JACQUES LANCTÔT | LES PLAGES DE L'EXIL

Le révolutionnaire romantique

Crise d'Octobre '70 - 40e anniversaire


L’ex-felquiste Jacques Lanctôt prend soin de prévenir ses lecteurs dès le début: son nouveau livre, Les Plages de l’exil, ne contient pas de révélations inédites sur la Crise d’octobre 1970.
Il fait bien. S’il prétendait le contraire, on aurait sans doute de la misère à le croire, tant cette crise, à la fois si proche et si lointaine, est criblée de secrets, prétendument laids et honteux, mâtinée d’intérêts personnels et politiques occultes, et teintée par la vision du monde de ceux qui l’ont vécue ou qui la commentent.
La Crise d’octobre, que le Québec gratte comme un vieux bobo à chaque cinquième anniversaire, est encore très présente dans notre mémoire collective. Mais le monde a tellement changé depuis 40 ans. En cette époque (avant la vidéo, internet, le cellulaire et Al Qaida), la guérilla des «opprimés» contre le «système colonial» pouvait encore passer pour une vocation noble aux yeux de jeunes romantiques imbus d’un idéal missionnaire et trop pressés de libérer leur peuple pour lui demander son avis sur la question...
Des jeunes comme Jacques Lanctôt, justement. Les Plages de l’exil raconte cet épisode de neuf ans pendant lequel Lanctôt, ses amis, sa famille ont été des exilés politiques, d’abord à Cuba, ensuite à Paris, avant de revenir au pays, pour y subir un procès et faire trois ans de prison pour l’enlèvement du représentant commercial britannique James R. Cross.
Lanctôt n’était ni Rambo ni Machiavel. Il apparaît plutôt comme un idéaliste, un naïf, un candide, manifestement dépassé par les realpolitiks. Lanctôt avoue n’avoir jamais pénétré dans un hôtel de sa vie, avant de se retrouver, avec femme et enfants, au Deauville de La Havane, à la charge du gouvernement cubain.
Absorbé par sa mission révolutionnaire, Lanctôt a mis du temps à comprendre que Cuba ne voulait rien savoir des ardeurs de ce bouillant exilé, pressé de retourner chez lui et de prendre le maquis, armé par Cuba, pour poursuivre la révolution...
UNE LECTURE INTÉRESSANTE
Une autobiographie n’est jamais entièrement crédible, évidemment. On soupçonne toujours l’auteur de sélectionner ses souvenirs, d’escamoter des épisodes embarrassants, de ménager des amis et des ennemis.
Cependant, ce livre est une lecture intéressante. D’abord, Lanctôt écrit merveilleusement bien, avec des envolées romantiques d’un lyrisme à faire frissonner parfois. Surtout, il s’y décrit avec une lucidité et une franchise totalement sympathiques.
Il en émerge comme une espèce de Don Quichotte, complètement étranger aux réalités stratégiques de la vie. À Cuba, il croit sincèrement que les Cubains l’entraîneront, l’armeront et le renverront clandestinement au Québec poursuivre la révolution.
Il y passe trois ans, gras dur, nourri, logé, bar gratuit, dans le plus bel hôtel de La Havane. Est-ce qu’il en profite? Non, il piaffe. Il s’engage pour aller couper de la canne à sucre avec les campesimos. Les Cubains finissent par organiser son départ pour Paris. Qu’est-ce qu’il fait là? Il en profite? Non.
Il s’ennuie de Cuba! Il s’acoquine aux réfugiés chiliens, argentins et rêve d’aller se battre à leurs côtés. Il n’y va pas (trop dangereux) et s’en veut. «Je n’avais vraiment pas la vocation du révolutionnaire pur et dur», se désole-t-il, se décrivant plutôt comme «cet exilé un peu fou, impénitent, naturellement impudique et, surtout, masochiste».
Il y a tout plein d’ex-gauchistes que Lanctôt fréquentait, qui ont «évolué» vers des positions beaucoup plus bourgeoises. Lanctôt, lui, est demeuré fidèle à ses idéaux de jeunesse: il est toujours «un radical» même s’il admet que le FLQ n’aurait plus sa raison d’être aujourd’hui. «Je ne regrette rien», dit-il.
Un romantique, Jacques Lanctôt? Ah, ça, oui...
«Un exil réussi n'existe pas»
Le Québec est une terre d’accueil qui a vu arriver des vagues successives de réfugiés, d’apatrides, chiliens, vietnamiens, chassés par des guerres ou des coups d’État. Mais il a produit très peu d’exilés.
Contrairement à l’émigrant qui a choisi d’aller s’établir ailleurs et qui, souvent, au début surtout, en arrache dans sa nouvelle patrie, l’exilé, lui, n’a pas fait ce choix, ce qui complique sa relation avec sa terre d’accueil.
«L’exil est un concentré de nostalgie», écrit Jacques Lanctôt au sujet des neuf années qu’il a passées, d’abord à Cuba, ensuite en France, avant de revenir au pays, pour faire face à la musique.
«Un exil réussi, ça n’existe pas», écrit-il, parce qu’on «ne s’installe pas dans l’exil; l’exilé est un précaire volontaire». Si Lanctôt n’avait pas été un rebelle dans l’âme, il serait sans doute devenu un immigrant à Cuba, un pays dont la culture, la politique et les femmes le séduisaient.
«Mais chaque pas que je faisais vers l’intégration à Cuba en était un qui m’éloignait de mon retour au Québec, dit-il. Je le voyais comme une trahison, un geste de soumission, un sacrilège.»
Mais le syndrome de Stockholm a joué dans son cas. Arrivé plus ou moins clandestinement à Paris, basané, moustachu, vêtu comme un communiste, Lanctôt était devenu un latino bien plus qu’un tabarnaco. Alors qu’à l’époque, les jeunes Québécois à Paris formaient un noyau dur et visible, Lanctôt s’est plutôt intégré aux réseaux d’exilés d’Amérique latine, chiliens, argentins réfugiés à Paris. Il militait avec eux, travaillait pour eux, cotisait à leur caisse et rêvait même de prendre les armes à leurs côtés.
Il lui a fallu beaucoup de temps, explique-t-il, pour comprendre qu’il n’était pas des leurs, pas plus qu’il n’était Français ou n’avait été Cubain, même s’il parle espagnol avec leur accent.
CHOC CULTUREL
Mais le choc culturel fut tout aussi grand quand il est revenu au pays neuf ans plus tard. «Toute une révolution s’était produite au Québec pendant mon absence. Il y avait des policiers qui portaient une barbe et une coupe afro sous leur képi, et qui me montraient leur carte de membre du Parti québécois. Neuf ans auparavant, les flics tapaient sur les séparatistes à cheveux longs.»
Depuis ce temps, Lanctôt s’est marié quatre fois, a eu une dizaine d’enfants, a tenu une maison d’édition, puis un café. Ces jours-ci, il «pratique une simplicité involontaire» en envoyant son CV à tous azimuts, mais admet que ex-felquiste n’est pas la meilleure des références.
«On ne revient jamais complètement d’exil.»


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé