Le sommet de l'éparpillement

XIIe Sommet de la Francophonie - Québec du 17 au 19 octobre 2008

Étrange sommet que ce Sommet de la Francophonie qui s'ouvre à Québec aujourd'hui. Pour la douzième fois depuis que la Francophonie existe, les chefs d'État et de gouvernement d'une quarantaine de pays se réuniront. En ce 400e anniversaire de la fondation de Québec et de l'Amérique française, le symbole est évidemment très fort et il n'est pas innocent que le Québec accueille le monde francophone en cette occasion.
Cela ne devrait pas nous empêcher de constater que ce sommet se tient dans un contexte particulier qui n'est peut-être pas le plus propice au développement et à l'approfondissement de la Francophonie. Au fond, le succès de ce sommet ne devrait être mesuré ni à la force des symboles ni à l'éventail des questions à l'ordre du jour, qui vont de la crise financière à l'environnement, en passant par la crise alimentaire. Passons sur les changements de forme qui sont somme toute secondaires. Que les chefs d'État fassent de longs discours ronronnants ou qu'ils discutent en atelier, qui s'en soucie? Dans quelques années, la seule question qui permettra de juger si ce sommet a été utile sera de savoir s'il aura contribué à ce que le français se porte mieux dans le monde. Or plusieurs facteurs conjoncturels font craindre que le sommet de Québec ne soit pas un sommet historique.
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Quoi qu'on dise et quoi qu'on fasse, c'est d'abord le Canada qui accueille les chefs d'État et de gouvernement francophones. Tout indique d'ailleurs qu'Ottawa n'a rien cédé à Québec dans ce domaine, comme en témoigne l'application tatillonne de la loi canadienne sur les langues officielles dans l'organisation du sommet. Le site Internet bilingue (français-anglais) du sommet en offre un exemple désolant, alors même qu'il aurait été si important de le traduire aussi en arabe, en espagnol et en portugais. Ce bilinguisme obtus, tellement canadian, est d'ailleurs en contradiction flagrante avec le multilinguisme que défend la Francophonie.
Sur les bords du canal Rideau, la Francophonie reste au fond cette espèce de «machin» auquel on s'intéresse pour faire plaisir au Québec... ou ne pas lui laisser toute la patinoire. C'est selon. Or le Canada sort d'une campagne électorale qui n'a pas permis au premier ministre et aux ministres responsables de préparer ce sommet. Voilà peut-être pourquoi on a vu se multiplier de façon désordonnée le nombre de sujets à l'ordre du jour. Sujets intéressants, voire passionnants, mais sans vraiment de conséquences dans la mesure où ce n'est certainement pas l'Organisation internationale de la Francophonie qui ira mesurer dans cinq ans les niveaux d'émission de gaz carbonique du Sénégal. En reléguant à la fin de l'ordre du jour la discussion sur l'avenir de la langue française, le Canada évitait peut-être aussi de rappeler au monde que, malgré certains efforts louables, les francophones qui vivent à l'extérieur du Québec connaissent des taux d'assimilation affolants.
Le Québec aussi s'est laissé prendre au jeu de la diversité des sujets. On connaît l'intérêt qu'aime afficher le premier ministre Jean Charest pour les questions de politique étrangère. En s'offrant une tribune pour parler de crise financière et d'environnement, le Québec défend évidemment son statut gagné de haute lutte, qu'il cherche naturellement à élargir en s'exprimant sur de nouveaux sujets. Mais le Québec n'aurait-il pas eu plus à gagner en évitant la dispersion et en mettant la langue française au coeur du sommet? Que dirait-on d'un sommet de l'OTAN qui ne parlerait pas d'abord et surtout de défense, d'un sommet de l'Union européenne reléguant au second plan le sujet de l'Europe et d'un sommet de l'OMC faisant l'impasse sur le commerce international?
À Paris, la Francophonie est souvent traitée avec désinvolture. Et c'est peu dire, la crise financière aidant, qu'elle ne figure pas en haut de la liste des priorités de la présidence de Nicolas Sarkozy. Annoncée depuis plus d'un mois, l'absence du président à la plénière de dimanche matin sur la langue française n'a rien fait pour aider les choses. Notons pourtant que le personnage est peut-être en train d'entrer dans ses habits de président. Comme il l'a fait le 20 mars dernier à la Cité universitaire de Paris, Nicolas Sarkozy est capable de poser des gestes forts en faveur de la Francophonie. Son énergie débordante pourrait d'ailleurs servir à sortir l'OIF de la somnolence qui la gagne parfois. On aimerait que cet engagement se vérifie à Québec et qu'il devienne, non plus une préoccupation conjoncturelle, mais véritablement stratégique. Il serait temps que la France se considère toujours et partout comme francophone, de la même façon qu'elle se considère toujours et partout comme européenne.
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La politique est l'art de saisir les occasions malgré l'adversité. Jean Charest et Nicolas Sarkozy en savent quelque chose. Il serait donc ingrat de ne pas faire contre mauvaise fortune bon coeur et de ne pas se féliciter que l'avenir de la langue française soit enfin à l'ordre du jour d'un sommet, même si c'est à la fin de la réunion.
Souhaitons simplement que l'on dépasse les voeux pieux et les résolutions creuses, comme le demandait cette semaine l'administrateur de la Francophonie Clément Duhaime. Il est impératif que la Francophonie consacre plus d'énergie et de moyens à sa mission première qui consiste à faire avancer la cause du français dans le monde. Et les idées ne manquent pas: élargissement et consolidation de l'action de TV5 Monde, développement d'une bibliothèque virtuelle francophone, formation des maîtres à distance, création d'un visa francophone, d'un programme d'échange d'étudiants et d'enseignants (comme le programme européen Erasmus), multiplication des centres de lecture et d'animation culturelle (CLAC), qui comptent parmi les grands succès de la Francophonie.
C'est ce dont on se souviendra dans vingt ans.


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