Le même vieux système / Du bon usage de la nitro

Tout compte fait, malgré les apparences, Jean Charest ne se tire pas si mal d'affaire.

Commission Bastarache



Tout compte fait, malgré les apparences, Jean Charest ne se tire pas si mal d'affaire.
Supposons que Marc Bellemare dise entièrement la vérité. On est devant des cas typiques de nominations partisanes. Des violations évidentes de la confidentialité et de l'éthique. Mais on est loin d'un trafic d'influence ou d'un système de corruption généralisé.
Car enfin, ce que nous dit Marc Bellemare, c'est qu'il a nommé trois personnes sous les pressions d'un financier du parti. Deux qui ont été nommées juges et une troisième, déjà juge, qui est devenue juge en chef adjoint.
Dans les trois cas, a dit Marc Bellemare plusieurs fois, les candidats étaient compétents et «rien d'illégal» n'a été commis (c'est mieux pour lui, car autrement il serait partie à une infraction, ce qui n'est jamais une bonne idée pour un avocat...).
Il est évidemment inadmissible qu'un financier tente d'influer sur des nominations. Il est évidemment encore plus inadmissible qu'un premier ministre dise à son ministre de la Justice d'écouter les ordres d'un financier, si c'est le cas.
Mais comment pensez-vous que s'exerce l'influence politique? Par la télépathie? Je ne serais pas du tout surpris d'apprendre que des organisateurs, libéraux comme péquistes, ou des politiciens, plaident la cause d'untel, plus ou moins fils de collecteur, plus ou moins beau-frère, auprès du ministre pour faire aboutir une nomination.
Ce n'est pas admissible et c'est pourquoi je dis depuis longtemps que le processus de sélection des juges devrait être plus serré et laisser encore moins de marge de manoeuvre aux politiques. Par exemple, que la liste des candidats comporte trois noms, pas plus.
Mais que nous dit Marc Bellemare? Que les listes comportaient six, sept, huit noms et que cela lui semblait bien trop peu!
Il nous dit qu'on voyait souvent le nom d'avocats de la Couronne ou d'organismes gouvernementaux. Mais s'il est souhaitable d'avoir des représentants de la pratique privée, on sait que les avocats gouvernementaux ne sont justement pas des militants politiques.
Marc Bellemare nous explique également qu'on l'a mitraillé pour qu'il nomme le juge Michel Simard juge en chef adjoint. Mais personne, absolument personne n'a exercé de pression sur lui pour qu'il nomme le juge en chef Guy Gagnon. Étonnant, non?
Il nous a parlé de la nomination, incontestable, de Suzanne Vadeboncoeur, directrice de la recherche au Barreau et véritable bibliothèque de droit. Encore là, aucune pression, aucun favoritisme politique.
Je ne dis évidemment pas que les confidences de Marc Bellemare sont à la gloire du gouvernement Charest. Mais il n'y a rien de nouveau par rapport à ce qui a été révélé au mois d'avril. Trois cas d'influence extérieure. Pour le reste, Marc Bellemare s'est employé à limiter l'ampleur de ses propos et à faire bien attention à ménager les réputations.
Autrement dit, ce que révèle Marc Bellemare, ce sont des cas limités mais très sérieux de manque d'éthique et de bris de confidentialité. On est loin cependant des articles du Code criminel sur le trafic d'influence et la corruption d'agents de l'État.
Un système? Seulement le même vieux et désolant système de favoritisme politique. Plus raffiné, plus limité, mais qui ne veut pas mourir: «On va nommer notre monde...»
On se demande tout de même, légal ou pas, pourquoi il a recommandé ces nominations contraires à ses valeurs. C'était un ordre du chef, a-t-il dit. Et puis l'important, pour Marc Bellemare, ce n'était pas les nominations, mais la réforme des tribunaux administratifs.
Quel paradoxe, tout de même, ce Bellemare. Il démissionne parce que le gouvernement ne le laisse pas faire une réforme des tribunaux administratifs.
Pour quoi faire, cette réforme, au fait? Pour rendre les juges administratifs plus indépendants. Pour qu'ils ne soient pas soumis à l'arbitraire politique lorsque vient le temps de les nommer ou de les «renouveler» après cinq ans. Cette vulnérabilité de ces décideurs mine la confiance du public, dit Marc Bellemare.
Et que fait-il quand un organisateur et financier lui commande de nommer untel et untel «vrais» juges? Il obéit docilement. Il n'a même pas regardé les noms sur la liste quand on lui a dit de nommer Marc Bisson - avocat de la Couronne parfaitement qualifié, a-t-il précisé.
Même pas lu la liste, le ministre? On a le droit d'être déçu...
Jusqu'ici, il n'y a rien qui justifie d'appeler la police (il a vu de l'argent comptant manipulé par Franco Fava, dit-il, mais sans rapport avec les nominations).
Il y a pour moi l'illustration d'un certain contrôle de la compétence des candidats à la magistrature, de l'avis même de Marc Bellemare. Mais aussi, et si cette commission a une pertinence c'est pour cela, de cet espace, après la sélection, pour les jeux d'influence qui n'ont pas leur place dans un État de droit moderne. Et donc de la nécessité de resserrer ce système.
Le témoignage vient à peine de commencer, remarquez bien, et les questions difficiles sont pour aujourd'hui. Marc Bellemare a encore des explications à donner.
yves.boisvert@lapresse.ca
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Du bon usage de la nitro

