Le prochain tricheur

30e du rapatriement de 1982



Dans l'introduction de la version abrégée de son Tricheur, Jean-François Lisée évoque la «vase mentale» dans laquelle Robert Bourassa a entraîné le Québec pendant les années de l'après-Meech et le prix qu'il paie encore pour son «choix parfaitement assumé de tromper, de louvoyer, d'éteindre».
Si M. Bourassa était un «petit tricheur», que dire de Pierre Elliott Trudeau, sinon qu'il en était un grand? Le trentième anniversaire du rapatriement unilatéral de la Constitution et de l'enchâssement d'une charte des droits contre la volonté du Québec est en réalité la célébration de l'énorme tromperie perpétrée par l'ancien premier ministre canadien durant la campagne référendaire de 1980.
M. Bourassa était franchement risible à l'automne 1992 quand il prétendait que l'entente de Charlottetown nous vaudrait «6 droits de veto et 32 gains». Précisément, la population a conclu à une farce et a rejeté l'entente.
La réaction a été bien différente quand M. Trudeau a dit mettre sa tête en jeu et a promis qu'un non à la souveraineté-association ouvrirait la porte à des changements. Personne n'avait imaginé qu'il s'agissait dans son esprit de diminuer les pouvoirs du Québec.
Au cours des deux prochains jours, toute une batterie d'experts réunis en colloque à l'UQAM se pencheront sur les conséquences politiques et juridiques du rapatriement de 1982. La question fondamentale est cependant de savoir si la tricherie est devenue une condition indispensable à l'unité canadienne. L'intégrité du pays ne peut-elle être maintenue que si les Québécois sont entretenus de façon mensongère dans l'illusion d'une réforme dont le Canada anglais ne veut plus rien savoir?
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L'ancien ministre des Affaires intergouvernementales dans le gouvernement Charest, Benoît Pelletier, qui est un des principaux organisateurs du colloque, estime qu'il faut ramener le débat constitutionnel à l'avant-plan, en espérant que l'appétit viendra en mangeant.
Sérieusement, comment penser que le ROC acceptera de concéder des conditions plus avantageuses que celles de l'accord du lac Meech, qu'il a rejetées il y a plus de vingt ans et qui sont aujourd'hui bien en deçà des aspirations du Québec?
Dans une «déclaration» destinée principalement aux médias du Canada anglais, le Nouveau Mouvement pour le Québec (MNQ) explique que, si les tentatives de compromis constitutionnels du passé ont échoué et échoueraient encore aujourd'hui, c'est qu'«ils sont en soi incompatibles avec les principes mêmes de l'État unitaire canadien».
Sur le plan institutionnel, le Canada est peut-être un État fédéral, mais «les Canadiens tendent, dans leur imaginaire, vers une culture patriotique unitaire», alors que les Québécois ont toujours postulé l'égalité des deux peuples fondateurs.
Cette divergence fondamentale remonte à la création du Canada, direz-vous, mais le rapatriement et l'enchâssement de la Charte des droits l'ont clairement accentuée. La construction identitaire basée sur un conservatisme étranger aux Québécois, à laquelle s'emploie maintenant le gouvernement Harper, ne peut que creuser le fossé davantage.
Dans cette perspective, il ne peut y avoir de choix qu'entre l'acceptation ou le rejet d'un État qui se définit de plus en plus comme celui d'une seule nation et où les gouvernements des provinces, y compris le Québec, sont perçus comme de simples districts administratifs.
Une telle perception des choses exclut clairement la possibilité d'une «gouvernance souverainiste» à l'intérieur du cadre fédéral, comme le prévoit le programme du PQ. Bernard Drainville est d'ailleurs le seul député péquiste à avoir signé le texte du MNQ.
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Il est cependant prématuré d'affirmer qu'en votant massivement pour le NPD le 2 mai dernier, les Québécois ont voulu sciemment s'exclure du centre décisionnel d'un État dans lequel ils ne se reconnaissent plus. Et si, aux prochaines élections, le ROC décidait de rejeter les conservateurs et concourait à l'élection d'un gouvernement néodémocrate au sein duquel le Québec serait représenté aussi fortement qu'à l'époque du French power?
La victoire de Thomas Mulcair dans la course à la succession de Jack Layton a eu un effet immédiat sur les intentions de vote du NDP au Québec, mais le plus dur reste à faire. C'est dans le reste du pays que M. Mulcair doit maintenant aller chercher les appuis dont il aura besoin pour devenir premier ministre, et le dossier constitutionnel l'attend au détour.
Tant que le NPD semblait voué à l'opposition perpétuelle, la Déclaration de Sherbrooke (2006), qui constitue la négation de la sacro-sainte loi sur la clarté, n'a pas trop nui au NPD, mais cette contradiction ne saurait durer.
Si le PQ devait prendre le pouvoir aux prochaines élections, M. Mulcair serait rapidement mis en demeure de dire clairement s'il reconnaîtrait une éventuelle victoire du Oui à 50 % des voix plus une. Et comment interpréterait-il une victoire du Non? Avant d'en arriver là, serait-il disposé à faire une ultime tentative pour réintégrer le Québec dans le giron constitutionnel canadien?
M. Mulcair n'est pas du genre à dévoiler son jeu. Sans vouloir lui prêter de sombres desseins, la nature du Canada et l'histoire des trente dernières années incitent cependant à la méfiance. On n'a surtout pas besoin d'un autre tricheur.


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