Depuis l'adoption de la Charte de la langue française en 1977, la question est demeurée en suspens: qui doit être considéré comme anglophone? Les Anglo-Québécois de souche? Tous les Canadiens-anglais? Toute personne dont l'anglais est la langue maternelle? Toute personne qui se sent une appartenance à la communauté anglophone?
Dans ce débat, les souverainistes ont rarement eu le beau rôle. On les a plutôt accusés de ce «sectarisme» évoqué par Nicolas Sarkozy. Encore aujourd'hui, plusieurs perçoivent la Charte comme une tentative délibérée de rapetisser la communauté anglophone.
Il est difficile de ne pas sourire en voyant l'espèce de procès identitaire qu'on fait ces jours-ci dans The Gazette à la nouvelle ministre de la Justice, Kathleen Weil, qui a été élue dans le comté à majorité anglophone de Notre-Dame-de-Grâce le 8 décembre dernier.
Dans une récente chronique, mon ami Don MacPherson s'excusait sur le mode sarcastique auprès de la ministre -- et, accessoirement, de sa collègue Yolande James -- pour l'avoir plongée dans l'embarras en la qualifiant d'anglophone, malgré son français impeccable appris à Marie-de-France. «Je réalise aujourd'hui que traiter un membre de gouvernement Charest d'anglophone est impoli et indélicat, comme si on attirait l'attention sur un défaut», raillait-il.
Il est vrai que Don avait aussi rappelé que Mme Weil avait joué un rôle important à Alliance-Québec, à l'époque où le défunt organisme combattait aussi bien la loi 101 que l'accord du lac Meech, ce que ses notes biographiques prenaient bien soin d'omettre. Manifestement, les stratèges libéraux y voyaient eux-mêmes un défaut.
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Dans son éditorial de mercredi dernier, The Gazette a présenté comme un «test» pour Mme Weil le cas du jeune Kyle Wosniack, 11 ans, qui s'est vu interdire l'accès à une école anglaise de Notre-Dame-de-Grâce parce qu'il n'est pas en mesure de démontrer que son père biologique, qui demeure introuvable parce qu'il ne veut pas payer de pension alimentaire, a bel et bien fait ses études en anglais quelque part au Canada.
Il n'y a aucun problème en ce qui concerne les troisième et quatrième années du primaire, de même que le secondaire, mais l'incendie d'une école en Colombie-Britannique et la destruction des archives d'une autre en Alberta laissent un vide. La grand-mère de Kyle assure cependant que son fils a fait toutes ses études en anglais.
Au surplus, la mère de Kyle s'est remariée avec un homme qui a fait toutes ses études en anglais au Québec. Sa demi-soeur de trois ans, qui pourra éventuellement fréquenter l'école anglaise, lui transmettra alors les mêmes droits. Peu importe, le Comité d'appel sur la langue d'enseignement du ministère de l'Éducation a dit non. Le bureau de la ministre Courchesne prétend qu'elle n'y peut rien et que Kyle doit s'adresser aux tribunaux. Mme Weil «suit le dossier», assure-t-on, mais la ministre de la Justice est bien la dernière à pouvoir s'ingérer dans ce processus.
Il y a des limites à la bêtise et à l'insensibilité. Soit, la loi 101 a établi des règles, mais il y a aussi l'esprit de la loi. À moins d'être d'une mauvaise foi criante, il semble évident que Kyle est dans son droit. Cette affaire est peut-être un test pour Mme Weil aux yeux de The Gazette, mais c'est surtout un test pour la société québécoise. Ne donnons surtout pas raison à M. Sarkozy.
Le cas de Kyle rappelle en rappelle un autre survenu en 1995. Un jeune Américain de 6 ans, John Eyler, s'était vu refuser l'accès à l'école anglaise sous prétexte que c'était son beau-père, et non son père biologique, qui avait accepté un contrat d'un an chez Canadair lui donnant droit à une dérogation. Le ministre de l'Éducation de l'époque, Jean Garon, avait renversé la décision du Comité d'appel pour raisons humanitaires. Si M. Garon a pu faire triompher le bon sens, comment Mme Courchesne pourrait-elle s'en laver les mains?
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Le véritable test pour Mme Weil pourrait venir plus tard, quand la Cour suprême se prononcera sur la constitutionnalité de la loi 104, qui interdit de faire un détour par l'école privée non subventionnée pour accéder à l'école anglaise.
Même si la Cour ne rendra sans doute pas son jugement avant l'automne, les «purs et durs» de la communauté anglophone sont déjà sur un pied de guerre. Dans une lettre publiée le mois dernier dans The Gazette, l'ancien chef du Parti Égalité, Robert Libman, rappelait que trois ministres du gouvernement Bourassa -- Herbert Marx, Clifford Lincoln et Richard French -- avaient démissionné en 1989 pour protester contre l'utilisation de la clause dérogatoire prévue à la Charte canadienne des droits dérogatoires pour maintenir la règle de l'unilinguisme français dans l'affichage commercial à l'encontre d'un jugement de la Cour suprême.
S'il fallait que la Cour invalide la loi 104 et que le gouvernement Charest décide de légiférer pour s'y soustraire, la position de Mme Weil -- et de Mme James -- deviendrait intenable. Il est vrai qu'en 1989, un quatrième ministre, John Ciaccia, avait réussi à voter le maintien de l'affichage unilingue en se bouchant le nez. Peut-être avait-il découvert à cette occasion qu'il était plus italien qu'anglophone.
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mdavid@ledevoir.com
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