Comme les Verts

Chronique d'André Savard


Si vous demandez à des passants des exemples de gens opposés à Kyoto, on vous répondra probablement Stephen Harper et George Bush. En remontant le fil de l’histoire, on découvre des détails intéressants. Non seulement y avait-il des industriels parmi les opposants, ce qui ne surprendra personne, mais aussi des regroupements d’écologistes.
Les industriels trouvaient que le protocole allait trop loin alors que les opposants écologistes prônaient une rupture avec l’ère technologique. Au lieu d’empêcher la consommation de carburant, le protocole n’arriverait qu’à faire payer davantage les pays producteurs de gaz. Ceux-ci devraient payer plus que les pays qui achètent le pétrole et le gaz. Pour ces écologistes, il était nécessaire de casser les tendances lourdes du système industriel plutôt que de se contenter de les ralentir avec des contraventions.
De leur point de vue, l’objectif n’était pas de se tailler un carré d’influence au sein même du système. Il fallait bel et bien transformer « le vieil homme » dont l’esprit avait été colonisé par le capitalisme. Sans une mutation de son mental, les ressorts critiques lui manqueraient pour rompre avec les illusions du capitalisme. Ces mêmes écologistes blâmaient les Verts qui, en appuyant Kyoto, rallieraient la population autour d’objectifs bidons.
Donc, vous aviez d’un côté des écologistes qui disaient : « Nous devons être totalement cohérents avec nous-mêmes et fixer les conditions de cette cohérence pour éviter les déviations induites par l’ordre ancien ou par l’ennemi ». Et vous aviez les écologistes qui flairaient le danger. Si les écologistes continuaient à sublimer l’écologie en attendant le moment de grâce au cours duquel les esprits seraient en phase avec un genre de vision écologique pure, le mouvement tournerait en doctrine byzantine.
À ce point tournant, les querelles entre écologistes étaient légendaires. Vous aviez des écologistes qui disaient : « On ne doit absolument pas traiter avec l’ordre capitaliste comme s’il s’agissait d’un partenaire potentiel. Travailler à rendre la société moins polluante, c’est seulement rendre son travail d’empoisonnement plus acceptable ». Et les écologistes, partisans de Kyoto, répondaient : « La réalité capitaliste nous englobe et ce n’est qu’en nous appuyant sur des pans de cette réalité que nous maintiendrons des vecteurs politiques pour agir. »
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Le parallèle saute aux yeux. Cet épisode, en changeant quelques mots, pourrait très bien s’appliquer au mouvement indépendantiste québécois. Les Verts ont simplement montré plus de sens commun que nous. Ils ont fini par s’apercevoir qu’il ne pouvait être question de faire l’unité chez les écologistes. Les écologistes qui souhaitaient un retournement au grand complet de la société disaient : « On va bouger quand les gens voudront à tout prix de la société écologiques et, pour cela, il faut l’exemple d’une vision pure, d’une philosophie pure de l’action ». Les Verts durent laisser aller ces gens. Qu’ils vaquent à leurs occupations paysannes. Qu’ils espèrent dans la grande coalition de tous ceux qui veulent l’avènement ex nihilo de la planète écologiques. Qu’ils fixent leurs préceptes autant qu’ils veulent concernant l’alimentation macro-biotique, le nudisme, les médecines alternatives, les baignoires à quatre places pour économiser l’eau chaude.
Il y eut ensuite des Verts qui finirent par comprendre qu’il fallait commencer par le commencement, le recyclage, les autos moins polluantes. À côté, vous aurez toujours des regroupements d’écologistes qui prônent la conscientisation écologique parfaite. Ils fondent des partis de « conscientisation écologique universelle » chaque semaine. Les Verts auraient été très mal avisés de diriger leurs efforts pour former une coalition de tous ces groupes.
Les apôtres du modèle écologique pur vont toujours dire que Kyoto n’était qu’une illusoire parenthèse et qu’il fallait retourner à la paysannerie. Ils vont toujours dire que tant que des technologies non polluantes ne seront pas développées, il faut les prohiber. Ils se demanderont toujours s’il n’existe pas un autre horizon mobilisateur, signal de la grande coalition à venir. Les Verts en seraient tous au même point, chevaliers de l’impossible, s’ils avaient discuté de la grande coalition des publics avertis, préalable nécessaire à la conscience politique pure et à l’action cohérente.
Plusieurs parmi ceux qui prêchent en faveur de la grande coalition qui succédera au Parti Québécois ont produit dans le passé des textes qui étalent des théories conspirationnistes. Un grand complot a vu le jour pour rallier les indépendantistes sous une fausse bannière. Faussement animés à l’intérieur de cette coquille vide, ils croyaient travailler à l’indépendance. Pendant ce temps, les conditionnements continuaient de vicier les intelligences et de plonger leurs racines dans les êtres.
Pour y remédier, écrivent-ils, il faudra instiller les bonnes catégories mentales dans les cerveaux des gens. Ils veilleront par conséquent à former des intellectuels guidés par une vision pure, une bonne grille de déchiffrement, laquelle permettra de mettre entre parenthèses les simulacres ambiants. Il y aura pour les y aider l’académie et la chaire de l’indépendance. L’indépendantisme sera transformé en corpus dont la cohérence sera assurée par des divisions essentielles, des sous-divisions et des classifications. Un état-major arc-en-ciel réunissant les grands courant antipéquisards surveilleront pour que les opérations intellectuelles requises aillent jusqu’aux déterminations concrètes de l’action politique par stricte déduction. Fort bien.
De même que les Verts ont bien fait de ne pas chercher l’unité avec toutes les idéologies du refus et tous les mouvements anticapitalistes, de même Pauline Marois fait bien de continuer sur sa voie. Le parti Québécois est décrié? Tant mieux. Le but de ce parti n’est pas de réaliser l’immense alliance de tous ceux qui refusent de voir le monde tel qu’il est.
André Savard


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