LANGUE

Précampagne : la CAQ va-t-elle finalement étendre la loi 101 au cégep?

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La CAQ va-t-elle enfin sortir de son nationalisme de façade?

On sait qu’il existe deux grandes mouvances au sein de la Coalition Avenir Québec, soit les Bleus (nationalistes) et les Rouges, plutôt affairistes et idéologiquement proches du Parti libéral du Québec.


La première semble inclure des ministres comme Simon Jolin-Barette (Justice) et Jean-François Roberge (Éducation). Geneviève Guilbault (Sécurité publique) et Pierre Fitzgibbon (Économie) feraient quant à eux partie du second groupe.


Au-delà de la parenthèse pandémique, qui a certainement aidé le parti au pouvoir et invisibilisé les oppositions, c’est en parvenant à conjuguer défense de l’identité québécoise et crédibilité économique que la CAQ parvient à se maintenir dans une position enviable dans les sondages, au détriment du Parti québécois et du PLQ, respectivement.


Un parti pseudo-nationaliste?


Mais dernièrement, de nombreux patriotes se disent déçus par le gouvernement Legault.


Outre sa mollesse migratoire (légère baisse à 40 000 immigrants par an suivie d’un rehaussement à 50 000 – le seuil atteint sous Charest), la principale critique faite à la CAQ est que son projet de loi linguistique (le PL96) est insuffisant.


S’il est indubitablement intéressant (et même audacieux) d’un point de vue constitutionnel (modification unilatérale de la constitution canadienne pour y enchâsser le français comme langue commune du Québec), les mesures linguistiques concrètes prévues par Québec ne vont tout simplement pas assez loin.


La proportion de francophones dans la vallée du Saint-Laurent n’a jamais été aussi faible depuis 150 ans. Sur l’île de Montréal, les jeunes francophones sont plus bilingues que les jeunes anglophones depuis 2011. Il y a urgence d’agir et les mesurettes symboliques de la CAQ ne suffiront pas.


La loi 101 au cégep


Des experts renommés, comme Frédéric LacroixCharles Castonguay ou encore Guy Rocher, réclament l’application de la la Charte de la langue française au cégep. C’est aussi la position défendue par le PQ.



Le vénérable Guy Rocher, qui a participé à la rédaction de la loi 101, milite pour son application au réseau collégial et même au premier cycle universitaire.


Malheureusement, la version initiale du PL96 était tellement timide qu’elle allait moins loin que ce que proposait le PLQ!



Rappelons que le projet de loi 96, sur la « langue officielle et commune du Québec, le français », a été déposé le 13 mai 2021, soit un peu plus d’un mois seulement avant cette annonce de Mme McCann. Il ne comportait pas de gel des places dans les cégeps anglais, mais plutôt une clause de croissance contingentée des effectifs dans les cégeps anglais; en effet, une croissance des effectifs de 8,7% chaque année est permise par le PL96, pourvu que l’effectif global des cégeps soit en hausse.


Le gel annoncé par Mme McCann est donc plus « costaud » que la clause de croissance contingentée correspondante du PL96.


Cette annonce de Mme McCann constitue donc un aveu indirect que le gouvernement a raté son coup sur la question des cégeps avec le PL96. Rappelons que le Parti libéral du Québec avait pour sa part proposé, avant le dépôt du PL96, un gel des places dans les cégeps anglais. Politiquement, ce gel était donc l’absolu minimum à atteindre pour pouvoir assumer une posture un tant soit peu « nationaliste ». Le PL96 a pourtant réussi à viser en bas du seuil minimal proposé par le PLQ.



Ce durcissement relatif, combiné avec le recul du gouvernement sur l’expansion du Collège Dawson, qui est déjà le plus grand cégep du Québec, et un signe encourageant, mais il s’agit là d’une approche défensive, qui peut seulement ralentir l’anglicisation de la société.


Qu’en est-il alors de la loi 101 au cégep, qui permettrait de franciser encore davantage les allophones, tout en luttant contre l’anglicisation des francophones? Y a-t-il encore des chances que le gouvernement aille dans cette direction?


Si les Bleus y sont favorables, il semble que les Rouges avaient réussi à convaincre Legault de laisser tomber cette réforme radicale. Au point que Roberge (qui y serait favorable à titre personnel) avait été envoyé en tournée médiatique pour tenter de tuer cette idée dans l’œuf.


Mais voilà que Fitzgibbon, affreuse créature du marais Desmarais, affirme publiquement que l’idée d’appliquer la Charte au cégep fait encore débat au conseil des ministres. Cela a toutes les allures d’un ballon d’essai visant à mesurer les réactions (surtout au sein des milieux d’affaires).


