Le moindre mal

Le PQ n'est malheureusement pas en position d'imposer sa solution. Au reste, le discours qu'il tient dans l'opposition et ce qu'il fait une fois au pouvoir sont deux choses parfois très différentes.

Écoles passerelles - Loi 115



Jacques Parizeau et Lucien Bouchard étaient parfaitement bilingues et personne ne s'en plaignait, a lancé mercredi l'ancien chef du Parti égalité, Robert Libman, qui comparaissait devant la commission parlementaire chargée d'étudier le projet de loi 103 sur les écoles passerelles.
Il est vrai que, à l'exception de quelques «purs et durs» qui avaient reproché à M. Bouchard de répondre en anglais aux questions des journalistes anglophones, personne ne nie que le bilinguisme soit un atout, en politique comme ailleurs.
Présenter cela comme un argument en faveur de la légalisation des écoles passerelles qui permettraient aux francophones de fréquenter ensuite l'école anglaise subventionnée repose cependant sur un énorme sophisme.
Si M. Parizeau ou M. Bouchard avaient reçu toute leur éducation en anglais à partir du cours primaire, ils ne seraient probablement pas devenus premier ministre du Québec, encore moins chef du PQ.
L'étude de l'Institut de recherche sur le français en Amérique du nord (IRFA), dont les conclusions ont été publiées cette semaine, démontre qu'un étudiant francophone qui s'inscrit au cégep anglais risque fort de s'angliciser. Qu'est-ce que ce sera si le processus commence à six ans?
On peut très bien comprendre que la communauté anglophone souhaite se régénérer en puisant dans le bassin allophone et francophone, mais il s'agit d'une opération à somme nulle. Ceux qui iront grossir les rangs du réseau scolaire anglais seront forcément soustraits de ceux qui auraient du s'intégrer au réseau français.
À elle seule, la présence d'écoles passerelles ne constitue peut-être pas une menace mortelle pour le français au Québec, mais on ne peut pas considérer isolément chaque élément d'une politique linguistique, qui constitue un tout. En modifiant ne serait-ce que légèrement l'équilibre démolinguistique, tout assouplissement des dispositions de la Charte de la langue française qui régissent l'accès à l'école anglaise aura éventuellement une incidence sur la langue d'usage, la langue de travail, la langue des services, etc.
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Le projet de loi 103 a été rejeté d'entrée de jeu par la communauté anglophone. Pour ceux qui souhaitent en réalité le retour au libre choix de la langue d'enseignement, quitte à faire un détour par une école non subventionnée, la moindre balise est inacceptable. Au plan politique, cela ne constitue cependant pas un grand problème pour le gouvernement Charest, dans la mesure où les anglophones constituent une clientèle captive du PLQ.
L'argument selon lequel l'utilisation de la clause nonobstant ruinerait l'image internationale du Québec n'est pas très convaincant. En revanche, il est certain que la réaction au Canada anglais serait très négative. Il est sans doute désolant de voir le gouvernement aussi sensible aux humeurs du ROC, mais il ne se résoudra jamais à se soustraire à la Charte canadienne des droits.
Le député néo-démocrate Thomas Mulcair, qui connaît le dossier linguistique à fond, a cependant raison de dire que le projet de loi 103 est un «Google map pour contourner la loi 101». Les francophones n'accepteront tout simplement pas qu'on l'affaiblisse encore.
L'enthousiasme avec lequel la ministre responsable du dossier, Christine St-Pierre, a accueilli le compromis proposé par Louis Bernard, qui laisserait un «espace de liberté» aux allophones et aux francophones qui désirent éduquer leurs enfants en anglais, démontre bien qu'elle cherche à sortir de l'impasse.
S'il est vrai qu'il est délicat pour l'État d'interdire à qui que ce soit l'accès à une école dans laquelle il n'investit pas un sou, la fréquentation d'une école anglaise subventionnée ne saurait être considérée comme un droit pour les non-anglophones. Sinon, il faudrait logiquement modifier tout le chapitre de la loi 101 qui régit l'accès à l'école anglaise.
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Certes, la solution proposée par Louis Bernard n'est pas parfaite et elle ferait certainement l'objet de contestations judiciaires. Même s'ils signent une «déclaration solennelle» assurant que leur enfant complétera ses études primaires et secondaires dans une école non subventionnée, certains parents tenteront sûrement de tricher.
Dans des circonstances exceptionnelles qu'il faudra apprécier soigneusement, certaines dérogations seront sans doute accordées, mais une application stricte de la loi devrait décourager les fraudeurs potentiels de s'engager dans une voie aussi incertaine que coûteuse. Si, à l'usage, il s'avérait que tel n'est pas le cas, il serait toujours temps de recourir à la clause nonobstant.
Clairement, l'opposition péquiste n'est pas disposée à accepter un tel compromis. À l'approche d'un congrès où la tiédeur de la position de Pauline Marois sur la souveraineté risque de causer des remous, compenser en tenant la ligne dure sur la question linguistique devient presque une nécessité.
Le PQ n'est malheureusement pas en position d'imposer sa solution. Au reste, le discours qu'il tient dans l'opposition et ce qu'il fait une fois au pouvoir sont deux choses parfois très différentes. Quand le gouvernement Bourassa a adopté la loi 86, qui rétablissait le bilinguisme dans l'affichage commercial, le PQ a crié au meurtre. Par la suite, ni Jacques Parizeau, ni Lucien Bouchard, ni Bernard Landry n'ont voulu l'amender. Dans l'immédiat et pour l'avenir prévisible, la solution de M. Bernard semble bien constituer un moindre mal.
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mdavid@ledevoir.com


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