Les racines chrétiennes du Québec

Le Québec, le crucifix, et l'incapacité de se penser

Le magma informe de la Québécitude

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Tribune libre

Permettez-moi, pour les fins de mon propos, de citer M. Cormier-Denis, qui a écrit, lors de ses échanges du 9 et 12 mars avec MM. Verrier et Bouchard;


«Lorsque les gens parle des «Québécois», ils ne parlent pas des Anglais de Westmount (…) ils parlent des «de souche» c’est tellement une évidence que c’est gênant d’avoir à le dire.»


«Sur le plan légal, les algériens de quatrième génération (…) sont aussi français qu’Émmanuel Macron. (…) Sont-ils culturellement Français (…) pour autant? Bien-sûr que non!»


Par ces arguments, ACD semble vouloir démontrer qu’il est inutile de distinguer, en les nommant autrement, ceux qu’il considère comme les «vrais Québécois».


Je crois que cette comparaison entre la situation des Français et celle des Québécois est très éclairante, puisqu’elle permet de faire ressortir la nature du drame identitaire québécois, en expliquant pourquoi ce qui est vrai pour les Français ne l’est pas pour nous


Premièrement, la France est un pays souverain. Ce qui signifie que la Nation française conformée selon des critères civilisationnels déterminés et reconnus existe politiquement depuis 1500 ans.


Dois-je le rappeler, ce n’est pas le cas du Québec, dont les sujets, depuis la Conquête, sont en butte à une entreprise permanente d’acculturation et d’assimilation, à laquelle ils n’ont pu résister qu’en lui opposant le bouclier d’une cohésion nationale organisée, il est vrai, autour d’une Église catholique extrêmement active sur le plan social et culturel. À partir de la deuxième moitié du vingtième siècle, l’Église se désintéresse de la cause du Canadien-Français, puisque dorénavant, le nationalisme est condamné par Rome. Je crois que celui-ci s’est alors retrouvé à ne plus trop savoir comment reprendre le fil rompu avec la culture. Cela n’a fait qu’aggraver l’état alarmant de sa précarité identitaire. Et peut-être est-ce pour cela que le mirage québécois a eu tant de prise sur lui, car il lui permettait d’oublier sa condition.


Deuxièmement, l’économie française repose en partie sur l’industrie touristique, ce qui signifie que malgré l’énergie qu’il consacre à la diffusion de la propagande mondialiste, l’État français ne peut pas faire autrement que d’investir et de mettre en valeur un patrimoine culturel, un héritage des siècles qui continue de constituer un symbole de grandeur nationale, et qui, de ce fait, demeure un marqueur identitaire très puissant.


Au Québec, nous n’avons pas de châteaux, nous ne pouvons nous rattacher à la Grande Culture que par l’intermédiaire de la France et de l’Église. Comme toutes les deux se sont détourné de nous, alors, à notre tour, nous nous sommes détourné d’elles. Et depuis, nous errons dans les limbes de notre conscience collective en ruine. Car la Grande Culture, ce n’est pas seulement l’érudition élitiste, c’est aussi la dimension symbolique, et la dimension symbolique, c’est ce qui permet de prendre de la distance, ce qui rend possible la réflexion.


Comment vous expliquer? L’Homme est un animal doué de raison, c’est-à-dire qu’il établit son emprise sur le réel par le langage, ce qui signifie que les sons qui sortent de sa bouche réfèrent à des mots, qui eux-mêmes réfèrent à des idées, qui réfèrent à des images, à des récits…


En rejetant l’identité nationale, c’est la dimension symbolique que l’on rejette, en tant que composante essentielle de la définition existentielle. Et alors la distance par rapport à l’objet devient impossible, c’est-à-dire que l’esprit devient prisonnier de la pensée au premier degré. C’est ce qui arrive au Québec. Nous sommes incapables de raisonner autrement que dans l’Absolu, de dépasser le jugement de valeur, le mode de penser binaire: méchant/pas méchant, égal/pas égal.


