maximum de phrases, et de répéter à l'infini comme attrape-électeurs.
Mais cette rhétorique forcenée sur les réductions d'impôts paraît un peu déconnectée, voire insultante pour l'intelligence, lorsqu'on sait que l'État fédéral vient d'engager plus de 700 milliards pour le sauvetage des banques, qu'il sera peut-être sous peu, dans l'urgence, appelé à faire «rebelote», qu'il a sur les bras deux guerres coûtant près de mille milliards, que le déficit budgétaire courant est de l'ordre de 500 milliards et que la dette accumulée avoisine les 10 000 milliards, soit les deux tiers du PIB américain.
On attend encore le politicien américain - ou même canadien, ou même français - qui osera dire crûment que les impôts sont une bonne chose à condition qu'ils soient utilisés à bon escient, que le gouvernement doit engager de grands travaux, qu'il peut y avoir de bons déficits ainsi que des investissements publics créatifs et productifs. Le problème - et il est de taille -, c'est que ce retour brutal et massif, en Occident, à une «demande d'État» dans l'économie, à la Keynes ou à la Roosevelt, survient à un moment où les finances publiques sont déjà grevées par des déficits monstrueux. Des déficits qui, dans le cas américain, n'ont même pas été creusés par des dépenses sociales.
La crise a redonné la vedette aux politiciens. Ce sont vers eux que se tournent aujourd'hui les yeux des grands comme des petits, des super-banquiers comme des humbles travailleurs et leurs fonds de retraite. Ce sont les politiciens qui sont censés détenir les clés de la solution.
C'est peut-être une bonne nouvelle pour ceux qui, partout dans le monde, veulent croire au rôle de l'État dans l'économie et à sa réinvention dans un contexte plurinational. Mais les raisons sont nombreuses de craindre que les États du XXIe siècle, et les organisations multilatérales qui les fédèrent, ne puissent pas être à la hauteur.
François Brousseau est chroniqueur d'information internationale à Radio-Canada. On peut l'entendre tous les jours à l'émission Désautels à la Première Chaîne radio et lire ses carnets dans www.radio-canada.ca/nouvelles/carnets

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François Brousseau est chroniqueur et affectateur responsable de l'information internationale à la radio de Radio-Canada.





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