Lentement mais sûrement, des entreprises spécialisées dans le secteur de la santé marquent des points aux dépens des principes d'universalité et de gratuité des soins. Le passage du Dr Philippe Couillard du poste de ministre de la Santé à celui d'associé d'une firme d'investissement privée n'est qu'une illustration de plus d'un glissement que certains voudraient beaucoup plus accentué, mais dont d'autres, comme les Médecins québécois pour le régime public, se méfient avec raison.
En partant du constat qu'il n'existe pas de modèle idéal de système de santé, que celui du Canada vaut bien celui des États-Unis ou de quelque autre pays développé, la priorité qui s'impose aux pouvoirs publics n'est pas de se lancer dans une nouvelle vague de réformes majeures, mais de travailler à colmater les brèches parfois béantes qui empêchent les citoyens de recevoir en temps voulu tous les soins auxquels ils ont droit. La question est donc de savoir comment.
Pour les Médecins québécois pour un régime public, un regroupement de médecins issus d'horizons très variés qui a publié cette semaine sa Déclaration de Montréal en faveur du régime public, plusieurs signaux font craindre l'émergence du système à deux vitesses dont on parle depuis tant d'années: un système pour les mieux nantis ouvrant la porte aux meilleurs spécialistes grâce à des assurances couvrant les mêmes soins que ceux offerts dans le système public; un autre pour ceux qui ne seraient pas assurés ou qui auraient le malheur d'être frappés par une maladie trop coûteuse à soigner pour que ce soit rentable.
À l'autre extrémité du spectre idéologique, le porte-parole de l'ADQ en matière de santé, Éric Caire, a réagi à l'arrivée de l'ex-ministre Couillard au sein du fonds d'investissement Persistence Capital Partners (PCP) en rappelant que son parti propose avec force l'avènement d'un réseau parallèle de cliniques privées afin de réduire l'attente et de stimuler la concurrence au Québec.
Ce groupe auquel s'associe le Dr Couillard, PCP, est une filiale de Groupe Santé Médicys, qui possède déjà plusieurs cliniques privées et une vingtaine de cliniques d'imagerie médicale à travers le pays. Or ces fameuses cliniques d'imagerie médicale, dont le nombre a explosé au cours des dernières années, sont un bon exemple de services privés auxquels de plus en plus de patients doivent avoir recours à grands frais parce que Québec n'a pas investi suffisamment pour répondre aux besoins. Pourtant, l'imagerie médicale n'est pas un luxe: elle fait maintenant partie des outils diagnostiques de base dans plusieurs spécialités, au même titre que la radiographie traditionnelle.
Voilà un beau cas de dérive du régime public qui impose des frais supplémentaires aux individus sans autre justification que le manque de volonté ou l'incapacité des gouvernements d'investir l'argent nécessaire. S'il y a assez de radiologistes pour faire fonctionner 19 cliniques d'imagerie entièrement privées, pourquoi ces services ne sont-ils toujours pas couverts par le régime public? Le privé ne s'immisce que là où l'État l'autorise... et là où celui-ci ferme les yeux.
Que M. Couillard ait quitté son poste de ministre de la Santé pour se joindre à une entreprise privée n'a rien d'exceptionnel. La plupart des anciens politiciens retournent au secteur privé après leur passage en politique. Mais en ces temps d'incertitude où les gouvernements ne savent plus où donner de la tête pour faire face aux coûts croissants d'une machine aussi complexe, on ne peut pas faire autrement que de lire dans ce transfert particulier un autre signe de la menace de privatisation des soins encore plus poussée qui pèse sur le régime.
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