La vraie vie, la vraie réalité (pas la réalité socialiste ou progressiste), ça se passe à un autre niveau, et c’est de cette façon que nous devrions comprendre la présence du crucifix à l’Assemblée nationale. C’était le dernier signe qui rattachait notre existence collective à la dimension symbolique, elle seule garante de la liberté de conscience, puisqu’elle ouvre l’esprit à l’horizon infini de des interprétations multiples. J’entends déjà des esprits chagrins se récrier: «c’est la méchante Église, ce sont les méchants prêtres qui nous empêchaient de penser par nous-mêmes!».


Revenez-en! Il est incroyable que nos élus ne soient plus en mesure d’articuler le moindre discours sur l’extraordinaire contribution de la religion chrétienne à l’édification de la société occidentale, avec ses merveilleuses valeurs de charité, de tolérance et d’amour universel! Faut-il qu’ils soient complètement incultes!


Il va falloir s’élever au-dessus des visions du monde trop simplistes si nous voulons réintégrer la sphère des vivants! Oui, il va y avoir une déferlante migratoire qui va nous passer dessus, non il n’y aura pas de revanche des berceaux, non il n’y aura pas d’indépendance du Québec où ce seront les «vrais Québécois racineux souchiens» (ou n’importe quel autre nom bâtard qu’ils voudront bien se donner) qui prendront le pouvoir et qui façonneront la société à leur image.


Il va y avoir une sorte de sous-citoyen québécois qui sera minoritaire dans son propre non pays (un pays jamais advenu). Qu’est-ce que ça veut dire? Je ne sais pas. Peut-être qu’en nous ouvrant les yeux sur notre condition de cajuns, nous allons enfin comprendre la nécessité de nous distinguer du magma informe de la Québécitude, en reprenant un nom qui ne désigne que nous, en nous réappropriant notre héritage culturel (quand je parle de réappropriation, je veux dire réinterprétation, il n’est pas question de revenir au catholicisme des années 50).


Depuis cinquante ans la mentalité baby-boomer nous a fait régresser, en nous apprenant à vivre repliés sur nos illusions. Il est temps choisir : ou nous grandissons, ou nous restons des épaves.



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2 commentaires

  • Catherine Doucet Répondre

    28 mars 2019

    Il n’a jamais été question «d’horribles Cajuns». Pour moi le mot cajun est celui qui convient pour décrire notre condition d’acculturés, voilà tout. Au contraire, j’ai beaucoup de sympathie pour ces frères d’infortune que sont les Cajuns. En revanche, j’ai beaucoup de difficulté à situer ACD qui semble prêt à dire n’importe quoi pour voler au secours de sa Québécitude chérie. Un magma informe, le Canada-Français, vraiment; cette société traditionnelle où n’a jamais prévalu l’idéologie de l’égalité diversitaire laïque? Pourquoi tant de mauvaise foi? ACD prend systématiquement tout ce qu’on lui dit à contre-pied, et passe à côté de l’essentiel. Les conservateurs québécois sont tous les mêmes! On dirait qu’ils sont jaloux de leur préoccupation nationale, comme d’une prérogative personnelle qu’ils ne voudraient pas partager. Je crois que ces messieurs considèrent l’identité collective comme une idée abstraite. Cela est parfaitement absurde et très regrettable!


    À chaque fois que j’ai envoyé un texte à Vigile, c’était dans l’espoir de trouver un terrain d’entente. Voilà pourquoi, lors d’une communication précédente, je demandais à mes éventuels lecteurs s’ils étaient au moins disposés à admettre l’existence d’un Canada-Français fondé par Jacques Cartier. J’aurais dû ajouter que cette démarche impliquait que l’on s’accorde aussi sur l’existence d’un Canada britannique issu de la Conquête, ainsi que sur le fait que ces deux entités correspondent à deux sphères d’existence différentes, et donc à deux pays différents.


