Le Québec, le Canada et la crise d’octobre : un même événement, mais deux attitudes bien différentes

Crise d'Octobre '70 - 40e anniversaire


Guy Bouthillier ( co-auteur avec Édouard Cloutier d’un livre sur le Canada anglais et les mesures de guerre, qui vient tout juste de paraître : Trudeau’s darkest Hour : War Measures in Time of Peace, publié  à Montréal chez Baraka books)
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M. William Tetley était ministre à Québec en octobre 1970, et s’est exprimé tout récemment sur ces événements dans La Presse. Ses propos nous rappellent qu’au Québec les milieux officiels et ceux qui gravitent autour continuent aujourd’hui encore à défendre ce qu’il faut bien appeler la version officielle -- à savoir, pour l’essentiel, que la décision de Trudeau prise dans la nuit du 16 octobre était parfaitement justifiée. Et, comme tous ceux qui ont un dogme à défendre, ces milieux interdisent à quiconque de s’en éloigner sous peine d’être taxés de révisionnisme, quand ce n’est pas d’une faute plus grave encore.

Or pendant qu’ici nos milieux officiels restaient englués dans le dogmatisme, leurs vis-a-vis à Ottawa et dans le Canada anglais en général -- du moins plusieurs parmi eux -– exprimaient des positions plus nuancées, voire franchement iconoclastes. Certains l’ont fait -– honneur soit rendu à leur courage -– dès l’automne 1970, et pas seulement, comme le dit l’article, Tommy Douglas : pensons au sénateur Grattan O’Leary, au député David Macdonald, au journaliste Robert Fulford. Tandis que d’autres, beaucoup plus nombreux encore, l’ont fait plus tard, car, là-bas, contrairement à ici, la réflexion sur ce sujet ne s’est pas vitrifiée en 1970 (Y aurait-il plus de liberté de penser au Canada anglais sur cette question, et si oui, pourquoi?)
Quelques exemples parmi d’autres. Desmond Morton est un soldat et un universitaire, spécialiste des questions militaires. Il est catégorique : «  It was unjustified », a-t-il écrit en 1985, aussi bien en fonction de ce que Trudeau savait à l’époque que de ce que l’on nous a confirmé depuis. Reg Whitaker est un universitaire des grandes institutions du Canada anglais, et spécialiste des questions de sécurité et de police. Une étude qu’il publia en 1993 est on ne peut plus claire : La GRC ne voulait pas des mesures de guerre, et s’y serait opposée si le gouvernement avait pris la peine de lui demander son avis (mais pourquoi diable ne l’a-t-il pas fait?)
Mêmes réflexions courageuses dans les Mémoires de certains ministres du cabinet Trudeau. Don Jamieson : aucune preuve sérieuse ne nous fut jamais fournie, écrit-il dans ses Mémoires publiés en 1988. Eric Kierans, notre Eric Kierans le Montréalais :  « nous avons été emportés par l’hystérie générale, au point d’en perdre nos moyens (we were as swept-up in the hysterical coverage of the FLQ activities as everybody else …. our common sense went out the window). Rien d’étonnant dans ces aveux : dès novembre 1970, Mitchell Sharp, ministre des Affaires extérieures de Trudeau, l’a reconnu d’emblée devant son vis-à-vis britannique : «There was no evidence of an extensive FLQ conspiracy… The FLQ : no big organization, just a small band of thugs » --- le FLQ, une petite bande de durs à cuire, pas plus. Quant à Peter Newman, grand reporter à l’époque au Toronto Star et très proche de Trudeau lors de ces événements, il conclut sèchement dans un livre de souvenirs  paru en 2004: «  it was a meticulously concocted lie » (un mensonge carabiné).
Le temps est venu pour nos milieux officiels -- ceux du parti libéral et des grands médias – de rattraper le Canada anglais. Il n’est jamais trop tard pour se réconcilier avec la vérité. Les Canadiens anglais l’ont fait, certes en y mettant beaucoup de temps, dans l’affaire de Riel et des Métis, et dans le cas des Canado-Japonais des années 1939-1945, et il le fait actuellement dans le cas des pensionnats pour Autochtones. 40 ans après Octobre, le temps est venu pour nous aussi de nous y mettre.


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4 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    27 septembre 2010

    L'unique fait que nous devons retenir d'octobre 1970 et d'Oka 1990 c'est que ce sont des mesures de guerres abusives .
    Les premieres pour empécher l'élection du Parti Québecois et
    les secondes pour faire oublier l'échec de Meech Moins Charest en faisant peur et en menaçant de violences armées et de guerres civiles et de partitions la Nation Québecoise.
    Dans le premier cela n'a pas marché car le PQ fut élu dès 1976
    Dans le deuxième cas cela à marché car Charest grâce aux commandites est devenu Premier ministre du Québec après avoir participé au vol du référendum de 1995.

  • Archives de Vigile Répondre

    24 septembre 2010


    Ce que je trouve étrange dans l'anniversaire, c'est que Radio-Canada présente comme des révélations que la mort de Laporte fut «un accident» et que «Paul Rose était absent» sur les lieux de la mort du ministre.
    L'un et l'autre fait sont connus publiquement depuis toujours, dès après la crise.
    C'est Michel Chartrand qui, le premier, a fait état publiquement de «l'accident» et, à ce que je sache, personne ne s'était aventuré à l'époque à le contredire. Quand à Paul Rose, je me souviens bien de la grande gueule «law and order» de l'institut de criminologie justifier, sur les ondes de la SRC justement, sa mise en accusation et sa condamnation incontournable. En disant que cela allait de soi même s'il était absent puisqu'il était le chef de la cellule. Rappelons-nous que les tribunaux s'étaient soudainement transformés à l'époque en machine politique à condamner les felquistes. Comme la police était devenue Gestapo d'ailleurs.

  • Claude Richard Répondre

    24 septembre 2010

    Monsieur Bouthillier dit essentiellement que la réflexion sur la crise d'octobre est beaucoup plus avancée au Canada qu'au Québec. Pourquoi alors a-t-il décidé de publier le livre qu'il a écrit avec Édouard Cloutier en anglais? Plutôt surprenant, non, de la part d'un ancien président et d'un ancien conseiller général de la SSJBM? Et rien pour favoriser la discussion au Québec en particulier où la langue majoritaire - sinon commune, comme le souhaitaient naguère, et le souhaitent peut-être encore, messieurs Bouthillier et Cloutier - est le français. Éclairez ma lanterne, monsieur Bouthillier, car, à ce point-ci, je ne comprends pas.

  • Archives de Vigile Répondre

    24 septembre 2010

    Si vous l'avez manqué hier soir, allez écouter Tout le monde en parlait. On a y appris que la Loi des mesures de guerre est parti de l'enquêteur Giguère qui voulait avoir plus de temps pour interroger les suspects. Il en a fait part à l'adjoint de Drapeau qui a contacté un fonfon d'Ottawa qui a sorti la fameuse Loi des mesures de guerre, la seule loi qui permettait à la police d'arrêter tout le monde sans les relâcher dans les 24 heures.
    On a aussi appris que le FLQ voulait prendre le contrôle de Radio-Canada pendant 24 heures (z'ont compris ce que les péquistes n'ont jamais compris, à savoir qu'il nous fallaitun média pour passer notre message sans censure)
    Enfin, on a appris comment Laporte est mort. Il était temps!
    La suite ce soir à 21 heures. A ne pas manquer