Le refus de la réalité

Dire simplement que le fruit n'est pas mûr est un euphémisme d'une telle énormité qu'il confine à la malhonnêteté intellectuelle.

MEECH - 20 ans plus tard...



Quand Stéphane Dion a débarqué à Ottawa au début de 1996, il a expliqué avoir deux plans dans son sac à dos. Le plan A prévoyait une réforme en profondeur du fédéralisme qui permettrait la «réconciliation» du Québec avec le reste du Canada, tandis que le plan B visait à définir les «règles de la sécession».
On a su très rapidement en quoi consistait le plan B, qui s'est incarné dans la Loi sur la clarté, mais on n'a jamais vu le moindre détail du plan A. Si M. Dion a vraiment cru que le Canada anglais accepterait de se rasseoir à la table de négociations pour élaborer une nouvelle entente, on lui a clairement expliqué qu'il n'en était pas question.
Vers la même époque, Benoît Pelletier, constitutionnaliste émérite à l'Université d'Ottawa, écrivait: «La volonté politique d'aboutir à une quelconque réforme constitutionnelle qui satisferait en partie le Québec semble plus que jamais faire défaut. Et ce, tant au niveau de l'ordre central qu'au niveau des provinces majoritairement anglophones du pays.»
Après avoir sillonné le pays d'un océan à l'autre pendant quatorze ans, son futur chef, Jean Charest, était également bien au fait de l'état de l'opinion dans le ROC. À tel point qu'à l'automne 1998, il s'est lancé en campagne électorale sans politique constitutionnelle, sinon brandir l'épouvantail référendaire au besoin.
Cette omission traduisait sans doute une profonde méconnaissance de la culture politique québécoise, indissociable de la question nationale, mais elle avait le mérite de l'honnêteté. Pourquoi raconter des bobards à la population alors qu'une réforme du fédéralisme était impossible?
Un jour, il a bien senti le besoin de dépoussiérer le vieux document laissé par Daniel Johnson, Reconnaissance et interdépendance, qui reprenait en substance les conditions de l'accord du Lac Meech, mais il s'est empressé de le retourner sur les tablettes quelques heures plus tard.
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Au lendemain des élections du 30 novembre 1998, M. Charest a cependant compris l'impérieuse nécessité de laisser croire qu'une réforme de la Constitution était possible. Le chef du PLQ avait perçu dans le reste du pays une «dynamique nouvelle» qui allait dans le sens des aspirations du Québec.
En réalité, le rapport Pelletier publié en octobre 2001 était un véritable leurre. «À n'en pas douter, le changement de millénaire nous offre une occasion idéale pour marquer un tournant dans notre histoire; il est temps d'enterrer les querelles interminables et de nous engager dans un authentique dialogue et une véritable coopération en vue d'une réforme de notre cadre politique et des liens qui nous unissent à nos concitoyens», pouvait-on lire en introduction.
Alors que l'accord du Lac Meech prévoyait cinq conditions, le rapport Pelletier en énumérait dix. Bien sûr, il faudrait être un peu patient. «Il faut préparer le terrain et établir un climat de confiance avant de proposer des amendements constitutionnels», avait expliqué M. Charest.
Malgré tout ce qu'on peut lui reprocher, Stéphane Dion n'avait pas eu l'hypocrisie de laisser croire à la possibilité, même lointaine, d'apporter des amendements à la Constitution. M. Charest n'a pas eu ce scrupule.
Le sondage effectué par la firme Repère communication recherche à la demande du Bloc québécois et des Intellectuels pour la souveraineté (IPSO), dont Le Devoir publie aujourd'hui la deuxième tranche, donne la mesure de l'illusion dans laquelle on a entretenu les Québécois. Le Canada anglais est moins disposé que jamais à faire quoi que ce soit pour leur rendre la fédération plus confortable.
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Dire simplement que le fruit n'est pas mûr est un euphémisme d'une telle énormité qu'il confine à la malhonnêteté intellectuelle. Chacune des conditions de Meech, auxquelles les Québécois adhèrent toujours avec enthousiasme, est rejetée tout aussi massivement dans le reste du pays. On refuse même des arrangements qui ne nécessiteraient pas d'amendements constitutionnels, par exemple en matière de langue, de culture ou de communications. En revanche, les dispositions de la Loi sur la clarté font presque l'objet d'un culte.
Tout cela n'a rien de très étonnant. Quand l'accord du Lac Meech est officiellement mort en juin 1990, on a voulu faire croire que seul le «processus» était en cause. C'était simplement la faute de Gary Filmon, qui avait laissé Elijah Harper torpiller l'accord à l'Assemblée législative du Manitoba, et de Clyde Wells, ce «Newfie» fanatique, plus trudeauiste que Trudeau lui-même. Pourtant, ils étaient déjà très représentatifs de l'opinion canadienne-anglaise. Lors de sa conclusion, au printemps 1987, 56 % des Canadiens l'approuvaient, selon un sondage Gallup. En mai 1990, ils n'étaient plus que 25 %. Hors Québec, à peine 20 %.
Contrairement à ce qu'on pourrait croire, les Québécois ne se font pas d'illusions. Ils refusent simplement de faire face à la réalité. Si 78 % disent toujours croire à la possibilité d'une entente satisfaisante à la fois pour le Québec et le reste du Canada, c'est qu'ils ont peur de tirer la conclusion qui s'impose. Et si presque autant de Canadiens anglais sont du même avis, c'est probablement qu'ils pensent que le Québec n'osera jamais claquer la porte et finira par rentrer dans le rang.


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