Le projet de loi sur l’identité

Chronique d'André Savard


Pauline Marois a eu raison d’avancer avec ce projet de loi sur l’identité québécoise. Il aidera à mieux cerner les enjeux. Les Québécois tendent trop à penser que le peuple québécois forme une nation au fonctionnement ambigu mais qui a de l’avenir au Canada. Le projet de loi sur l’identité québécoise fait ressortir le désaccord profond entre l’idéologie canadienne et l’avenir possible de la nation québécoise.
On a reproché au projet de loi de déterminer la nation québécoise par « des caractères exclusifs plutôt que par des caractères inclusifs ». Il est impossible de déterminer un être strictement par des qualités inclusives. Un être entièrement « inclusif » va se fondre dans les airs. Un être est forcément déterminé par des propriétés qui lui sont propres.
Cette nation qui n’a pas le droit de dépendre de caractères exclusifs pour se catégoriser est condamnée à mort. À moins de s’expatrier dans un monde parallèle, la dixième ou la soixantième dimension, vous ne trouverez que des phénomènes déterminés qui comportent des caractères exclusifs. Tout être est déterminé par des traits exclusifs. C’est une fatalité de l’univers dans lequel on est. Ce n’est pas la faute de Pauline Marois, une femme brillante mais bien incapable de réinventer la physique.
Quand on dit « une qualité exclusive », cela ne signifie pas qu’elle ne peut pas être partagée par d’autres. La langue en usage au sein d’une nation fait partie de ces parcours fléchés que vous devez emprunter pour assumer un rôle public. C’est une qualité exclusive dont le partage s’impose au sein d’une nation donnée. On est vraiment dans l’ordre de la fatalité. Ce projet de loi ne fait que réitérer une condition essentielle à la pérennité de n’importe quelle nation qui s’identifie à sa condition linguistique.
Le projet de loi sur l’identité est un bon pas pour faire évoluer l’opinion publique vers un constat : la nation québécoise, sans pays français, vit dans les interstices du système, les mailles du filet. Au Québec, c’est français, paraît-il, mais tout le monde est libre de partager le pays en anglais.
Les opposants expliquent que, selon la Charte des droits, notre nation ne doit dépendre de rien qui lui soit exclusif. Depuis la loi 101, la Charte canadienne serait venu ajouter des conditions. Les libertés collectives qui ont rendu possible la loi 101 ne sévissent plus, selon les idéologues juridiques canadiens. Désormais, notre nation ne doit pas séparer les individus; selon la règle de citoyenneté canadienne, les individus doivent se sentir libres de pouvoir s’exprimer dans une des deux langues officielles.
On aurait donc droit à une nation qui, pour être légale dans ses pratiques, ne doit se déclarer ni redevable à sa langue propre, ni à son passé propre, ni à son territoire. La nation québécoise ne peut vouloir imposer quelque singularité en matière linguistique à moins d’être bien sûre que cela n’empiète sur la libre volonté de chacun.
Ce projet de loi exige d’accepter le français et de pouvoir l’utiliser auprès de vos commettants pour assumer un rôle officiel. On a crié que cela brime les droits démocratiques. Depuis quand la démocratie vous libère-t-elle du devoir de communiquer dans la langue de la nation? Au Danemark, pour celui qui s’y installe, le Danois fait partie de ses contraintes de l’environnement sur lesquelles il n’y a pas de « décision démocratique » à prendre. C’est vrai pour une kyrielle de nations reconnues. Toutes ces nations pour lesquelles la langue en usage constitue une contrainte sociale enlèveraient des droits démocratiques?
Depuis quand la démocratie donne-t-elle le droit de choisir la langue dans laquelle se déroule les débats collectifs au sein d’une nation? Est-ce une affaire de simple préférence à Amsterdam ou à Tel-Aviv? Partout, on vous répondra que c’est très bien que la langue en usage contraigne les citoyens. Ainsi, on garde ses droits démocratiques : c’est l’unique manière de s’assurer qu’une nation pourra pleinement participer aux débats publics qui la concernent.
Les nations sont, certes, à l’échelle du monde, des préférences particulières, des génétiques sociales qui n’ont pas à s’imposer exclusivement. Au-delà de son territoire national, on entre dans l’ordre des intérêts communs et des solidarités culturelles. Toutefois, chez elle, une nation en santé est régie par des traits exclusifs et non pas par une collection d’individus qui la surplombent.
Ce rejet de la loi de la citoyenneté impliquerait un point très grave. Si le français n’est pas une contrainte, est-ce un choix permanent de l’ethnie québécoise, un primus inter pares, un plus petit dénominateur commun avec, pour seule échelle de valeur, le groupe dans lequel on se trouve? Vive le primat de la langue française... du moment qu’il n’en découle pas d’obligations.
Les opposants au projet de loi prétendent que le fait français ne doit pas être un facteur discriminant dans la société. Or, une langue vivante doit être en soi une contrainte et être discriminante. Partout dans le monde, il y a ceux qui peuvent se faire comprendre dans la langue du pays et ceux qui ne le peuvent pas. Ce sont bien deux types de citoyens. C’est une discrimination de facto. Les tables où on ne parle que le mandarin à Pékin vous excluent. Les pays les plus libres, les plus démocratiques, les plus ouverts sur les droits de l’Homme, ne font pas de leur langue nationale un point à débattre, un espace à négocier.
Si le français ne doit pas être discriminant au Québec, si sa pratique ne doit pas être exclusive, le Québécois sera mieux de bien regarder par la porte et la fenêtre avant d’ouvrir la bouche devant un auditoire. Le Québécois devra veiller à ne s’exprimer dans la langue nationale que dans la mesure où elle bénéficie d’un crédit supérieur à celui de l’anglais dans chaque milieu ou organisation. Pour ne pas créer deux types de citoyens, il sera de notre responsabilité de faire en sorte que le français ne soit pas un véhicule exclusif.
Les pesanteurs économiques, l’atmosphère collective du grand ensemble canadien, les traditions de chaque groupe culturel devraient former la vraie loi du terrain, selon les bons Canadiens. On se dirigera ainsi vers une nation qui n’a plus pour elle que le sens des circonstances, une nation qui renonce à dicter son propre environnement social, surtout en matière linguistique. La citoyenneté québécoise ne devrait surtout pas être substantielle, selon les bons Canadiens. À la rigueur, elle pourrait être un levier supplémentaire pour les droits de l’Homme, mais pas un cahier de charges.
Le tollé autour de l’identité québécoise montre quel horizon restreint est le nôtre. On ne veut pas d’une nation québécoise qui se catégorise. On n’accepte le Québécois que dans la mesure où il disparaît dans les arbitrages, dans la mesure où son existence collective se dissipe dans la diplomatie du tête-à-tête.
Ce sont les individus qui ont le droit de choisir d’appartenir à un groupe culturel au Canada. Le Canada tient à son système fédéral qui fait de la nation québécoise un groupe culturel parmi d’autres. Autant la population canadienne que ses représentants pensent que le système canadien, sur ce point précis, atteindra son point d’extrême faiblesse quand il commencera à se réformer. Le projet de loi sur l’identité québécoise prend le contre-pied de cette disposition canadienne car la nation québécoise n’est pas un groupe culturel et son Etat n’a pas à être simplement provincial.
En se drapant dans les droits de l’Homme, les bons Canadiens réitèrent leur volonté de ne pas voir un groupe culturel comme le nôtre s’imposer auprès des citoyens canadiens. La loi sur l’identité québécoise montre le comportement réel au Canada tout autant que les bornes de son système. La nation québécoise peut exister au Canada en autant qu’elle ne soit qu’une société d’accueil facultative s’exprimant dans une langue facultative.
André Savard


