Les recours liés au partage des compétences se multiplient devant les tribunaux, dans un contexte de « forte judiciarisation » des relations intergouvernementales au sein de la fédération.
La décision a choqué de nombreux chefs autochtones. À quelques jours de Noël, la procureure générale Sonia LeBel annonçait avoir demandé à la Cour d’appel du Québec de se prononcer sur la constitutionnalité de la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis adoptée l’été dernier par le Parlement fédéral. Le texte législatif élargit les responsabilités des communautés autochtones en matière de protection de l’enfance, mais Québec y voit plutôt un empiétement dans ses champs de compétence.
Au cours des six derniers mois, le gouvernement du Québec a demandé le statut d’intervenant dans la contestation de la taxe carbone, il a entrepris la même démarche dans le renvoi relatif à l’oléoduc Trans Mountain, il a porté en appel une décision de la Cour supérieure limitant sa capacité à réglementer le cannabis et il a demandé à la Cour suprême de se prononcer sur le partage des compétences entre la Cour supérieure et la Cour du Québec.
La procureure générale n’a pas souhaité commenter de manière précise l’un ou l’autre de ces dossiers, plaidant devoir se soumettre à un strict devoir de réserve. Mais pour le professeur à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa Benoît Pelletier, la direction prise par le gouvernement québécois est on ne peut plus claire.
La liste des litiges présentement devant les tribunaux est impressionnante
, convient au bout du fil le constitutionnaliste et ancien ministre des Affaires intergouvernementales.
Le Québec est très actif dans la défense de ses compétences, plus qu’il ne l’a été à d’autres époques.
Diversité et visibilité
Tous ces recours n’ont évidemment pas été intentés directement par le gouvernement québécois. Dans le cas de la taxe carbone par exemple, Québec s’est joint à une démarche initialement entreprise par le gouvernement de la Saskatchewan et à laquelle plusieurs autres provinces ont aussi choisi de participer. Le Canada, précise Benoît Pelletier, traverse présentement un contexte de forte judiciarisation des relations intergouvernementales
.
Bien sûr, toutes les provinces interviennent régulièrement devant les tribunaux pour défendre leurs champs de compétence. Certaines causes sont très médiatisées, comme celle ayant porté sur la réglementation des valeurs mobilières il y a quelques années, tandis que d’autres sont plus obscures.
Ce qui est davantage digne de mention, dans le cas du Québec, c’est le nombre, la diversité et la visibilité des causes constitutionnelles récemment embrassées par le gouvernement québécois.
Clairement, le Québec, en ce moment, n’en laisse pas passer une
, indique le professeur à la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke Guillaume Rousseau, qui a aussi été durant quelques mois conseiller du gouvernement. On ne fait pas face à un renversement de tendance dans l’attitude du gouvernement du Québec, autant qu’à un changement d’intensité.
Le fait de multiplier les recours n’est pourtant pas sans conséquence pour le gouvernement Legault, qui a essuyé les critiques l’été dernier pour sa participation à la contestation de la taxe carbone. Le scénario s’est répété au cours des dernières semaines après qu’il a choisi de remettre en question la loi sur les services de protection à l’enfance dans les communautés autochtones.
Dans les deux cas, Québec a soutenu qu’il partageait les objectifs du gouvernement fédéral, mais qu’il en avait plutôt contre les façons de faire de ce dernier.
Visiblement, le gouvernement québécois a décidé de protéger ses champs de compétence même si politiquement ça peut parfois être moins rentable à court terme pour lui.
Benoît Pelletier fait le même constat. Il estime que le Québec a raison d’agir comme il le fait : Tous ces dossiers mettent en cause des principes fondamentaux de droit constitutionnel. [...] Même si dans certains cas le Québec peut mal paraître ou faire l’objet de critiques, il n’en reste pas moins qu’il est tout à fait normal et légitime et sain qu’il se porte à la défense de ses compétences constitutionnelles.
Nationalisme judiciaire
Dans le contexte, peut-on parler de l’émergence d’un nationalisme judiciaire de la part du gouvernement de la CAQ?
On pourrait certainement parler d’autonomisme judiciaire
, nuance Guillaume Rousseau. Le nationalisme est lié à l’autonomisme donc, oui, il y a un lien évident entre les deux, mais ça dépend des causes. Parfois, la procureure générale [du Québec] va agir pour protéger la nation à proprement parler, mais parfois plus pour protéger l’autonomie du Québec.
Il insiste sur le rôle joué par certaines provinces de l’Ouest. On peut défendre les champs de compétence provinciaux sans être nationaliste. Dans le cas de la taxe carbone, l’initiative vient de la Saskatchewan. Est-ce que c’est du nationalisme ou du régionalisme?
, s’interroge le professeur.
Bien que la tendance à contester ait été particulièrement forte au Québec ces six derniers mois, on voit que ce n’est pas le propre du Québec
, renchérit Benoît Pelletier. On voit que d’autres provinces elles aussi veulent se porter à la défense, ou de leur autonomie, ou de leurs intérêts dans le contexte fédératif.
Paradoxalement, l’hyperactivité de la CAQ devant les tribunaux n’a pas vraiment trouvé d’écho jusqu’ici sur le plan politique.
Même si le gouvernement actuel est actif sur le plan judiciaire, on l’entend relativement peu sur les dossiers intergouvernementaux prendre position face à Ottawa sur la place publique
, estime Benoît Pelletier. On ignore complètement quel est l’état des négociations dans différents dossiers entre Ottawa et Québec.
Dans l’opposition, la CAQ avait affiché sa volonté de rapatrier des pouvoirs fédéraux, notamment en matière de culture et d’immigration. Si le gouvernement Legault a réitéré ses demandes lors des dernières élections fédérales, il est resté plutôt discret jusqu’ici sur la manière dont il compte s’y prendre pour obtenir ce qu’il souhaite.