Le privé peut-il être mis à contribution?

Commission Castonguay



Les ténors du financement privé des services médicaux-hospitaliers font valoir que les dépenses publiques en santé sont hors de contrôle et que le vieillissement de la population, dont la proportion de plus de 65 ans doublera au cours des 40 prochaines années, rendra insoutenable le régime public gratuit et universel actuellement en place pour les services médico-hospitaliers.
Soulignons d'abord que la cible de leur remède, les dépenses publiques pour les services médico-hospitaliers, est stable depuis 30 ans tant en proportion du PIB que des dépenses provinciales. C'est tout le contraire des médicaments, dont les coûts croissent de 14 % annuellement et qui font justement l'objet d'une assurance privée obligatoire depuis dix ans. Celle-ci mime d'ailleurs le régime mixte à prédominance privée qui caractérisait le réseau de la santé des années 1950 et qui a si clairement démontré son échec qu'il a donné lieu à la création du régime public universel par Tommy Douglas dans les années 1960.
Ensuite, même si l'on regarde l'ensemble des dépenses en santé, on remarque qu'elles oscillent depuis 30 ans autour de 24 à 28 % des revenus provinciaux et de 6,2 à 7,4 % du PIB. On ne peut parler d'augmentation de coûts qu'en sélectionnant volontairement les périodes étudiées en fonction de phénomènes réduisant ponctuellement les revenus de l'État, telle une récession.
Pour ce qui est du vieillissement de la population, d'autres pays européens nous ont précédés dans l'affaissement de leur courbe démographique sans être engloutis par le poids des dépenses en santé. En fait, ce n'est pas tant le vieillissement qui est à l'origine des dépenses accrues en santé pour la cohorte des plus de 65 ans, mais bien la proximité au décès. Plus les gens meurent vieux, moins leurs dernières années coûtent cher: les dépenses de santé en fin de vie sont trois fois plus élevées à 75 ans qu'à 100 ans.
Charges fiscales
L'ensemble de la littérature montre que l'addition d'assurances privées en santé (APS) augmente les coûts totaux en santé, par une administration plus lourde, des coûts d'emprunts plus élevés et des interventions non médicalement requises (mais commercialement incitées). Les coûts des gouvernements ne baissent pas comme prévu puisqu'ils financent généralement l'achat d'APS par les citoyens qui n'y auraient pas accès faute de moyens.
Par surcroît, les charges sociales des entreprises augmentent comme elles sont généralement sollicitées pour offrir des plans d'assurance à leurs employés: selon la Fondation Kaiser, la prime annuelle moyenne atteint 11 000 US $ aux États-Unis (2005), et les entreprises en assument les deux tiers. Les charges fiscales des entreprises canadiennes sont plus importantes que celles de leurs concurrents américains, mais si on additionne les frais de santé, les différences sont négligeables. Ainsi, nos grandes entreprises sont parmi les plus importants bénéficiaires de notre système de santé public et universel.
Enfin, les listes d'attente ne sont pas réglées puisque, comme l'a personnellement réalisé l'ancien ministre britannique de la Santé, Frank Dobson, les cas les plus malades demeurent dans le réseau public. De plus, ceux-ci sont servis par moins de médecins, une partie d'entre eux ayant opté pour la pratique en privé.
En fait, les seuls gagnants de l'introduction des APS pour les services médicaux actuellement couverts par notre système universel seront les multinationales de l'industrie de l'assurance.
Sous-traitance au privé
Globalement, l'étude des pays de l'OCDE révèle que plus un pays a recours au financement privé pour les soins de santé, plus ceux-ci accaparent une proportion importante de sa production économique. Déjà, le Canada se situe déjà dans la moyenne des pays de l'OCDE avec 30 % de financement privé (dont 13 à 15 % qui vont aux APS). À ce titre, il dépasse la France (24 %) et le Royaume-Uni (22 %), dont la part du PIB qui va à la santé est maintenant supérieure à celle du Canada. Il est donc faux de dire qu'il faut augmenter le financement privé pour «émuler» les systèmes de soins de ces pays.
La subtilité réside dans le fait que les services médicaux au Canada sont complètement assumés par l'État, tandis que les services des autres professionnels (physio, optométrie, psychologues, etc.) de la santé sont couverts par les APS et les patients. Ailleurs, l'État ne couvre que partiellement un panier de services plus étendu, la différence étant assumée par les APS et les patients. Le Canada a choisi d'assurer collectivement et totalement le médico-hospitalier, soit l'essentiel ou les services qui influencent le pronostic vital.
Par ailleurs, la sous-traitance vers le privé, tout en gardant un financement public, peut être bénéfique en instituant une compétition avec le prestateur public. Cependant, à la lumière de l'expérience récente et de la méta-analyse de Devereaux (1995), quatre conditions s'imposent: d'abord, les médecins qui y pratiquent doivent participer aux gardes et aux cas plus lourds à l'hôpital sans égard au nombre d'années de pratique. Ensuite, le prix conventionné par acte en sous-traitance doit être inférieur au coût réel d'un cas de complexité équivalente dans le public. Aussi, il doit inclure l'achat de services à l'hôpital pour la prise en charge des complications le cas échéant, de manière à inciter le sous-traitant à ne pas tourner les coins ronds.
Triste spectacle
Enfin, il faut que le sous-traitant vienne augmenter la capacité de soins, et non pas la déplacer simplement d'un milieu public à un milieu privé. Pour ce faire, les hôpitaux doivent pouvoir faire face à la concurrence du privé pour leur personnel en ayant la latitude de bonifier les conditions de travail (octroi de poste, bonus de rétention, etc.) des infirmières. Aujourd'hui, alors que la rémunération est négociée au niveau provincial, l'hôpital ne peut répondre à l'exode des infirmières vers les cliniques privées qu'en louant l'utilisation de salles d'opération aux cliniques qui ont su recruter en nombre suffisant les infirmières. L'amortissement des coûts de construction et d'entretien des salles d'opération de l'hôpital s'en trouve ralenti et on peut prévoir que les coûts de sous-traitance seront supérieurs aux coûts des mesures de rétention du personnel.
À ces conditions, la prestation des services médicaux par le privé pourra faire profiter l'État d'une éventuelle supériorité.
Croyez-moi, comme médecin en pratique, je suis aux premières loges du triste spectacle de l'invasion du réseau de la santé par la bureaucratie. Mais il ne faut surtout pas jeter le bébé avec l'eau du bain: le réseau peut être réformé par les médecins si vous leur en laissez la chance. À tout le moins, il faudra résister au chant des sirènes dont les intérêts sont souvent à l'opposé de ceux des patients.
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François-Pierre Gladu, Médecin et enseignant clinique à l'Université de Montréal. Président de l'Association des jeunes médecins du Québec
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