René Lévesque, mythes et réalités...

Le mythe Lévesque

Si l'on ne s'en tient qu'aux réalités tangibles, force est de constater qu'en deux mandats, Lévesque a laissé un héritage moins durable et substantiel que celui d'Adélard Godbout

Acharnement des quéfeds...


René Lévesque, mythes et réalités... Vingt ans après la mort du fondateur du PQ, sa fondation éponyme organisait vendredi dernier un colloque sur cet homme qui n'a laissé personne indifférent et que même ses adversaires avaient appris à respecter.
Il y avait là quelque 160 personnes, dont beaucoup d'anciens collaborateurs de Lévesque. Mais s'il y a mythe, il n'est pas évident que les jeunes participent à la sacralisation. L'immense majorité de l'auditoire avait plus de 50 ans...
J'étais l'une des panélistes à ce colloque, ayant suivi de près, comme journaliste, la carrière de Lévesque à partir de la fondation du PQ jusqu'à son décès. Voici des extraits de ma communication.
Si l'on ne s'en tient qu'aux réalités tangibles, force est de constater qu'en deux mandats, Lévesque a laissé un héritage moins durable et substantiel que celui d'Adélard Godbout, qui, en un seul mandat, dans le contexte difficile de la Deuxième Guerre mondiale, et souvent malgré l'opposition véhémente du clergé, a réalisé un nombre incroyable de réformes majeures.
Godbout a octroyé le droit de vote aux femmes, créé Hydro-Québec, instauré l'instruction obligatoire, la gratuité scolaire au primaire, l'électrification des campagnes, le premier code du travail québécois, lutté contre le patronage avec l'allocation de contrats au plus bas soumissionnaire, parrainé la création de la Fédération des caisses Desjardins et la fondation de l'Université de Montréal, etc.
Comme l'écrivait l'an dernier dans La Presse Louis J. Duhamel, s'il n'y avait pas eu l'intermède duplessiste, entre 1944 et 1960, «le Québec n'aurait pas été contraint d'attendre les années 60 pour compléter sa Révolution tranquille», et c'est ce «visionnaire progressiste» qui serait aujourd'hui reconnu comme «le véritable père de la modernité québécoise».
Le bilan de Lévesque, par contraste, est assez mince: nationalisation de l'amiante (une initiative désastreuse), lois sur le zonage agricole et l'assurance automobile... La loi à laquelle Lévesque tenait le plus, celle sur le financement des partis politiques, n'a pas résisté à l'épreuve du temps.
La pièce de résistance fut évidemment la loi 101, loi déterminante s'il en est une, encore qu'elle fut due à l'obstination de Camille Laurin davantage qu'à Lévesque lui-même, car il avait de fortes réserves sur la question. (C'est un peu comme la nationalisation de l'électricité en 1962, due à Lévesque davantage qu'à Lesage). Il reste que Lévesque a accepté, serait-ce à contre-coeur, cette loi qui allait bouleverser le visage du Québec.
Il allait toutefois échouer dans ses projets principaux. Échec au référendum de 1980, échec l'année suivante dans sa joute contre Trudeau... Ce second mandat s'est achevé dans l'amertume et la mauvaise humeur.
On l'oublie aujourd'hui, mais lorsque Lévesque a quitté la politique, en 1985, sa cote de popularité était au plus bas, et les militants péquistes montraient carrément la porte à leur vieux chef irascible. Voilà pour la réalité drue.
Ce n'est qu'après sa mort que le mythe a pris naissance. Sous le choc, les Québécois se sont rappelé à quel point ils l'avaient aimé, ce petit homme au charme irrésistible. (Le même élan d'affection posthume s'est produit, à un moindre degré, à la mort de Daniel Johnson en 1968.)
La grandeur de Lévesque fut d'avoir incarné, jusque dans ses gestes, le Québécois de cette époque: le rebelle ambivalent, qui aspire à la souveraineté mais reste arrimé au Canada.
Les véritables réalisations de Lévesque relèvent de l'intangible et ce sont celles-là qui ont le plus marqué le Québec. Avec son admirable Point de mire, il a ouvert le monde aux Québécois. C'était un leader véritable, qui s'imposait par son autorité morale. Il a incarné sans jamais fléchir les valeurs démocratiques, à une époque où le bouillonnement politico-social et l'exaltation nationaliste auraient pu mener à toutes sortes de dérives. Surtout, il a insufflé aux francophones de vieille souche la fierté et l'assurance qui leur manquaient à cette époque.
Sa grande victoire - sa seule, en fait - fut celle de 1976, qui montrait que ces derniers pouvaient seuls élire un gouvernement, contre les «Anglais» et le grand capital. C'est à partir de ce moment qu'ils se perçurent comme une majorité au Québec. Et René Lévesque les représentait parfaitement, à ce tournant crucial de leur histoire.
Ma conclusion, c'est que si la mémoire de René Lévesque a atteint une dimension mythique, ce n'est pas tant par ce qu'il a fait que par ce qu'il était.
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