La conscience élastique

Je crois que c'est finalement la raison pour laquelle le docteur Couillard ne se rase pas. C'est la peur de la rencontre avec le miroir qui l'amène à porter la barbe.

D'aspirant Premier ministre à lobbyi$te

On s'est toujours moqué des curés québécois qui prêchaient une religion quand ils en pratiquaient une autre, et dont le message ressemblait à «Faites ce que je vous dis de faire, ne faites pas ce que je fais.» C'est au tour de notre célèbre docteur Couillard, tout chaud sorti du conseil des ministres, de reprendre le même message. Faisant fi de la plus élémentaire prudence à laquelle on est en droit de s'attendre de quelqu'un qui a tenu dans ses mains l'avenir de notre système de santé public pendant cinq ans, il vient de choisir de tourner le dos à sa foi et est passé à l'ennemi. Il démontre, ce faisant, une élasticité de la conscience qui en dit long sur le personnage.
Quand je vois une photo du docteur Philippe Couillard dans mon journal, je pense à mon père. Pas à cause de la ressemblance, car il n'y en a aucune, mais à cause de la seule règle de vie que mon père m'ait apprise. Je dis bien la seule, car il n'y en a pas eu d'autres venant de lui.
Mon père se rasait, chaque matin, en se regardant dans un miroir au-dessus de l'évier de la cuisine qui lui renvoyait son image. Il le faisait avec ce qu'on appelait alors un rasoir droit, comme ceux qu'utilisent encore les barbiers qui rasent leurs clients, et non pas avec un de ces instruments modernes aux multiples lames comme on les connaît aujourd'hui, et encore moins avec un rasoir électrique. Son rasoir lui faisait une peau douce, mais l'opération, du début à la fin, prenait du temps. Il fallait avoir développé une habileté toute particulière pour utiliser cette longue lame aiguisée avec attention et patience chaque matin.
Assise à la table, juste à côté, en mangeant mes toasts, je le regardais faire. Je suivais le trajet de la lame qu'il utilisait de bas en haut sur le cou avec assurance et sans trembler. Puis, nos regards se croisaient dans le miroir. Habituellement, nous échangions un sourire et nous retournions chacun à nos pensées.
Puis un jour, quand nous nous sommes regardés, il s'est arrêté. Sa main s'est figée au-dessus de son épaule et il m'a dit: «Souviens-toi toujours que la seule personne avec laquelle tu devras vivre toute ta vie, c'est toi. Pour se regarder tous les matins dans le miroir, il faut avoir la conscience en paix.»
Il venait de me livrer, en 15 secondes, l'un des principes qui ont guidé toute ma vie par la suite. On ne triche pas avec sa conscience. Qu'on aime ça ou non, elle nous dit toujours où nous en sommes, si nous avons eu raison ou tort de faire ce que nous avons fait et si nos choix sont totalement en accord avec nos convictions. On peut tricher dans tous les domaines de la vie, en affaires, en amour, en amitié. Mais le matin, devant son miroir, la conscience reprend ses droits. Elle vous met en pleine face la vérité sur vous-même.
Vous pouvez vivre avec une conscience élastique, l'étirer jusqu'à l'extrême limite. Mais au bout du compte, c'est encore elle qui aura raison de vous. Elle peut vous gâcher la vie totalement et même vous empêcher de dormir. Elle peut vous priver du respect de ceux qui vous entourent ou de ceux qui vous regardent aller dans la vie.
L'effet miroir
Je crois que c'est finalement la raison pour laquelle le docteur Couillard ne se rase pas. C'est la peur de la rencontre avec le miroir qui l'amène à porter la barbe. À force de se contorsionner pour mettre sa conscience en accord avec ses agissements et ses propos, on peut penser qu'il gagnerait une médaille d'or s'il y avait des Olympiques de la conscience élastique par excellence. Le bon docteur vient encore une fois d'étirer sa précieuse conscience aussi loin que le permet la loi. Un poil de plus et il aurait à répondre de ses choix.
Malgré les questions que sa nouvelle carrière dans le privé suscite dans la population, ce brillant spécialiste ne s'en laissera pas imposer. Pas question. Qu'il y ait apparence de manquement à l'éthique ne le gêne pas outre mesure. Il n'a pas l'intention de faire marche arrière car, comme toujours, il est convaincu d'avoir raison. Qui sommes-nous, nous, le monde ordinaire, pour lui faire la leçon? Ses brillantes études médicales lui ont probablement appris à anesthésier la conscience quand il lui paraît plus rentable de n'en pas en avoir.
Il nous reste à souhaiter bonne chance au docteur Couillard, qui a «planté» là deux mégahôpitaux à construire, un système de santé au bord de la crise de nerfs, des listes d'attente qui font honte à tout le système, des médecins dans le désarroi ET des malades qui ne savent plus à quel saint se vouer. Une performance éclatante pour un brillant ministre qui s'en va voir ailleurs si le gazon est plus vert dans le jardin privé que dans le jardin public.
J'imagine que son père ne lui a jamais dit que la seule personne avec laquelle il devra vivre toute sa vie, c'est lui-même. Voilà, le message est fait. On pourrait aussi se cotiser pour lui offrir un miroir.


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