Rarement, sinon jamais, une commission d'enquête aura-t-elle commencé ses travaux avec si peu d'appui dans l'opinion publique.
D'ordinaire, les commissions d'enquête sont déclenchées pour répondre à une sorte d'urgence, pour désamorcer ou décortiquer un scandale. En partant, donc, elles jouissent à tout le moins d'une grande curiosité publique. Que ce soit celle sur le crime organisé dans les années 70 ou celle sur les commandites, elles démarrent d'ordinaire leurs travaux avec un taux de sympathie satisfaisant, malgré les critiques. On leur reproche plutôt leur désir de faire du spectacle aux dépens des témoins.
Dans le cas de la commission Bastarache, une majorité de répondants n'a que très peu ou aucunement confiance en elle. Ce n'est pas si étonnant. Cette commission n'est pas la réponse à une crise publique. Personne dans les autobus ne se bagarre au sujet du processus de nomination des juges. C'est essentiellement une riposte du gouvernement Charest aux attaques de son ancien et éphémère ministre de la Justice.
Depuis, Marc Bellemare a multiplié les attaques contre la commission et son personnel. Quand les défenseurs sont les membres d'un gouvernement discrédité, il ne faut pas s'attendre à des miracles.
Malgré tout, on observe que 63% des gens estiment que Marc Bellemare doit s'y présenter. Contradictoire? Pas nécessairement. On peut estimer que cette commission n'avait pas à être créée, tout en jugeant que le citoyen-dénonciateur Bellemare est obligé de s'y présenter maintenant qu'elle est créée.
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Que sortira-t-il de cette commission? On le sait moins encore que d'habitude. La commission Gomery était précédée d'une enquête de la Vérificatrice générale qui dressait un portrait général du scandale des commandites. Il restait à éclaircir les mécanismes, identifier quelques coquins et responsables.
Mais ici? On «sait» que les nominations de juges sont teintées politiquement, ou du moins qu'il y a généralement une sorte de généalogie politique, un parrainage. On «sait» aussi que les candidats passent à travers un processus de sélection pour démontrer leur compétence.
Les répondants semblent d'avis que la connexion politique prime sur la compétence. Mais le sondage révèle en même temps une (rare) bonne nouvelle pour la magistrature: les deux tiers des répondants estiment le «rendement» des magistrats québécois bon ou excellent.
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Je repose donc ma question: que va-t-on trouver dans cette commission, à propos de juges généralement inconnus, à commencer par les trois que Marc Bellemare dit avoir nommés sous la pression de financiers libéraux?
On sait que les trois derniers premiers ministres du Québec seront convoqués à la barre - Jean Charest, bien sûr, mais aussi Lucien Bouchard et Bernard Landry.
Si Jean Chrétien a été capable de lancer des balles de golf au juge Gomery, pour ainsi dire, que feront ces politiciens qui n'ont pas l'habitude de se laisser piler sur les orteils en disant merci?
Comme on examinera les nominations des 10 dernières années à la Cour du Québec, dans les cours municipales et dans les tribunaux administratifs, on peut penser que le portrait sera généralement positif. On pourra démontrer la compétence générale et individuelle des juges nommés.
Mais une commission d'enquête ne s'intéresse pas tellement aux choses «en général». Qui se souvient des premières phrases du rapport Gomery? John Gomery y parle de l'intégrité et de la compétence remarquables de la fonction publique fédérale. Il souligne que le scandale des commandites ne concerne qu'une portion minuscule des dépenses du gouvernement et que, somme toute, cette aberration confirme la règle voulant que la fonction publique soit honnête...
Non, ces vérités générales ont été balayées, évidemment, puisqu'il s'agissait d'examiner l'administration pourrie d'un programme bien particulier.
De même, il n'est pas possible d'examiner les nominations de juges depuis 10 ans sans trouver des cas évidents de choix largement politiques. C'est évidemment cette chasse qui risque de retenir l'attention, bien au-delà des cas cités par Marc Bellemare.
On aura beau faire toutes les nuances imaginables, le but de cette commission est de braquer les projecteurs sur le système et ses dysfonctions. On ne trouvera sans doute personne qui a acheté sa place. Mais sans doute trouvera-t-on certains qui sont passés dans le haut de la liste avec une petite poussée politique. Si on en trouve un rouge, il faudra en faire sortir un bleu... Et ainsi de suite. Voyez le style?
C'est pourquoi le sujet est explosif. C'est pourquoi, si elle est mal menée, cette commission par sa seule existence peut causer des dommages collatéraux considérables à l'appareil judiciaire, qui sera dans une position de vulnérabilité constante. Les occasions d'attaques et de contre-attaques entre le PQ et le PLQ seront innombrables et les juges visés pourront difficilement se défendre.
Pour être optimiste, on peut espérer que l'opération aboutisse à une meilleure dépolitisation des nominations qui, même si elle n'est pas une urgence nationale, est à notre portée et souhaitable.
Mais ce matin, pour être optimiste, il faut se forcer un peu. Le juge Bastarache s'est fait remettre entre les mains de la nitroglycérine institutionnelle...


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