Le Québec, une nation dans un Canada uni - Un accord unanime bien fragile

La nation québécoise vue du Québec

La motion-surprise de Stephen Harper sur la nation québécoise a encore une fois montré que celui-ci possède un sens de la stratégie politique hors du commun. En s'appropriant un débat de la course au leadership du Parti libéral du Canada, il a réussi le coup de force d'imposer la reconnaissance du Québec comme nation, ce qui est loin de faire l'unanimité au Canada anglais. Cet accord unanime de tous les partis politiques fédéraux sera cependant fragile car il ne correspond pas à la réalité de l'opinion publique. Pour obtenir un consensus sur une question aussi importante, il faut absolument laisser le débat suivre son cours dans la population.
Le premier ministre Jean Charest se réjouit de la motion conservatrice, qui constitue à ses yeux «un pas vers la reconnaissance du Québec au Canada» alors qu'une telle motion risque plutôt d'accroître le ressentiment du Canada anglais envers le Québec. Ce qui au départ n'était qu'un débat d'idées entre les candidats au leadership du PLC vient maintenant de grimper d'un cran, en bonne position pour créer des turbulences sur l'unité canadienne. À l'heure actuelle, Stéphane Dion et Bob Rae semblent être les seuls politiciens à se rendre pleinement compte que le vote de lundi va diviser le pays plutôt que de le rassembler. Les astuces de l'opportunisme politique sont souvent de bien mauvaises conseillères dans la poursuite de l'intérêt canadien et de l'unité nationale (exemple: le scandale des commandites).
La précipitation avec laquelle la motion a été adoptée à la Chambre des communes constitue également un accroc dans l'exercice correct du processus démocratique: il ne faut jamais empêcher que se fasse un véritable débat dans la population sur une question d'identification nationale. L'avenir d'un pays se joue pas à pas, patiemment, pour en arriver finalement à une volonté collective de vivre ensemble.
La démocratie indirecte, c'est-à-dire par personnes interposées (les députés), a pris le pas sur la démocratie directe à cause de l'impossibilité technique et financière de gouverner par référendum un pays de plusieurs millions de citoyens. Mais ce passage obligé vers la démocratie indirecte exige de respecter un certain nombre de règles. Ainsi, le jeu politique auquel se livrent les élus dans l'arène politique (on qualifie souvent l'Assemblée nationale du Québec de «salon de la race») doit demeurer à l'intérieur des balises de l'opinion publique. Sinon, les lois produites par le processus législatif de cette Chambre ne coïncideront pas avec les valeurs et les attitudes de la population. Or l'expérience montre souvent que les assemblées législatives s'emballent sur des sujets qui demeurent très éloignés des préoccupations de la population. La Chambre devient alors autosuffisante et tourne à vide puisqu'elle est déconnectée de ses fonctions de représentation.
Sondages
Si on en croit deux sondages récents, l'opinion publique au Canada anglais est fortement opposée à la reconnaissance de la nation québécoise. Selon le plus récent sondage publié, le Léger Marketing-TVA du 28 novembre, elle est rejetée à 77 % dans les autres provinces, y compris chez les francophones. Pire encore, le Canada anglais reconnaît bien davantage aux peuples autochtones le statut de nation qu'aux Québécois!
Évidemment, les sondages demeurent des outils incomplets et leur interprétation est très difficile. Aucun premier ministre, même Robert Bourassa, n'a pris le risque de gouverner par sondages. Cet appareil de mesure dessine néanmoins des balises que le jeu politique ne doit pas transgresser, sous peine de devoir affronter l'opinion majoritaire de la population. Ici, la motion conservatrice votée par la Chambre des communes va carrément à l'encontre de l'opinion du Canada anglais.
Ceci aura pour effet d'affaiblir la «fonction d'intégration du système politique» et de créer une perte de légitimité du gouvernement et une augmentation de l'instabilité politique. Dans certaines circonstances, l'opposition se manifeste dans la rue. Pour l'immédiat, l'opposition devrait se limiter à une forte abstention de la clientèle conservatrice aux prochaines élections fédérales, attendues au printemps.
Les stratèges conservateurs avaient prévu une forte réaction négative de l'électorat anglophone et son impact sur le vote conservateur. Pour atténuer le mécontentement, ils avaient assujetti la reconnaissance de la nation québécoise à l'unité nationale. Mais ils ne devraient pas se faire d'illusions à propos des astuces de la formulation selon laquelle «les Québécois forment une nation à l'intérieur du Canada» mais ne forment pas «une nation à l'extérieur du Canada». L'électorat anglophone ne sera pas dupe et y verra surtout une manoeuvre pour reconnaître aux Québécois le statut de nation. René Lévesque l'avait appris à ses dépens au référendum du 20 mai 1980 lorsque l'électorat fédéraliste n'avait pas mordu à la question: «Donnez-vous au gouvernement du Québec le mandat de négocier... ?»
Un vote libre à la Chambre des communes sur cette question, sans égard à la ligne de parti, aurait permis à la communauté anglophone de manifester son opposition à la reconnaissance de la nation québécoise. Par contre, un rejet de la motion aurait pu créer au Québec un «super-Meech» et une vive remontée du nationalisme québécois. Comme quoi, en politique, tout n'est que compromis ou... coups d'audace!
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Jean Noiseux, Spécialiste en sondages


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