Le Québec sans voix

L'incapacité de débattre des questions internationales dans nos instances politiques québécoises est débilitante

Manifestation pour la paix au Liban


Peu d'événements internationaux ont réussi à toucher le coeur des Québécois aussi intensément que l'invasion du Liban par Israël, à la suite de la provocation du Hezbollah. Peut-être parce que le Liban fait partie de la Francophonie, peut-être parce que des milliers de Libanais vivent au Québec, intégrés très majoritairement à la communauté francophone, peut-être en raison des efforts de ce petit peuple pour garder son équilibre et regagner sa prospérité à la suite d'une tragique guerre civile, peut-être à la suite de son histoire de résistance à l'encontre de puissants voisins dominateurs, peut-être à cause de son caractère démocratique, toujours est-il que les Québécois se sentent intimement concernés par cette guerre à des milliers de kilomètres de chez eux.
Frustrés par leur impuissance à faire quelque chose pour arrêter le massacre, ils voudraient au moins pouvoir faire entendre leur voix. Mais malheureusement ils ne le peuvent pas. Car ils n'ont pas de porte-voix sur la scène internationale. Dans son éditorial du samedi 5 août, M. André Pratte a parfaitement raison: ni leur Assemble nationale, ni leur premier ministre, ni leurs députés n'ont compétence pour se prononcer sur cette question de politique internationale qui, d'après la Constitution, relève exclusivement du Parlement fédéral. S'ils le font, ils ne sont que des importuns.
Marche de solidarité
Et pourtant. Lorsque 15 000 Québécois participent avec leurs leaders politiques à une grande marche de solidarité, n'est-il pas évident que cet arrangement constitutionnel ne correspond plus aux besoins et aux aspirations de la société québécoise? Les Québécois pourront-ils endurer longtemps que leur porte-parole international soit un Steven Harper et que ces questions ne puissent être discutées qu'au seul Parlement fédéral où leurs représentants ne comptent que pour moins d'un quart de la députation?
Voilà un autre cas où le Québec se distingue clairement des autres provinces. Les Albertains ne s'attendent pas à ce que Ralph Klein se prononce sur la question libanaise, ni les Ontariens à ce que Dalton McGuinty fasse de même. Mais Jean Charest, lui, a senti le besoin de se prononcer, même s'il est un fédéraliste de la stricte observance. Et même si, comme le souligne André Pratte avec raison, la " doctrine Gérin-Lajoie " ne peut aucunement le justifier.
Le monde est présent au Québec, mais le Québec n'est pas présent au monde. Grâce aux moyens modernes de communications, le monde est maintenant chez nous, dans nos journaux et dans nos salons. Et comme le démontre a contrario André Pratte, nous ne pourrons jamais être présents au monde comme Québécois tant que le Québec ne sera pas devenu un pays souverain membre de la communauté internationale. En cette matière, il n'y a pas d'entre-deux, de zone grise ou de fédéralisme asymétrique.
Cette incapacité de débattre des questions internationales dans nos instances politiques québécoises est débilitante. Ces questions sont toujours complexes et la vérité est rarement d'un seul côté. Pour avoir une vue éclairée des choses, il faut pouvoir en débattre afin de départager le pour et le contre, après avoir entendu le plus grand nombre de points de vue possible. Cette absence de forum de discussion publique risque de mener à des prises de positions uniquement influencées par les images les plus spectaculaires du petit écran.
Et l'absence de responsabilité de nos dirigeants politiques québécois peut les rendre irresponsables: n'ayant pas l'expérience de la scène internationale et n'ayant pas de compte à rendre aux autres pays de leurs positions, ils ont beau jeu de s'en remettre uniquement au sentiment populaire de leurs commettants. Comme le remarque encore une fois avec justesse André Pratte, nos dirigeants québécois ne seront jamais que des " gérants d'estrade " tant qu'ils n'auront pas à prendre des décisions et à répondre de leurs prises de position.
Dans la crise libanaise, les Québécois ont ressenti comme jamais la douleur d'être sans voix. Ils ont voulu faire connaître au monde leur indignation et leur témoignage en faveur du caractère sacré de la vie humaine. Ils avaient des choses à dire. Dommage qu'ils n'aient pas les moyens de se faire entendre.
Bernard, Louis
_ Ex-chef de cabinet de René Lévesque et ancien haut fonctionnaire l'auteur était candidat à la direction du Parti québécois l'an dernier.


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