RECTITUDE

«La poésie fout l’camp»

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Triste époque où tout doit passer par le prisme étroit et débilitant de la rectitude politique


Il n’y a qu’en France qu’un tel débat est encore possible. Depuis une semaine, le Tout-Paris s’écharpe à propos d’une pétition publiée dans Le Monde. Une centaine de personnalités y proposaient de faire entrer Paul Verlaine et Arthur Rimbaud au Panthéon. Ce mausolée de la montagne Sainte-Geneviève au fronton duquel est écrit : « Aux grands hommes la patrie reconnaissante » et qui accueille Victor Hugo, Jean Moulin, Simone Veil et quelques autres.


Parmi les signataires, on trouve pas moins de neuf anciens ministres, dont celui de la Culture Jack Lang. Sa successeur Roselyne Bachelot leur a aussitôt apporté son soutien. La controverse ne tient évidemment pas aux mérites respectifs de ces deux génies incontestés du verbe. Elle tient plutôt aux raisons qui justifieraient cette entrée insolite, en couple, de deux poètes dont les œuvres sont radicalement différentes. Selon les pétitionnaires, c’est d’abord en tant que « couple homosexuel » et « symboles de la diversité », que les deux poètes devraient reposer aux côtés de Voltaire et Rousseau.


C’est ici que le bât blesse. Qui sommes-nous en effet pour pacser malgré eux sous les ors du Panthéon ce drôle de couple dont l’idylle, aussi brève qu’arrosée d’absinthe, se termina tout de même par deux coups de feu, une balle dans le bras, un séjour à l’hôpital et deux ans de prison pour Verlaine ? Et surtout, depuis quand entre-t-on au Panthéon en fonction de son orientation sexuelle ? D’autant que ni Verlaine ni Rimbaud n’en firent un combat. Loin de là !


Ne serait-il pas aussi réducteur de hisser Rimbaud et Verlaine au pinacle pour cause d’homosexualité que de les vouer aux gémonies parce que le premier fut marchand d’armes et d’ivoire en Afrique embauchant à l’occasion quelques esclaves et que le second a battu sa femme et fréquenté un mineur ? Car Rimbaud avait alors 17 ans. Sans compter que l’auteur des Illuminations ne cachait pas son dédain du « patrouillotisme » et que celui de Romances sans paroles avait souhaité que les communards à coups de canon détruisent le… Panthéon.


Les pétitionnaires ont beau se croire provocateurs, ils ne font, au fond, qu’obtempérer aux injonctions de l’époque. Comme si l’aspect insolent de l’homosexualité n’avait pas été récupéré depuis belle lurette par le discours dominant, et même par la publicité. Contrairement à ce qu’écrivent les pétitionnaires, Verlaine et Rimbaud sont loin d’être des « Oscar Wilde français ». Peut-être Verlaine a-t-il vu sa peine prononcée (en Belgique) aggravée à cause des préjugés de son siècle. Mais, la Révolution française ayant supprimé le crime de sodomie dès 1791, jamais ni l’un ni l’autre n’auraient pu être condamnés à deux ans de travaux forcés comme le fut le poète irlandais. D’ailleurs, Wilde ne s’est-il pas réfugié en France ?


« Obscène spectacle que celui de ces apprentis sorciers manipulant des cadavres pour les envoyer au front, dans une guerre qui n’est pas la leur », écrit avec justesse l’écrivain Pierre Jourde dans L’Obs. Au lieu d’inciter la jeunesse à lire ce génie qui composait à 16 ans des vers en latin, on préfère travestir Rimbaud en « char de la Gay Pride », affirmait le poète Alain Borer en 2015. Comme si, dans ce monde sans littérature, l’œuvre devait dorénavant s’effacer devant la banalité de la vie de chacun, fut-elle celle d’un grand poète.


Spécialiste de Rimbaud, Borer est à l’origine d’une seconde pétition dénonçant, dans cette panthéonisation, une « instrumentalisation de la poésie ». Parmi la cinquantaine de signataires, on trouve les poètes québécois Denise Boucher, Bernard Pozier et Rodney Saint-Éloi. Les auteurs dénoncent au passage une forme de communautarisme et un « acte supplémentaire de l’américanisation […] qui envahit la culture française et qui la compromet chaque jour jusque dans sa langue ».


L’occasion est belle de rappeler quelle haute conception se faisait de la littérature le chantre du « long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens ». La morale, ou plutôt la leçon de morale, n’y avait pas sa place. On est à des années-lumière de la moraline qu’exhalent aujourd’hui tant de romans, de pièces de théâtre et de films soumis aux nouveaux canons de la rectitude politique.


Pour ces poètes, l’art relevait du beau et non du bon. « Il faut peindre les vices tels qu’ils sont ou ne pas les voir, écrivait Baudelaire à propos de Madame Bovary. Et si le lecteur ne porte pas en lui un guide philosophique et religieux qui l’accompagne dans la lecture du livre, tant pis pour lui. »


Les poètes candidats au Panthéon ne manquent pas. Parmi eux, citons Charles Péguy, mort au champ d’honneur en 1914. On pense aussi à Guillaume Apollinaire, d’origine polonaise, blessé lors de la Première Guerre mondiale et qui terminait ses soupers en chantant la Marseillaise.


Ceux-là n’ont malheureusement pas de lobby suffisamment puissant pour aller s’étendre à côté de Victor Hugo. Ce « père Hugo » dont Verlaine disait qu’on l’avait « fourré dans une cave où il n’y a pas de vin ».





 



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