"La Commission Boucar pour un raccommodement raisonnable, petit traité sur l'intégration"

Le rapport de la Commission Boucar

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Livres - 2008



Le rapport de la commission Bouchard-Taylor ne sera pas livré le 31 mars comme prévu, apprenait-on cette semaine. Vu l'ampleur de la tâche, les coprésidents ont réclamé deux mois de sursis. En attendant, l'afro-québécois Boucar Diouf nous offre avec une bonne dose d'humour sa propre Commission Boucar sur un raccommodement raisonnable.

Boucar Diouf m'a donné rendez-vous dans un café qui a fermé, avenue du Mont-Royal. «Excuse-moi, je ne connais pas bien Montréal», me dit ce Rimouskois d'adoption.
Tu n'aimes pas Montréal? «J'adore Montréal, mais je suis un gars de petite ville. J'aime avoir un contrôle sur mon environnement social. Aller au café, connaître les gens qui y sont et continuer la discussion que l'on avait entamée six jours auparavant. Montréal, c'est gros. Et puis, moi, j'ai besoin de voir le fleuve...»
On en a pourtant un, fleuve, à Montréal... «Ah! non! C'est pas ça!» rouspète l'océanographe comme si je venais de blasphémer. «J'ai besoin de voir l'estuaire du Saint-Laurent, 42 km de large dans le coin de Matane. C'est le fleuve qui m'a emmené ici, alors je ne peux pas m'en éloigner vraiment.»
Dans La Commission Boucar pour un raccommodement raisonnable, petit traité sur l'intégration publié aux éditions Les Intouchables, Boucar Diouf raconte le parcours singulier qui l'a mené à quitter son village au Sénégal pour venir «poser son pied noir» au Québec en 1991. Lui qui a fait un doctorat en océanographie sur l'adaptation des poissons au froid aime bien piger dans les notions de biologie pour mettre en lumière certains phénomènes migratoires. Il prend plaisir à nous expliquer comment l'éperlan, au cours d'un long processus d'évolution, a appris à produire des molécules antigel lui permettant de passer l'hiver au froid sans rouspéter. C'est l'adaptation à son meilleur...
Berger sénégalais dans une autre vie, Boucar Diouf a aussi appris que l'on ne gagne rien à «frapper que sur les moutons qui traînent derrière». «S'ils ralentissent, c'est que, parfois, ceux d'en avant ne progressent pas à un rythme suffisamment soutenu pour leur donner une chance. Un bon pasteur doit savoir repérer les bêtes qui perturbent l'équilibre de son troupeau et leur servir une correction à la mesure de leur faute».
Après 16 ans dans la région du Bas-Saint-Laurent, le berger est devenu un humoriste afro-québécois difficile à étiqueter, plus québécois que bien des Québécois à certains égards, même si des gens continuent de l'aborder comme un pur étranger. «Je suis allé à la pêche à l'éperlan à Rimouski en fin de semaine, raconte-t-il. C'est drôle parce qu'il y a toujours là un monsieur pour me dire: connais-tu ça, l'éperlan? Ça me fait rire! J'ai eu envie de lui dire: regarde, s'il y a quelqu'un qui connaît l'éperlan, qui en a pêché l'hiver et l'automne, qui a sué à cause de l'éperlan pendant des années, c'est bien moi!»
Dans le cadre de la Commission Boucar qu'il a lui-même convoquée, le berger Diouf prend soin de taper autant sur les immigrants que sur les Québécois. Il se moque des «pure laine» qui clament que les «importés» devraient adopter le mode de vie d'ici mais qui, l'hiver venu, se réfugient dans un ghetto de Québécois en Floride. Il se moque aussi des intégristes musulmans et de leur paradis peuplé de vierges. «Pendant que les intégristes me promettent sept vierges au paradis, le Québec me garantit quatre poulettes ben su'a brosse à Rimouski», écrit-il, avec ironie. Il rit de l'imam de la mosquée de Dakar qui lui a expliqué que si les femmes doivent rester en arrière des hommes, c'est parce qu'avec des fesses bombées devant les yeux, les hommes risquaient d'être déconcentrés dans leurs prières. «Je lui ai dit: Qu'est-ce que tu penses que les filles font en arrière? Tu penses qu'elles ne regardent pas vos fesses?»
Boucar a tout prévu si des fondamentalistes n'apprécient pas ses blagues. «Si j'ai une fatwa, je vais aller me cacher en Gaspésie», lance-t-il en riant. «Ce que j'écris sur l'intégrisme musulman, je l'assume entièrement. Je démontre que ceux qui crient et font du boucan ne sont pas la majorité. Quatre-vingt-dix-neuf pour cent de ceux qui pratiquent leur islam ne dérangent personne. Moi, j'en suis un, musulman! Personne ne le sait. Personne dans les médias n'est venu me demander ce que je pense de l'islam. Je ne suis pas le stéréotype qu'il faut. Parce que je suis aussi musulman qu'un Québécois peut être chrétien.»
C'est lorsqu'il a été appelé à commenter le sondage bâclé du Journal de Montréal selon lequel 56% des Québécois se disaient racistes à divers degrés que Boucar Diouf a eu l'idée d'écrire ce livre. «Tu savais, toi, que 56% de mes potes souhaitent mon départ de Rimouski?» a-t-il lancé à sa blonde, à la blague. Et sa blonde gaspésienne de répondre: «Pour tes potes, je sais. En ce qui me concerne, j'ai 56% moins de chances d'être cocufiée si tu restes dans les limites du territoire national.»
Boucar Diouf dit avoir été très rarement victime de racisme au Québec. C'est arrivé une fois dans un bar où un gars lui a lancé: «Moé, j'les haïs, les nèg'. Assez pour en tirer un.» La conversation a dégénéré. Un gars a lancé une bouteille de bière à Boucar. Un de ses amis a reçu un coup de poing qui l'a mis K.-O. En rentrant chez lui cette nuit-là, Boucar s'est effondré en larmes et n'avait qu'une envie: quitter définitivement le Québec. «Mais j'ai fini par passer par-dessus, me dit-il. Parce que j'ai rencontré plein de gens qui me veulent du bien.»
Boucar me raconte la fois où il a failli mourir de froid à Rimouski, parce que, contrairement à l'éperlan, il n'était pas encore au fait des rigueurs de l'hiver. «Je ne maîtrisais pas l'ABC de la météo quotidienne. Je n'ai jamais écouté la météo. Je suis sorti pour aller à l'université. Il y avait une vague de froid. Je croise un gars. Il me dit: l'université est fermée. J'ai décidé de rebrousser chemin. C'était une erreur. Je suis passé par le couvent des soeurs de Saint-Rosaire. Je te jure, j'ai eu tellement froid, j'ai pensé que j'allais mourir! Il y a une dame qui m'a vu par la fenêtre. Elle m'a fait signe de venir. Elle s'appelait Patricia.» La soeur lui a donné une couverture, du café et des galettes. Elle l'a surtout réconcilié avec le genre humain. Et il lui en est éternellement reconnaissant.
Au-delà des critiques assenées aux uns et aux autres, Boucar Diouf a surtout voulu, dans ce livre, faire une déclaration d'amour au Québec qui a donné naissance au «Boucar libre» qu'il est devenu. «Moi, je me plais au Québec. J'aime le Québec. Et je voulais le dire. Je suis heureux d'être loin des contraintes religieuses à n'en plus finir, heureux d'être juste libre d'être qui je suis. C'est l'fun de le dire une fois de temps en temps.
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(Photo André Pichette, La Presse)


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