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1 commentaire

  • Raymond Poulin Répondre

    30 octobre 2007

    Il va sans dire, mais encore mieux en le disant, que c'est l'évidence même. Je ne peux que partager entièrement votre point de vue. Par ailleurs, ce projet de loi participe aussi de la pédagogie de l'indépendance: puisque jamais il ne sera accepté par le gouvernement libéral du Québec ni avalisé par la Cour suprême, il constitue une preuve que la nation québécoise ne peut à la fois demeurer dans le régime canadien et perdurer en tant que nation puisqu'elle ne peut protéger ce qui la constitue. La pédagogie de l'indépendance ne peut se limiter à réapprendre l'histoire à tout le monde, ce qui demeure tout de même louable mais ne rejoint pas souvent le citoyen moyen, auquel il faut des exemples concrets, actuels et "existentiels" de la nécessité de l'indépendance. Quelqu'un me souffle: et qu'arriverait-il si la Cour suprême opinait du bonnet? Eh bien! nous aurions fait un pas de plus en attendant le reste, ce qui ne mettrait pas fin à la prise de conscience des Québécois. Tout est bon à prendre. S'il était aussi vrai qu'on le prétend parfois que toute amélioration du sort du Québec dans le régime endort les Québécois, tout le monde serait devenu fédéraliste après les gains du Québec au milieu des années soixante.
    Raymond Poulin