De Copenhague à Sept-Îles

Le Québec, terre d'avenir pour le nucléaire

Énergie nucléaire - Gentilly

L'information offre parfois des télescopages saisissants. Ainsi, on a pu disposer en même temps des images de la Conférence sur les changements climatiques tenue à Copenhague et de celles des citoyens de la ville de Sept-Îles à propos d'un projet d'exploration de l'uranium. Ces deux enjeux peuvent paraître de nature différente, entre la gouvernance climatique de la planète et celle, plus locale, des ressources minières du Québec. Mais ils sont fortement interreliés et illustrent les difficultés d'une réconciliation entre le mondial et le local.
Le défi de Copenhague est bien connu. La planète connaît un réchauffement climatique très sensible depuis le début du XIXe siècle. Au meilleur de notre connaissance scientifique, ce réchauffement est corrélé avec l'essor économique issu de la Révolution industrielle et avec la croissance des besoins énergétiques. Les activités de production et de transformation, les transports, les besoins de chauffage et de climatisation et, depuis peu, les nouvelles technologies exigent des quantités d'énergie de plus en plus importantes.
Et non seulement les besoins par personne augmentent en moyenne, mais le nombre de personnes lui-même est en forte augmentation, jusqu'à neuf milliards d'habitants dans quarante ans. La demande est là, aujourd'hui, chez nous, plus forte encore chez nos voisins et partenaires. Pour illustrer cette fantastique demande d'énergie dans le monde, on aura besoin de produire l'équivalent de 30 Baie-James par an pour combler les besoins du monde dans la prochaine décennie.
Agir sur la production
Comment répondre aux défis de l'énergie? Il n'y a que deux méthodes: en produire plus, en consommer moins. Les Canadiens et les Québécois consomment deux fois plus d'énergie par habitant qu'un Européen, sept fois plus qu'un Brésilien, vingt fois plus qu'un Marocain. Nous devrons absolument agir sur notre consommation, en particulier en choisissant des démarches écoénergétiques plus collectives, notamment pour le transport. C'est possible, puisque plusieurs pays européens ont réduit leur consommation d'énergie de manière significative après l'augmentation des prix du pétrole en 1973.
Il y a place à beaucoup de progrès en Amérique du Nord et dans les autres pays développés. Mais cela ne suffira pas pour répondre à la soif énergétique du monde. Il faut donc se pencher vers une augmentation de la production. Toutes les prévisions convergent vers le fait que l'humanité aura besoin de toutes les sources d'énergie renouvelables (hydraulique, éolien, géothermique, photovoltaïque) et non renouvelables (combustibles fossiles, énergie nucléaire) pour répondre aux besoins.
On peut toujours croire à l'émergence d'une civilisation stationnaire, sans progrès, ou rêver seulement à une mutation vers une humanité autosuffisante en énergie, gardant ses ressources fossiles pour les futures générations. Mais cela exigerait des changements technologiques et sociaux qui prennent des décennies... Le charbon, le gaz et le nucléaire seront donc à l'ordre du jour au moins pour les trois prochaines décennies, avec les risques que cela comporte. Et, parmi ces trois sources d'énergie, seul le nucléaire ne produit quasiment pas de CO2.
Le défi de Sept-Îles
Cela nous amène au défi de Sept-Îles. On peut avoir de la sympathie pour un mouvement collectif s'appropriant des enjeux de développement local et visant à protéger la santé publique. A-t-on vraiment besoin d'une exploration de l'uranium à quelques dizaines de kilomètres de la ville? Le Québec, avec ses ressources hydroélectriques abondantes, a-t-il besoin d'une industrie nucléaire allant de la production d'uranium à des réacteurs nucléaires producteurs d'électricité?
La réponse est forcément complexe et doit prendre en compte quelques faits têtus. Le premier est géologique et concerne la disponibilité de l'uranium sur les continents: nous vivons sur un vieux socle rocheux, formé il y a plus de trois milliards d'années, qui a accumulé l'uranium. Les cartes du ministère des Ressources naturelles et de la Faune du Québec le montrent clairement: il y a de l'uranium plein les ruisseaux de la Côte-Nord, du Moyen Nord et même du Grand Nord. Ce métal était là avant nous, et nous vivons avec lui comme nous vivons aujourd'hui avec la neige et le froid.
Le second fait têtu est de nature plus politique. L'uranium est une substance stratégique, un produit que personne ne souhaite voir entre n'importe quelle main. C'est pourquoi les mines d'uranium n'ont été ouvertes que dans des pays développés (Canada, Australie), ou au milieu de déserts peu accessibles (Namibie, Niger, Kazakhstan).
De plus, il faut avoir un savoir-faire technique très avancé pour concentrer la partie énergétique, l'isotope 235, qui ne représente que 0,7 % de l'uranium total. C'est donc une activité de pays développés, de pays qui ont les moyens d'assurer une gestion sécuritaire du combustible nucléaire. Les Soviétiques ont montré qu'ils n'en ont pas toujours été capables; à l'inverse, les Français et les Japonais ont pleinement démontré la faisabilité du nucléaire depuis plus de 40 ans.
Le Québec fera donc face à de nombreux questionnements dans les années qui viennent. Pourrait-il, par exemple, refuser de s'intéresser à ses ressources en uranium, fermer la centrale de Gentilly et perdre ses compétences en physique nucléaire? Devrait-on en faire un sanctuaire dénucléarisé et laisser les autres, en particulier nos voisins du Sud, se débrouiller avec leurs besoins énergétiques? Laisser le nucléaire à quelque dictature médiévale?
Ou, à l'inverse, prolonger la politique d'indépendance énergétique du Québec, basée sur l'hydroélectricité, par une politique de valorisation de nos ressources géologiques en uranium et l'utilisation de nos savoir-faire?
Ce débat, majeur, ne fait que commencer.
Dans un monde aux frontières de plus en plus poreuses, chaque pays a le devoir de contribuer à la résolution des problèmes mondiaux, avec ses compétences, ses valeurs positives et ses ressources naturelles. Comme d'autres provinces du Canada, le Québec dispose d'un potentiel élevé en uranium, d'une stabilité politique et d'une population éduquée. La combinaison de ces trois paramètres en fait une terre d'avenir pour le nucléaire, un pays qui pourrait contribuer, quand le moment sera venu, à la satisfaction des besoins énergétiques de notre planète.
Nous pouvons le craindre ou le souhaiter. Mais il importe aujourd'hui de bien en comprendre tous les éléments, d'en analyser les risques et les bénéfices, à l'échelle locale et mondiale, et de se prononcer sereinement.
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Michel Jébrak - Professeur, département des sciences de la Terre et de l'atmosphère, Université du Québec à Montréal

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Professeur, département des sciences de la Terre et de l'atmosphère, Université du Québec à Montréal





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