Le mort-vivant

Dion-le-fossoyeur



Quand Stéphane Dion a remporté, à la surprise générale, la course à la direction du Parti libéral en décembre 2006, une image un peu légère m'est aussitôt venue à l'esprit.


Et c'est une scène qu'on a vue dans combien de films. Un homme se réveille un matin, un peu poqué, pour découvrir à ses côtés une femme qu'il ne connaît absolument pas, sans avoir la moindre idée de comment elle a pu se retrouver dans son lit. Ce pourrait bien sûr être l'inverse, une femme qui découvre avec stupeur un inconnu dans son lit.
Ce cauchemar de lendemain de cuite me semblait tout à fait approprié pour décrire ce qu'ont probablement ressenti bien des militants libéraux après cet étrange vote. Après l'excitation et l'euphorie, ils ont dû se demander: «Qu'est-ce qu'on a fait là?»
Après cette première pensée peu charitable, bien des gens, moi y compris, ont voulu laisser la chance au coureur. Tenir compte des talents considérables du nouveau chef, de son intégrité, de sa rigueur et de son intelligence. Et se dire que s'il avait réussi à remporter la course au leadership malgré ses évidentes inaptitudes politiques, c'est qu'il avait des ressources insoupçonnées. Et donc, espérer que la fonction crée l'homme et que Stéphane Dion se révèle un grand chef de parti.
Cela ne s'est pas produit. Les élections partielles de lundi dernier ne sont qu'une station de plus dans le long chemin de croix de Stéphane Dion. Les résultats de ces quatre partielles confirment ce qu'on sait depuis longtemps: M. Dion n'a pas ce qu'il faut pour susciter l'adhésion des électeurs ni pour diriger un parti.
L'analyse de ces partielles a été faite. Les libéraux ont conservé trois des quatre sièges qu'ils détenaient. Ce n'est pas la débâcle. Ils ont perdu une circonscription en Saskatchewan qui n'était pas un de leurs châteaux forts. Mais ils ont presque perdu leur bastion de Vancouver-Quadra, avec une victoire de justesse, et une famélique majorité de 151 voix. Ils ont cependant triomphé en Ontario, avec 59% des voix dans Toronto-Centre et Willowdale. Mais est-ce grâce à Stéphane Dion, ou plutôt aux candidats eux-mêmes, surtout Bob Rae.
Ce sont des résultats médiocres, mais pas assez catastrophiques pour mener à un coup de force contre le chef. Cela fera donc durer le supplice. Et mettre encore plus en relief le fait que M. Dion est devenu une espèce de mort-vivant politique, toujours en poste, mais sans être vraiment là, en quelque sorte transparent, comme si on était déjà dans l'après-Dion.
Ce qu'on sait, par les sondages et les résultats des partielles, c'est que le chef libéral n'a pas le potentiel pour mener son parti à la victoire. Qu'il n'est pas dans une position pour menacer le gouvernement conservateur minoritaire, et encore moins le renverser. Qu'il n'a pas non plus réussi à s'imposer dans son propre parti, à panser ses plaies et à en refaire l'unité.
En fait, on assiste à un phénomène tout à fait unique où le Parti libéral du Canada est clairement coupé en deux, divisé en deux factions. Ce qui est exceptionnel, c'est que le chef fraîchement élu ne fait partie d'aucune de ces deux factions, qu'il est quelque part sur la bande, pendant que la vraie partie se jouera entre Bob Rae et Michael Ignatieff.
À un tel point que la question n'est pas de savoir si M. Dion devra ou non tirer sa révérence, mais plutôt quand. Si les élections partielles avaient été une catastrophe, ce moment aurait pu être proche. Mais les résultats mitigés repoussent l'échéance.
Le scénario le plus plausible est que les libéraux devront tôt ou tard passer par le rituel d'un autre scrutin, et attendre que M. Dion subisse une défaite pour pouvoir changer de chef et repartir du bon pied, en espérant que les conservateurs restent minoritaires.
Le gouvernement conservateur, élu sur une plateforme minimaliste, est au bout de son cycle, et ne subsiste que par la faiblesse de son principal adversaire. La domination libérale en Ontario, confirmée par les partielles, suggère que les conservateurs ne semblent pas être en mesure de remporter une victoire majoritaire, malgré la faiblesse de leur adversaire, et qu'ils n'ont toujours pas réussi la transition qui transformerait ce parti idéologique aux origines régionales en véritable parti national rassembleur, capable de remplacer les libéraux comme parti naturel de pouvoir.
En attendant, la vie politique canadienne est en quelque sorte en suspens, à tous les niveaux. Le gouvernement conservateur est dans une impasse, l'opposition libérale aussi. Une impasse que seules des élections pourront dénouer.


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