    Qu’on le veuille ou non, le Canada est un pays, le Québec non. Réclamer la reconnaissance d’un Canada-Français, cela signifie opposer au Canada [anglais] une instance dont la légitimité nationale repose sur des assises historiques et civilisationnelles aussi incontestables que les siennes; cela place la confrontation à un autre niveau. Mais les indépendantistes, qu’ils soient conservateurs ou progressistes, ne sont pas sensibles à ce genre de nuance. Tant pis.


    D’autre part, il ne s’agit pas non-plus du fantasme d’un «hypothétique retour massif à l’identité canadienne-française». Si ACD s’obstine dans sa détermination à raisonner dans l’Absolu, moi je suis trop vieille et trop sincère pour ça, j’ai la conscience du temps qui passe. Je tiens compte de la réalité afin de faire la différence entre les combats qu’il est encore possibles de mener et ceux qui ne le sont pas. Dans le contexte d’un processus d’anglicisation et de minorisation qui va aller en s’accélérant, puisqu’il n’y aura pratiquement plus rien pour l’arrêter, certains Québécois vont peut-être continuer de se souvenir qu’il n’en a pas toujours été ainsi. Se souvenir qu’à l’origine il y avait, non-pas un Québec, mais un Canada-Français, puisque c’est sous cette forme que se fixe notre identité, de Dollard des Ormeaux à Lionel Groulx.


    Que pourraient alors offrir à leurs semblables, une petite poignée de personnes habitées par le même amour de la patrie? Simplement de maintenir ouvert le portail qui mène à une définition identitaire s’abreuvant à la dimension symbolique (culture, langage et foi) héritée de nos ancêtres canadiens-français. La Québécitude possède déjà un portail, qui mène à un autre genre de définition identitaire. Comment se distinguer de celle-ci, sinon en ayant recours à une autre appellation, qui elle, par l’entremise de la vérité historique, nous permet de manifester et de revendiquer vraiment notre légitimité d’être, notre droit d’exister?


    Car tel était le but de mon propos, mettre en lumière le phénomène suivant: en dissociant sa définition identitaire des repaires culturels et religieux qui la rattachait à la dimension symbolique, l’État québécois a condamné son peuple à devenir prisonnier d’une camisole idéologique qui l’empêche de prendre du recul par rapport à sa condition d’aliéné et donc de la combattre. Je sais que cette conception des choses est compliquée à comprendre, mais cela ne veut pas dire qu’elle soit complètement dénuée d’intérêt.


  • Alexandre Cormier-Denis Répondre

    26 mars 2019

    Malheureusement, le terme « Canadien français » est un magma aussi flou et informe que ne l'est « Québécois ».



    Vous semblez croire à la magie du vocabulaire : ce n'est pas en changeant notre définition nationale que nous changerons l'état concret de notre condition.


    Le moteur de l'identité canadienne-français fut le catholicisime. Ce moteur s'est brisé par les forces combinées du personnalisme d'après-guerre, de l'américanisation de la culture et du Concile Vatican II. Un retour hypothétique massif à l'identité canadiennne française sans retour à la Foi révèlerait rapidement ses limites.


    En abandonnant l'Église - où est-ce elle qui nous a abandonnés ? Voilà un épineux débat... - nous avons laissé derrière nous une partie importante de ce que nous fûmes.


    Comme le rapporte Daniel D. Jacques dans La fatigue politique du Québec français, nous avons essayé de faire jouer à la culture québécoise le rôle central qu'avait tenu la religion catholique dans le ciment de notre identité nationale. C'est par ailleurs un phénomène qui s'est produit à peu près partout en Europe : la Culture remplaçant la Religion.


    Vous qui considérez déjà les Québécois comme d'horribles Cajuns, ne voyez-vous pas que le fait de se renommer uniquement comme Canadiens français pourrait entraîner encore davantage notre folklorisation ?


    À part un défaitisme systémique (il n'y aura ni hausse de la natalité, ni souveraineté, ni reconquête nationaliste) je ne saisis pas vraiment quelle est la nature de votre propos.