Le retour de la souveraineté

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Le globalisme n'existe que si la souveraineté est abandonnée

Il est de bon ton depuis au moins une vingtaine d’années d’affirmer que la souveraineté est une idée dépassée. L’affaire serait entendue depuis longtemps. Depuis cette époque, souvenez-vous, où la mondialisation apparaissait comme un horizon indépassable.


À droite, on nous annonçait un monde de croissance et de progrès inégalés. Les économies allaient s’interpénétrer pour ne plus former qu’un grand magma universel qui profiterait évidemment à tous. La disparition des frontières, la mise en réseau planétaire, la chute du mur de Berlin, l’entrée de la Chine dans l’OMC, les délocalisations et la libération des flux financiers ouvraient des perspectives fabuleuses.


À gauche, on glorifiait le mélange des cultures. Le grand bain multiculturel qu’annonçait la disparition des frontières préparait une ère nouvelle synonyme d’« ouverture à l’autre ». Sur le même ton messianique, l’altermondialisme nous annonçait qu’une « autre organisation du monde » était possible. Avec évidemment la petite touche éthique qui permettait que la morale soit sauve.


C’est donc main dans la main que la gauche et la droite nous ont annoncé depuis 30 ans la disparition inévitable de la souveraineté nationale. Pourtant, il suffit que l’horizon s’assombrisse, que le ciel se couvre, pour que soudain les peuples se raccrochent à la seule protection qu’ils possèdent en propre, leur État national.


N’est-ce pas ce qu’a illustré mieux que n’importe qui le nouveau président américain la semaine dernière en renforçant le Buy American Act. Le protectionnisme de Donald Trump était un fléau. Voilà que celui de Joe Biden est une bénédiction, même si, comme l’écrit le Wall Street Journal, il « fait simplement écho » à la politique de l’ancien président. Par certains côtés, Biden pourrait même se montrer plus protectionniste que son prédécesseur, affirmait cette semaine l’ancien ambassadeur américain au Canada David Wilkins. La reconquête des États de la Rust Belt était donc à ce prix.


De l’autre côté de l’Atlantique, l’échec récent de la tentative de rachat du groupe de distribution alimentaire Carrefour par le Québécois Couche-Tard illustre le même phénomène. Comme si la menace pesant sur un des fleurons de la distribution française avait soudainement mis d’accord 67 millions de Gaulois réfractaires. « Rarement, depuis 2017, une décision de l’exécutif aura été approuvée aussi unanimement par l’ensemble du monde politique », écrit le quotidien Le Monde. Des socialistes aux députés de la droite, de ceux de l’extrême droite à ceux de l’extrême gauche, pas un seul élu n’a pris la défense du cousin québécois. Même le président Emmanuel Macron, pourtant élu il y a quatre ans sur un programme libéral et qui avait personnellement autorisé la vente aux Américains du joyau Alstom Énergie, a salué une « bonne décision au bon moment ».


Le revirement est total. Autrefois réservé au Rassemblement national, le thème de la souveraineté « imprègne désormais tout le débat public », écrit la chroniqueuse du Monde Françoise Fressoz. Si bien que le sujet sera certainement au centre de la prochaine campagne présidentielle. La suite de l’histoire ne dit pas encore si les Français préféreront la copie à l’original.


Même si cette prise de conscience remonte à la crise de 2008, il ne fait pas de doute que l’épidémie n’aura fait que souligner encore plus l’importance des frontières. Quelle ironie d’ailleurs de voir les jet-setters, symboles adulés hier encore de cette modernité sans barrières, livrés aujourd’hui à la vindicte populaire.


Les pénuries de vaccins, de masques, d’équipements médicaux et de molécules entrant dans la fabrication de certains médicaments ont radicalement changé la donne et provoqué un revirement de l’opinion. On a beaucoup ri à Bruxelles et dans les capitales européennes du slogan des partisans du Brexit « Take Back Control ». On rit moins aujourd’hui alors que ces mêmes Britanniques ont déjà vacciné 10 % de leur population, soit cinq fois plus que les pays de l’Union européenne aujourd’hui à la traîne.


Si AstraZeneca a choisi pour l’instant de privilégier ses livraisons à Londres plutôt qu’à Bruxelles, c’est aussi parce que les élus britanniques, qui ont des comptes à rendre à leurs électeurs, ont passé leurs commandes plus tôt que les technocrates européens qui n’ont, eux, de comptes à rendre à personne. Dans un texte qui a fait le tour des capitales, l’économiste allemand Hans-Werner Sinn, de l’Université de Munich, n’hésite pas à parler de « la débâcle vaccinale de l’Europe ».


Certes, la mondialisation est là pour rester. Et certains de ces aspects pourraient même s’accentuer. Mais, est-ce un hasard si les pays qui ont pris le plus d’avance dans la vaccination (Israël, États-Unis, Royaume-Uni) sont des pays où le sentiment national est fort ? Un sentiment qui est partout en recrudescence tant la nation demeure l’ultime protection des peuples. L’historien anglais Robert Tombs rappelait d’ailleurs récemment que sans souveraineté, la démocratie « n’a pas de sens ».


À Paris, on se souvient que ce sont les Québécois qui ont remis au goût du jour cette belle idée de souveraineté. À défaut de la faire, du moins pour l’instant, ils auront été les premiers à populariser le mot.



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