Le nouveau démon

1997

11 juin 1997
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Cachez vos enfants! Protégez vos biens les plus précieux! Et, surtout, priez pour cette malheureuse «société distincte» qui, apparemment, vient tout juste d'être assassinée par le nouveau démon de la scène politique canadienne: Preston Manning.
Voilà l'avertissement à peine caricaturé qu'ont laissé transparaître divers éditoriaux parus dans des médias québécois et canadiens. A la suite des élections, Jean Chrétien est même allé jusqu'à inviter Jean Charest et Alexa McDonough à se joindre au sauvetage du Canada... comme si Manning n'était pas un «vrai» fédéraliste!
Il faut dire qu'en politique, il n'y a rien de mieux qu'un gros méchant «démon» pour faire passer les autres pour des enfants de choeur. On appelle cela de la «propagande». Ce que les libéraux, les conservateurs et les médias fédéralistes du Canada «central» semblent avoir fort bien compris.
Mais quels sacrilèges notre démon de l'Ouest a-t-il bien pu commettre pour mériter une telle excommunication? C'est simple: le pauvre homme a dit tout haut ce que bien des Canadiens anglais pensent de moins en moins tout bas. Au summum de l'horreur, Manning a même traduit en paroles audibles les pensées impures de certaines vierges offensées fédéralistes qui tiennent pourtant des positions semblables mais n'ont pas la transparence de les expliciter - question de mieux entretenir l'illusion d'un fédéralisme pouvant répondre aux attentes de plus en plus élevées des Québécois...
Et que nous dit Preston Manning? Primo: le Canada est la seul vraie nation, les «peuples fondateurs» ne veulent plus lien dire, les provinces doivent être égales en statut et en droits. Secundo: il n'est pas question d'un statut particulier pour le Québec ou de «société distincte». Tertio: la plupart des Canadiens anglais en ont assez de voir les politiciens francophones se livrer une bataille de titans qui n'en finit plus de finir. Quarto: si le Québec devient souverain, il faudra avoir énoncé au préalable les «conditions» qui seraient alors «imposées» par le Canada anglais, dont une possible partition du territoire québécois.
De fait, la majeure partie de cette approche se retrouve en pièces détachées chez les libéraux et les conservateurs de même que chez les activistes anglo-québécois et dans les positions éditoriales de nombreux journaux anglophones. Cela étant le rejet clair et net de la société distincte par le Reform Party a le mérite d'être plus honnête et moins insultant pour l'intelligence que l'appui de tous ces bien-pensants fédéralistes pour une «société distincte» symbolique qui ne confère au Québec AUCUN pouvoir additionnel!
Quant au dogme de l'égalité des provinces et au refus de la thèse des «Peuples fondateurs», ils ne datent pas d'hier! De mauvaises langues sussureraient que même la «Confédération» de 1867 ne jetait aucunement les bases d'un Etat binational et que la Constitution de 1982 confirmait carrément le rejet de la nation québécoise.
Enfin, pour ce qui est des «conditions» suivant un Oui et d'un démembrement du Québec, ce sont les libéraux de Jean Chrétien qui ont parti ce bal en choisissant d'alimenter les intégristes de la partition et en niant le droit des Québécois à l'autodétermination et ce, jusqu'en Cour suprême. Quant à Jean Charest, il entretient savamment l'équivoque avec son «grand trou noir». Bref, Manning n'invente rien! Il clarifie et met à la lumière ce que d'autres cachent dans le noir.
Et pourtant, l'homme est «devenu, en l'espace d'un mois, synonyme de racisme et de francophobie», selon l'expression de Gilbert Lavoie du Soleil. Comble de la démagogie: même Mordecai Richler s'en mêle! Dans The Gazette du 8 juin, il accusait Manning de «manipuler les cordes des préjugés partout où il va, jouant toutes les notes les plus viles et abjectes» ("down-and-dirty") ». Selon Richler, Manning propagerait «la politique du ressentiment, transpirant la colère contre les "autres'». Et tout cela vient de Mordecai Richler, monsieur «Québec bashing» en personne, celui-là même qui raconte les pires sottises sur le Québec, ici et à l'étranger! Qu'on me pince, je dois rêver!
La réalité est pourtant claire: Manning n'est pas «anti-Québec» dans la mesure où le Québec est le dernier de ses soucis, politiquement et électoralement. Ce que Manning est, c'est un «preacher, de la droite, un populiste anti-Etat doublé d'un «Westerner» qui entend tailler une place à ses compatriotes dans un pays qui les a toujours marginalisés. Sur les questions constitutionnelles, sociales et économiques, son programme de droite ne vise qu'une seule chose: réduire substantiellement la taille des gouvernements fédéral ET provinciaux.
Avec un tel objectif, la «question du Québec» devient quasiment accessoire tout en lui donnant néanmoins l'occasion de s'ériger comme représentant du ras-le-bol canadien-anglais. Pour les Québécois, Manning est donc un puissant révélateur, presqu'un électrochoc. Plutôt que de le démoniser comme le font les fédéralistes à des fins partisanes évidentes - faisant ainsi passer les libéraux et les conservateurs pour bien plus modérés qu'ils ne le sont -, les souverainistes feraient mieux d'expliquer le phénomène Manning pour ce qu'il est.
Manning n'est pas un démon mais un Canadien anglais qui en a assez d'entendre parler du Québec et de statut particulier. En cela, il est parfaitement représentatif d'une majeure partie de ses concitoyens. C'est pourquoi les souverainistes feraient également mieux de comprendre que si démon il y a, il réside dans leur propre peur de s'affirme clairement face aux leaders fédéralistes, à la population canadienne-anglaise et aux intégristes partitionnistes! Bref, si on a l'intention de faire la souveraineté du Québec, il faudrait peut-être commencer par vaincre nos propres démons intérieurs...


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