Il n’en fallait pas plus pour que le péquiste Pascal Bérubé annonce son intention de rencontrer tous les députés caquistes individuellement pour tenter de les convaincre. Parallèlement, plusieurs syndicats de professeurs collégiaux se sont positionnés en faveur de cette réforme au cours des dernières semaines. Les astres s’alignent de plus en plus.


Une réforme politiquement avantageuse


La loi 101 au cégep serait bien sûr une bonne nouvelle pour les nationalistes québécois. Il y aurait en outre un intérêt électoral évident pour le parti au pouvoir :



  1. Un sondage datant de juin dernier indique que 70% des francophones (la base électorale de la CAQ) seraient en faveur d’une telle réforme. Il y a fort à parier que ce chiffre est encore plus élevé à l’heure actuelle. En effet, l’opinion publique a récemment été sensibilisée par de multiples affronts linguistiques;

  2. Cela permettrait de tourner la page sur la pandémie, qui exaspère un peu tout le monde, en changeant radicalement le récit médiatique. Et les cris d’orfraie poussés par certains commentateurs anglophones ne seraient pas nécessairement une mauvaise chose pour un parti souhaitant se présenter comme le meilleur défenseur du Québec;

  3. En reprenant cette demande populaire qui est actuellement le monopole du PQ, la CAQ pourrait bien achever ce parti en fin de cycle;

  4. Deux autres formations d’opposition, Québec solidaire et le Parti conservateur du Québec, pourraient bien être placées dans une position délicate qui créerait des divisions à l’interne. Si QS est officiellement opposé à cette mesure¹, il ne fait aucun doute que moult souverainistes de gauche y sont favorables, y compris des membres fondateurs du parti. Quant à Éric Duhaime, il serait probablement pris entre sa seule élue, qui est en faveur de mesures musclées pour défendre le français, et son principal soutien médiatique, Radio X, qui défendrait logiquement le libre choix en éducation².



Si la transfuge Claire Samson est sûrement en faveur de la francisation des cégeps, ce n’est pas le cas de tous les alliés du PCQ…


Le PL96 étant toujours à l’étude, le gouvernement a encore le temps d’ajouter cette disposition au texte. La CAQ jouirait d’une plus grande crédibilité auprès des nationalistes si elle allait de l’avant dès maintenant au lieu d’en faire une promesse électorale qui pourrait éventuellement être remplie – ou pas.


La forteresse McGill


Cela étant, si la CAQ veut que les électeurs prennent au sérieux ses promesses linguistiques, elle doit faire preuve d’un minimum de cohérence. Comme il l’a fait avec l’agrandissement de Dawson, Legault doit renoncer au don de plus d’un milliard de dollars qu’il comptait faire à McGill.


Cette université est déjà la plus riche et la plus prestigieuse du Québec, et lui léguer un joyau architectural en plein cœur de Montréal (l’ancien hôpital Royal Vic) coulerait dans le béton la suprématie de l’anglais dans la région métropolitaine en désavantageant un peu plus les universités de langue française, qui sont sous-financées par rapport au poids démographiques des francophones :



Rappelons qu’en 2019, 25,9 % des effectifs universitaires du Québec étaient inscrits dans les trois universités de langue anglaise. En 2017, ces mêmes universités allaient chercher 29,9 % des revenus globaux de toute source au Québec. Elles touchaient aussi 20,8 % des revenus du Québec (fonds de fonctionnement, fonds de recherche et fonds d’immobilisation confondus). En moyenne, durant cette période, le poids démographique des anglophones au Québec s’est maintenu autour de 8,2 % (selon la langue maternelle).



Finalement, les Rouges du gouvernement qui prétendent défendre la rigueur budgétaire devraient prendre acte de l’ampleur notre dette collective. S’ils tiennent absolument à se départir de cet actif, ils devraient profiter de la surchauffe immobilière pour le vendre au plus offrant. Pas de cadeau à faire à la forteresse McGill, alors que les francophones hors Québec se meurent³!


* * *


¹ Serait-ce lié au fait que certains activistes décoloniaux (financés par les contribuables) considèrent que la Charte de la langue française relève du racisme systémique?


² Précisons que la loi 101 n’interdit pas aux francophones et aux allophones d’envoyer leurs enfants à l’école primaire ou secondaire anglaise. Il existe d’ailleurs des établissements ciblant cette clientèle au Québec. Mais ils ne reçoivent aucun denier public et les frais de scolarité y sont donc élevés. Il est tout à fait normal que les contribuables québécois ne financent pas leur propre ethnocide.


³ Le Manitoba était majoritairement francophone au moment où il devint une province (1870). En 2017, le français, parlé à la maison par un gros 3,3% de la population, était la 4e langue en importance, après l’anglais, le tagalog et l’allemand!